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      Frédérique Vidal, une ministre aussi fantôme que ses étudiants

      Jade Toussay · news.movim.eu / HuffingtonPost · Friday, 5 February, 2021 - 02:49 · 10 minutes

    Photo de Frédérique Vidal après sa nomination à la tête du ministère de l

    POLITIQUE - Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Paris Ve. Dans le bureau de Frédérique Vidal, malgré les piles de dossiers, l’ambiance est apaisée et la ministre, sereine en apparence. Très. Trop. En décalage complet avec le chaos administratif et psychologique que vivent étudiants et enseignants depuis le début de la crise du Covid . “J’ai eu pour la première fois des pensées suicidaires”, “l’impression que ça sert à rien”, “quand est-ce que notre détresse va être prise en compte à sa juste mesure”: les dizaines de témoignages recensés par le YouTubeur Hugo Travers le 31 janvier sont éloquents. Comment en est-on arrivés là?

    Tout avait si bien commencé. En mai 2017, après trois ans à se contenter d’un secrétariat d’État, l’Enseignement supérieur se voyait enfin doté, avec l’élection d’Emmanuel Macron, d’un ministère de plein exercice. Avec en bonus la Recherche et l’Innovation.

    Pour le diriger? Nulle autre qu’une ancienne universitaire. Issue de la société civile chère au nouveau Président. Frédérique Vidal peut se targuer d’une solide expérience dans le supérieur: elle a effectué toute sa carrière à l’université Sophia Antipolis à Nice et en prend la direction en 2012. Elle ne quittera son poste que pour entrer au gouvernement.

    “Une universitaire pure”

    Frédérique Vidal, née à Monaco en 1964, est un pur produit de la Côte d’Azur. Elle y a fait ses armes, de sa maîtrise de biochimie à son doctorat en sciences de la vie. Chercheuse, enseignante, puis maître de conférences avant d’accéder à la présidence en 2012, elle est une “universitaire pure”, sourit un membre de son ancien cabinet à la direction de Sophia Antipolis qui ne souhaite pas apparaître.

    Une “universitaire pure”, décrite par ceux qui l’ont fréquentée à l’époque comme “modeste”, “fidèle en amitié” et surtout désintéressée par son avancement personnel. Mais très offensive pour promouvoir l’université qu’elle dirige. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle a attiré l’attention d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe. Comment? En poussant l’université azuréenne à participer aux “Initiatives d’excellence” (les Idex) , qui distinguent les meilleurs campus de France.

    “Le regard des gouvernances en place à Nice, c’était de dire que les Idex n’étaient pas pour nous, que nous étions trop petits. Et elle a décidé de prendre le contrepied”, se rappelle avec fierté son entourage de l’époque, évoquant une présidente capable de faire bouger les lignes et de motiver ses troupes. En 2016, sous sa direction, l’université de Sophia Antipolis remporte le prix. Et Frédérique Vidal rencontre le futur président de la République.

    “Comme notre projet avait aussi beaucoup mobilisé, au-delà de l’excellence académique, (…), j’avais été reçue par Emmanuel Macron, en tant que ministre de l’Économie, parce que nous avions passé un certain nombre de partenariats avec de grands groupes installés sur Sophia Antipolis”, raconte la ministre. Elle confie aussi avoir participé pendant la campagne à “un groupe” constitué pour “préparer le programme du président”.

    Un début d’engagement politique qui se concrétise en mai 2017. Alors qu’elle est en déplacement professionnel à New York, elle reçoit un appel d’Édouard Philippe. Puis, un second d’Emmanuel Macron lui confirme qu’il “est ravi de l’accueillir au sein de l’équipe gouvernementale”.

    Le Palais est donc ravi. Elle est “honorée” par la proposition, même si elle confie avoir été “très surprise dans un premier temps”. Le monde de la recherche se félicite de voir une des leurs accéder à ce poste décisif. Les syndicats étudiants et enseignants, eux, lèvent un sourcil: à Nice, Frédérique Vidal n’a pas laissé que des bons souvenirs et sa nomination est accueillie avec réserve.

