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      Covid-19: les courbes et cartes de l'épidémie à l'épreuve du variant

      Grégory Rozières · news.movim.eu / HuffingtonPost · Thursday, 11 February, 2021 - 02:35 · 13 minutes

    SCIENCE - “Nous sommes sortis de la zone de danger.” “On a trouvé le bon dosage. Tout est à peu près stable, certaines courbes repartent même à la baisse.” Voilà la teneur des discussions au sein du gouvernement par rapport à l’épidémie de Covid-19 , affirme France Inter ce mercredi 10 février.

    Un optimisme qui commence même à s’afficher ouvertement: les chiffres du coronavirus “apparaissent déclinants”, a déclaré le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal lors du compte rendu du conseil des ministres. La veille, Olivier Véran estimait possible qu’un 3e confinement n’arrive “jamais”.

    En clair: Emmanuel Macron a bien fait de dire non à un reconfinement et de laisser sa chance aux restrictions actuelles, déjà draconiennes, notamment au couvre-feu dès 18 heures. Et quand on voit l’évolution actuelle des principaux indicateurs, on pourrait être tenté de se dire que nous sommes sur la bonne voie.

    Malheureusement, la réalité est bien plus nuancée. D’abord, car, comme on l’a vu depuis le début de la pandémie de Covid-19, les bons indicateurs doivent se prolonger plusieurs jours pour s’assurer que la tendance est durable. Les cartes et courbes du HuffPost ci-dessous permettent de le comprendre. Surtout, la propagation du variant anglais 501Y.V1, plus contaminant, change radicalement les modèles épidémiologiques ( plus de détails à ce sujet en fin d’article ).

    Les courbes globales de l’épidémie en France

    Plusieurs indicateurs sont suivis par le gouvernement, les chercheurs et les autorités sanitaires pour suivre l’évolution du coronavirus en France. Les courbes ci-dessous, mises à jour en temps réel grâce aux chiffres de la Direction générale de la santé, permettent d’y voir plus clair.

    Voici une description des principaux indicateurs suivis:

    • Taux d’incidence : c’est le nombre de cas détectés pour 100.000 habitants. Il est très utile, car il donne un état des lieux de l’épidémie en quasi-temps réel (quelques jours de décalage pour l’apparition des symptômes, voire avant leur apparition pour les cas contacts). Mais il est dépendant des capacités de dépistage.
    • Taux de positivité : c’est le nombre de tests positifs par rapport aux tests totaux effectués. Il permet de “contrôler” le taux d’incidence. S’il y a beaucoup de cas dans un territoire (taux d’incidence), mais que cela est uniquement dû à un dépistage très développé, le taux de positivité sera faible. À l’inverse, s’il augmente, cela veut dire qu’une part plus importante des gens testés sont positifs, mais surtout que les personnes contaminées qui ne sont pas testées, qui passent entre les mailles du filet, sont potentiellement plus nombreuses.
    • Taux d’occupation des lits de réanimation par des patients Covid-19 : C’est un chiffre scruté, car il permet de savoir si les hôpitaux sont capables de gérer l’afflux de patients. Il est très utile, car il y a peu de risque de biais: il ne dépend pas du dépistage et les occupations de lits sont bien remontées aux autorités. Son désavantage: il y a un délai important entre la contamination et le passage en réanimation, d’environ deux à trois semaines.
    • Décès à l’hôpital : Comme les réanimations, c’est un indicateur plutôt fiable, mais avec un délai important.

    On remarque sur ces divers graphiques qu’un pic a été atteint en novembre, et ce pour tous les indicateurs. L’effet combiné des diverses mesures prises (confinement, couvre-feu, etc.), mais aussi des changements de comportements des Français ont permis ensuite de l’enrayer.

    Pour autant, on voit également que la baisse s’est transformée en stagnation, voire en début de hausse. Les fêtes de fin d’année ont perturbé le dépistage, ce qui se ressent dans les courbes d’incidence et de positivité. Elles ont ensuite repris leur progression... jusqu’à ces derniers jours, où un nouveau plateau semble se former, voire même une décrue pour les taux d’incidence et de positivité.

    Effet couvre-feu ?

    Une stagnation due au couvre-feu à 18 heures généralisé? Il faut bien se garder de juger trop rapidement la situation, de nombreux paramètres ont un impact sur l’épidémie. Le gouvernement a d’ailleurs reconnu, peu avant de renoncer à un confinement préventif, que l’efficacité du couvre-feu était relative.

    Mi-janvier, l’exécutif avait affiché un léger optimisme en voyant l’évolution de l’épidémie dans les 15 départements qui avait basculé en couvre-feu avancé le 2 janvier. Le taux d’incidence augmentait moins vite dans ces territoires qu’ailleurs. Le 19 janvier, Olivier Véran affirmait même qu’un “effet couvre-feu” se faisait sentir, avec, pour ces 15 départements, une baisse de “16% à peu près sur une semaine” de l’incidence.

