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      "À l’heure où l’on me prête une parole qui n’est pas la mienne, je me dois d’écrire pour la première fois"

      Camélia Jordana · news.movim.eu / HuffingtonPost · Friday, 12 February, 2021 - 02:57 · 5 minutes

    En 2021, Camélia Jordana est nommée aux Victoires de la musique pour la chanson originale

    Le silence facile.

    Alors que des mots cognent ma poitrine, les critiques , attaques , et harcèlements viennent se fracasser sur les parois de la bulle que je me suis construite férocement depuis mes 16 ans.

    À l’heure où l’on me prête une parole qui n’est pas la mienne, je me dois d’écrire pour la première fois.

    L’artiste peut-elle s’inscrire dans la cité autrement que par son art ? Je l’ai cru un temps.

    28 ans que je suis. Femme. Française. Arabe. Aimée. Regardée. Critiquée. Désirée. Choyée. Agressée. Sexualisée. Descendante d’immigré.e.s Algérien.ne.s qui se sont battus sous ce beau et grand drapeau tricolore, puis pour l’indépendance de leur pays de sol, de sang, de langue et de coeur, et non de colonie. Musicienne. Comédienne. Vivante.

    11 ans déjà que je m’exprime dans la sphère publique grâce au privilège de la notoriété.

    Deux semaines après les attentats du 13 novembre 2015, c’est l’âme lourde, accompagnée de mes sœurs de vie Yaël Naïm et Nolwenn Le Roy, que je chante dans la cour des Invalides à l’unisson d’un peuple meurtri.

    Un mois plus tard, je suis Marianne, colombe à la main, offrant ma gueule et mon sein droit à la une de L’Obs . Pourtant blâmée.

    En mai 2020, alors que je partage mes craintes sur le malaise grandissant entre des institutions et une partie de la population, puis fin janvier lors de la sortie de mon nouvel album, quand j’évoque mon anti-racisme et mon féminisme, mes propos sont transformés et détournés de leur sens. Ainsi, ma prétendue haine de l’homme, qu’il soit blanc ou non, est une pure invention.

    Ainsi en est-il également pour Catherine Deneuve, Jane Birkin et Daniel Auteuil, immenses artistes que j’admire au plus haut point depuis l’enfance. Les voilà elles et lui aussi devenir sujets de propos que je n’ai pas tenus et de fausses polémiques.

    Un art véritable. Une question simple mais brûlante. Une réponse dense et complexe afin que celle-ci soit la plus claire et mesurée possible sur ces sujets qui me concernent directement et font ma vie jour après jour, éveillée comme de nuit dans mes rêves les plus contemporains... Pour un résultat innommable : une pensée torturée, vidée de sa substance.

    Mon engagement est interrogé à chacun des entretiens que je donne. Engagement: “Action de se lier par une promesse ou une convention”. La noblesse de ce mot m’émeut. Elle m’élargit, m’assied, me calme et m’aligne. Je me sens profondément liée aux astres, aux hommes, aux femmes, à la nature, aux émotions et aux ondes invisibles créées par la musique.

    Si, à une promesse, je me sens liée, c’est à celle que je me fais à moi-même. Celle du bon et du juste qui marque ma peau. Celle grâce à laquelle le chahut permanent du dehors ne peut entrer dans mon cercle inébranlable. Celle que je prie et en laquelle j’ai une confiance intouchable. Celle qui me garde centrée quand je parle, des millions d’yeux sur mes lèvres.

    Pourtant, la seule tristesse qui me vient alors, n’est pas due à la violence qu’on m’accorde (...) La tristesse qui se pose en moi est celle de la citoyenne française que je suis et qui voit son pays divisé"

    Je crois profondément en la bienveillance. Et pourtant. Pourtant, la seule tristesse qui me vient alors, n’est pas due à la violence qu’on m’accorde. Ni même à l’impact du harcèlement subi par quelques médias partenaires. Elle n’est pas non plus dans la déception que je vois dans les yeux de mes équipes après tant de travail, entaché par la haine exprimée sur les réseaux sociaux. Non. La tristesse qui se pose en moi est celle de la citoyenne française que je suis et qui voit son pays divisé, la colère au front et la rage au ventre.

    J’ai grandi sous vos yeux. Je suis aujourd’hui femme et je me contente de dire les choses en moi. Celles que je porte et qui m’animent, m’inspirent et me font grandir : la nature, le racisme, l’amour, le féminisme... Je crois que les artistes que je tiens au plus haut dans mon estime sont les artistes qui parlent de sujets qui eux-mêmes les animent, et les inspirent. C’est ainsi qu’ils me touchent. Parce qu’ils disent mes maux, mes joies, mes peurs et me rassurent de cette manière. Grâce à eux et elles, je ne suis pas seule dans mes doutes et mes tourments.

    Je souhaite que ma musique vous accompagne. Je parle de MA seule et unique vérité, mouvante, mobile, agitée, sinon tranquille. Parce que je ne suis pas une femme politique, mais une citoyenne française accrochée de toutes forces aux valeurs que m’a inculquée l’école républicaine, ayant la chance de pouvoir vous écrire ces mots et qu’ils vous parviennent.

    Je parle en ces qualités-là. Rien de plus. Rien de moins.

    Oui, je parle. Je m’exprime parce que je vis comme vous cette époque heurtante, troublante, et rassurante parfois. Les angles morts y sont nombreux. Les zones d’ombres aussi et le volume du boucan absurde ne cesse d’augmenter. Je crois qu’il est temps de le stopper. Seuls les mots prononcés valent désormais, non ceux que l’on me prête. J’ai dit ce que j’avais à dire pour maintenant laisser place à la musique. Sinon au silence.

    À voir également sur Le HuffPost: À la manifestation pour Adama Traoré, Virginie Despentes et Vikash Dhorasoo ont aussi pensé à Camélia Jordana