    Le “mépris” de la ministre

    Ses premières décisions ne vont pas améliorer cette image. À peine arrivée, Vidal met les pieds dans le plat. Elle s’attaque sans hésiter à des dossiers sensibles comme la réforme de Parcoursup, l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers, puis un peu plus tard, la loi de programmation de la recherche, jugée déconnectée des besoins réels du milieu . Antoine Petit, directeur du CNRS nommé sur proposition de la ministre et qui l’a côtoyée lorsqu’elle était à Nice, y voit une preuve de “sa ténacité”, doublée “d’une force de caractère peu commune”.

    Ce trait de caractère, les syndicats le reconnaissent volontiers. Mais pour eux, c’est tout sauf une qualité. À l’Unef, on rit jaune lorsqu’on évoque ses capacités de dialogue. “Sur le fond des réformes, elle est loin d’être à l’écoute”, raille Mélanie Luce, la présidente du syndicat étudiant, qui évoque les trop nombreuses fois où Frédérique Vidal a fait fi de l’avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNERES). Disruptive, assurément.

    Au SNESUP-FSU , le “mépris de la ministre” envers les organisations syndicales, “dès lors que celles-ci ne vont pas dans son sens″, agace, selon les mots d’Anne Roger, co-sécrétaire générale. Au point, soulignent ces syndicats de gauche, qu’ils se sentaient plus écoutés par ses prédécesseurs parfois à l’opposé de leurs valeurs. “Avec les ministres précédents, au moins, on avait l’impression qu’il y avait une certaine conscience du rapport de force”, se souvient Mélanie Luce.

    Un reproche que la ministre dément fermement. “Le dialogue social est permanent au ministère et chacun doit assumer ses positions et ses divergences. Je crois profondément qu’une bonne politique publique est une politique construite avec les corps intermédiaires, les syndicats de personnels, mais aussi les associations étudiantes. Chacun dans son rôle, dans sa légitimité. C’est ce que je m’emploie à faire, oui c’est sans doute plus long, oui, cela crée du débat, et il peut arriver d’acter des points de désaccord. Et alors? C’est cela la démocratie!”, assure-t-elle.

    Malgré ces critiques et à la surprise générale, la ministre tient. Preuve en est, deux remaniements et un changement de Premier ministre plus tard, elle est toujours là. Dans l’entourage de Jean Castex, le 21 janvier, on n’a “jamais entendu le Premier ministre se plaindre de Madame Vidal ni de son travail”, promet-on. Pas un mot de plus. Service minimum.

    Il faut dire qu’au sein du gouvernement, la ministre n’est pas des plus visibles... Le 21 janvier, c’est Emmanuel Macron qui annonce — en personne — trois mesures de soutien pour les étudiants , dont le très symbolique repas à 1 euro au CROUS. Une habitude présidentielle, certes, mais la ministre, bien qu’à côté du Président ce jour-là, est invisible. Alors qu’à quelques rues du ministère, près de la Sorbonne, des distributions de nourriture sont organisées depuis plusieurs mois par les étudiants, pour leurs camarades en situation de précarité .

    “Ministre hors sol”

    Il ne faudra pas creuser longtemps parmi les autres conseillers de l’exécutif pour que l’embarras se fasse sentir. À demi-mot, une source gouvernementale reconnait que le dossier étudiant “n’est pas hyper bien maîtrisé”, mais nuance vite: “On est plus embêté par le dossier que par la ministre”. “C’est vrai qu’elle est fragilisée au regard des relations qu’elle a avec ses partenaires du quotidien, mais relativisons parce qu’il n’y a pas non plus de solution miracle”, défend la même.

    Trop tard, l’opinion générale est déjà faite: Frédérique Vidal serait déconnectée de la réalité étudiante. “Hors-sol”, selon la co-secrétaire du SNESUP-FSU, Anne Roger. Un surnom qui en dit long va alors s’imposer: “ministre fantôme”. Le sobriquet lui a été donné par ces étudiants, qui se sentent si transparents et délaissés qu’ils ont repris l’appellation. Hashtag #ÉtudiantsFantômes.