    Le début de la baisse pour ces départements a débuté le 9 janvier, 7 jours après la mise en place du couvre-feu à 18 heures. Logique, dans un sens: le délai moyen d’incubation est de 5 jours et le délai moyen entre le début des symptômes et la réalisation d’un test PCR est de deux jours.

    On pourrait donc se dire que pour voir le début d’une baisse du taux d’incidence lié au couvre-feu national à 18h, décrété le 16 janvier, il faudrait attendre les chiffres 7 jours plus tard. Et le fait est que depuis deux semaines, l’évolution va plutôt dans le bon sens.

    Les courbes ci-dessous permettent d’y voir plus clair. Ce graphique montre l’évolution du taux d’incidence moyen pour les trois catégories de départements: ceux sous couvre-feu avancé depuis le 2 janvier (15 départements), le 10 janvier (8 départements) ou le 16 janvier (le reste de la France métropolitaine).

    On voit ici que, logiquement, les territoires touchés par la mesure plus tôt sont ceux avec l’incidence la plus élevée. On voit aussi que les deux courbes bleues et jaunes ont commencé à baisser aux alentours de mi-janvier, mais qu’elles ont ensuite remonté, pour finalement commencer à baisser à nouveau.

    Le graphique ci-dessous permet de mieux se rendre compte de la situation. C’est la même chose, sauf que c’est l’évolution en pourcentage sur une semaine du taux d’incidence qui est mesurée.

    Si les départements sous couvre-feu avancé sont effectivement passés en négatif à la mi-janvier, la tendance s’est rapidement inversée... pour finalement revenir à une légère diminution de l’incidence depuis la fin du mois.

    On remarque surtout que s’il existe des variations entre ces trois groupes de départements, ils suivent tout de même une tendance globalement similaire. Si le couvre-feu étendu était réellement une arme très efficace, on devrait voir une différence marquée en fonction de sa date de mise en application. Est-ce un délai logique entre les mesures et leur effet? Les fluctuations actuelles sont-elles dues à d’autres facteurs, comme la météo ou le comportement des Français? Impossible à dire.

    Une fois ces précautions prises, il peut être intéressant d’observer l’évolution de l’épidémie à un niveau plus local.

    Carte du taux d’incidence et de positivité par département

    Sur la carte ci-dessous, on peut ainsi voir l’évolution du taux d’incidence sur les trois dernières semaines, en pourcentage, par département.

    Pour des raisons techniques, les territoires ultramarins ne sont pas visibles sur nos cartes, mais sont accessibles dans le moteur de recherche en haut à gauche.

    Mais seul, ce baromètre peut être parfois trompeur. Le taux de positivité permet de limiter les biais. C’est pour cela que nous avons également mis au point une carte de France basée sur le taux d’incidence et de positivité. Chaque département est coloré en fonction de l’évolution de ces indicateurs. La première carte (bouton “tendances”) permet de voir l’évolution dans le temps du taux d’incidence et de positivité. En clair, de savoir si la situation s’améliore ou se détériore dans chaque département.

    Comme ces taux dépendent des remontées du dépistage, nous avons choisi de mettre en avant uniquement les baisses et hausses des deux taux pendant plus d’une semaine.

    La seconde carte (bouton “indice global”) montre l’état d’un département par rapport aux seuils de vigilance et d’alerte mis au point par le gouvernement lors du déconfinement en mai dernier. Par rapport à la seconde vague, une grande partie des départements ne sont plus au-delà des deux seuils d’alerte. Mais on voit que la situation reste compliquée dans une majorité de départements.

    Courbes du taux d’incidence et de positivité par département

    Si la carte ci-dessus est pratique pour voir en un coup d’oeil la situation actuelle et la tendance globale par département, il peut être également utile de regarder plus en détail l’évolution dans un département précis. C’est justement ce type d’évolution qui est scrutée par les autorités pour prendre des mesures locales, comme l’avancée du couvre-feu à 18h.

    Nous avons donc mis au point un graphique permettant de comparer l’évolution du taux d’incidence et de positivité dans le temps, par départements. Ici aussi, il faut se garder de conclusions hâtives: une hausse ou une baisse doit se confirmer pendant plusieurs jours et, surtout, se voir répercuter sur les autres indicateurs.

    Carte des réanimations par département

    L’un des indicateurs les plus stables est le nombre de personnes qui entrent en réanimation. C’est également celui que suit avec attention le gouvernement, car le taux d’occupation de ces lits est primordial: il faut éviter une saturation qui, en plus des morts provoqués par le Covid-19, engendrerait des conséquences en cascade sur le reste du système de santé.

    La carte ci-dessous résume la tendance en termes de nombre de lits en réanimation occupés par des patients Covid-19, sur les 7 et 14 derniers jours.

    Courbes des réanimations et hospitalisations par départements

    Le principal inconvénient de cet indicateur, c’est qu’il y a un gros décalage temporel. “Pour les cas sévères, on a estimé qu’il se passe environ deux semaines entre l’infection et l’admission en réanimation. Donc l’impact d’une mesure contraignante ne sera visible que 14 jours après”, explique au HuffPost Samuel Alizon, directeur de Recherche au CNRS, spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses.

    Afin de pouvoir suivre cette évolution justement, voici un graphique permettant de voir le nombre de personnes hospitalisées ou en réanimation pour cause de coronavirus, dans chaque département.

    On voit ici que ces courbes suivent généralement celle du taux d’incidence avec deux à trois semaines de décalage, notamment dans les départements les plus touchés.

    Un variant qui peut tout faire basculer

    Si l’on s’arrête à ces différents indicateurs, on peut se dire effectivement que la possibilité d’une échappatoire augmente de jour en jour. Et qu’à condition que la tendance continue et que les chiffres hospitaliers suivent l’incidence, le mois de février pourrait bien se passer.

    Malheureusement, le variant anglais change la donne. Si ce n’est pas un “nouveau virus”, c’est par contre une épidémie dans l’épidémie. On sait en effet que ce variant, 501Y.V1, est plus contagieux que les souches classiques du Sars-Cov2. Logiquement, quand il apparaît dans un pays, il finit par y être majoritaire.

    Et même si ses mutations ne le rendent pas plus mortel, le fait qu’il soit plus contagieux est déjà un énorme problème , car cela change la courbe de l’épidémie. Imaginons qu’avec les mesures actuelles, couvre-feu compris, le taux de reproduction du virus, le fameux “R effectif”, soit de 0,8. Cela veut dire qu’une personne infectée en contamine en moyenne 0,8. Donc, l’épidémie baisse.

    Mais avec un variant, disons, 50% plus contagieux (les estimations fluctuent entre 35% et 75%), les choses changent. Si le coronavirus classique, avec les mesures actuelles, a un R de 0,8, celui du coronavirus 501Y.V1 (variant anglais) se situerait autour de 1.2. Et là, l’épidémie progresse. Exponentiellement.

    Une question de temps et de R

    Mais alors pourquoi l’épidémie régresse-t-elle en France alors que le variant y est de plus en plus présent? La semaine dernière, il représentait 14% des infections, avec une progression de 50% par semaine (ce qui est plus lent que ce que l’on a vu en Angleterre ou au Portugal). Plusieurs solutions sont possibles.

    La plus optimiste est que les mesures actuelles font que, variant ou pas, le R est inférieur à 1. Cela voudrait dire, en gros, que les restrictions actuelles sont aussi efficaces que le couvre-feu de mars 2020. Peu probable, même si ce n’est pas impossible: une partie de la population est déjà immunisée, les masques sont courants, les Français connaissent les risques et font certainement plus attention. On sait également que des mesures très strictes, comme ce que l’on a vu au Royaume-Uni et au Portugal, permettent de gérer l’épidémie, même quand le variant est dominant.

    L’autre possibilité, malheureusement plus probable pour l’instant, c’est qu’avec les mesures actuelles, le coronavirus “classique” soit en baisse... mais que le variant soit en hausse. C’est exactement ce qui se passe au Danemark, comme le rapporte Science Magazine . Alors que le pays est confiné depuis Noël, le nombre de cas a énormément chuté... mais le nombre de cas de variants augmente.

    Cela veut dire qu’avec le confinement danois, le R du coronavirus classique est inférieur à 1, mais que le R du variant est supérieur à 1. Mais comme pour le moment, le variant est encore minoritaire, le nombre de cas global baisse.  Aujourd’hui, le R est encore inférieur à 1 au Danemark. Mais il augmente depuis la mi-janvier. Alors que les mesures n’ont pas changé.

    Le taux de reproduction R au Danemark

    Actuellement, le variant anglais représente un peu moins de 30% des cas de coronavirus au Danemark. Chaque semaine, la part de cette nouvelle souche augmente de 50%, comme en France.

    En clair, la situation danoise est assez similaire à ce qui se passe en France, à quelques détails près. Nous avons deux semaines de retard concernant la prépondérance du variant, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.

    Par contre, le taux de reproduction général du virus en France est loin d’être aussi faible qu’au Danemark, où il a atteint un plus bas de 0.6 à la mi-janvier. Dans l’Hexagone, il était supérieur à 1 jusqu’à récemment et vient tout récemment de descendre juste en dessous, aux alentours de 0,99, selon les estimations de l’épidémiologiste Antoine Flahault.

    Si le R est supérieur à 0.8, l

    Le 5 janvier, le Statum Serum Institut, l’équivalent danois de Santé publique France, expliquait , pour justifier le maintient du confinement, qu’il fallait réduire le R à 0.7 pour espérer ne pas voir l’épidémie augmenter au fur et à mesure de la progression du variant. Dans les autres scénarios, les cas de coronavirus augmentent à nouveau au bout d’un certain temps. Reste maintenant à voir si les modèles ont vu juste. La réponse devrait être visible, en France comme au Danemark, dans les semaines à venir.

    À voir également sur Le HuffPost : comprendre les mutations du coronavirus en 2 minutes