    “À chaque fois, Macron disait un mot par-ci par-là sur les universités dans ses annonces. Pareil pour Castex. Et à chaque fois, il fallait que j’appelle le ministère pour savoir concrètement ce que ça voulait dire”, s’exaspère la présidente de l’Unef. “Que Macron ne détaille pas tout, très bien. Par contre dans les conférences de presse ensuite, il n’y a pas eu Frédérique Vidal pour nous expliquer comment ça allait se passer”, poursuit-elle.

    La goutte d’eau? L’organisation des examens. Aux syndicats qui réclament un cadrage national , la ministre répond loi LRU, qui consacre l’autonomie des universités. “Ça ne se décide pas dans un bureau rue Descartes. Ça se décide au plus près des équipes et au plus près des étudiants.” Affaire classée pour le ministère, mais pas pour les syndicats: “Nous sommes en droit d’attendre un petit peu de cadrage dans les universités. La loi LRU ne doit pas permettre de créer des inégalités de traitement”, pointe Anne Roger.

    Ni “bête politique” ni “bête médiatique”

    Depuis le début de la crise sanitaire, Frédérique Vidal n’a pris la parole qu’à une seule conférence de presse de Jean Castex, le 14 janvier. À sa décharge, “le fait qu’elle soit présente ou pas, c’est le choix du collectif gouvernemental, pas le sien”, relativise un habitué du pouvoir. Mais, pointe-t-il également, “personne ne l’a empêché de faire des médias pour défendre le dossier étudiant”...

    Ce qu’elle n’a pas fait, en tout cas pas avant que les choses ne s’enveniment. Désormais — et après relecture de notre échange par son cabinet — elle “comprend que l’époque actuelle nécessite une visibilité médiatique plus forte pour mettre en valeur ses actions”. Aussitôt dit, aussitôt fait, elle a publié quelques jours après cet entretien une vidéo où elle s’adresse directement aux étudiants, saluant leur courage et leur “motivation” en ces temps troublés. Elle a aussi répondu aux questions de BFMTV , la même semaine, pour assurer le service après-vente du chèque psy. En progrès.

    “Ce n’est pas quelqu’un qui va tirer la couverture à elle. Frédérique Vidal n’est pas une bête politique, ce n’est pas non plus une bête médiatique, mais c’est quelqu’un de fondamentalement sincère”, la défend le patron du CNRS.

    Les syndicats reconnaissent volontiers ce point: arrivant sans bagage politique, Frédérique Vidal n’en traîne pas les casseroles. Elle n’a pas non plus le soutien qui vient avec un réseau consolidé au fil des ans. “On n’a jamais vu une telle disparition de l’Enseignement Supérieur. Les discours qui nous sont tenus montrent qu’elle n’arrive pas à se faire entendre”, renchérit Mélanie Luce. Exemple en mars 2020, où la ministre avait assuré aux syndicats étudiants que les universités resteraient ouvertes. La suite est connue.

    Frédérique Vidal est loin d’être “la meilleure communicante du gouvernement”, lâche un conseiller gouvernemental, avant de tempérer: “C’est vrai qu’on ne l’a pas incité à être en première ligne”. Ni sur les étudiants, ni sur la vaccination contre le Covid, alors qu’elle est en charge de la Recherche. Dans la sphère politique aussi bien qu’étudiante, un certain “manque de charisme” est évoqué.

    Elle est pourtant souriante. Mais définitivement trop discrète. Dans l’atmosphère feutrée de son bureau, sa voix douce s’entend à peine. Sauf lorsqu’elle s’amuse d’une question, sur sa lecture du moment. Il lui faudra quelques instants pour retrouver le nom exact du livre: “Une plaisante sieste philosophique dans le hameau de la vacance absolue” de Chuang-tzu, un essai taoïste, cette philosophie qui aspire à trouver l’harmonie. Les étudiants adoreraient.

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