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      Démocratiser les grandes écoles : pourquoi ça coince ?

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 4 February, 2021 - 03:30 · 7 minutes

    grandes écoles

    Par Marie Duru-Bellat.
    Un article de The Conversation

    Alors que les élites françaises, économiques et politiques, sont volontiers critiquées pour la base très étroite de leur recrutement – 84 % d’anciens des grandes écoles parmi les dirigeants des entreprises du CAC 40, par exemple –, les grandes écoles sont l’objet, notamment depuis une vingtaine d’années, de diverses Chartes ou dispositifs qui visent à en élargir le recrutement.

    Car aujourd’hui, les deux tiers de leurs étudiants (et même presque 80 % dans les 10 % des écoles les plus sélectives) sont d’origine sociale très favorisée (cadres, chefs d’entreprise, professions libérales et intellectuelles). Ceci correspond, si on se cale sur les élèves de troisième, à des chances d’accéder à une grande école 9 à 10 fois supérieures, pour ces élèves, par rapport à ceux de milieu défavorisé.

    Ces constats interrogent : ces élites sont bien monolithiques et on peut s’interroger sur la pertinence de la formation en grande école pour nombre de ces positions de pouvoir… Mais après tout, si l’on était certain qu’accéder à une grande école ne fait que refléter le mérite, il n’y aurait là rien de choquant, dans une société qui rejette l’hérédité des positions sociales au profit d’une sélection des plus méritants, tâche qu’est censée assurer l’institution scolaire.

    Alors que le caractère très typé socialement des diplômés des grandes écoles fait soupçonner une entorse au jeu méritocratique, le rapport très fourni de l’Institut des Politiques Publiques, documente les facteurs qui viennent le contrarier, à savoir, outre l’origine sociale, le genre et l’origine géographique. Et ce alors que les diverses actions mises en place depuis les années 2000 n’empêchent pas une grande stabilité !

    Une ségrégation sociale massive

    Concernant l’impact très fort de l’origine sociale, les auteurs notent que les inégalités sociales de réussite en amont n’expliquent pas tout, environ 50 % si on se cale sur le niveau en fin de troisième. Cela dit, les scolarités jusqu’en troisième sont de moins en moins sélectives, et les filières où l’on accède au lycée le sont, elles, de plus en plus.

    Depuis 30 ans, la réelle démocratisation de l’accès au bac s’est accompagnée d’une diversification des bacs, avec notamment le bac professionnel. Cette évolution s’est faite à telle enseigne que les chances d’accéder à un bac général – porte d’accès incontournable pour une grande école – n’ont pas augmenté ces dernières années pour les enfants des milieux les plus défavorisés. Ils sont aspirés par la filière professionnelle, tandis que les probabilités d’obtenir un bac scientifique varient presque de 1 à 10 selon les milieux.

    Ces inégalités sociales de réussite sont très précoces : les chances d’obtenir un bac général ou technologique sont elles-mêmes extrêmement inégales selon le niveau scolaire à l’entrée en sixième, lui-même lié au niveau à l’entrée à l’école élémentaire.

    On ne saurait donc espérer démocratiser l’accès au sommet de l’élite scolaire – par des bourses au mérite distribuées à 18 ans par exemple – si dès le cours préparatoire des inégalités sociales de réussite s’accumulent, que l’école ne parvient pas à contrer.

    Des facteurs culturels et matériels

    Cependant, la réussite scolaire ne fait pas tout. Alors que globalement, les filles réussissent mieux leurs études secondaires, et représentent 55 % des effectifs de niveau bac + 3 à bac+5, elles ne comptent que pour seulement 42 % des effectifs des grandes écoles et 37 % des plus sélectives.

    Mais là aussi, on ne peut se contenter d’une approche globale calée sur le niveau en fin de troisième. En effet, au lycée, les choix d’options et de filières, qui anticipent les orientations dans le supérieur et la vie professionnelle, sont sexués. À ce stade, les filles n’évitent pas tant les maths que la physique et veillent à rester relativement polyvalentes, ce qui facilitera leur accès aux écoles de commerce ou à Sciences Po.

    De fait, leur sous-représentation concerne avant tout les écoles d’ingénieurs (26 %), alors que des filières comme Sciences Po Paris ou, à un degré moindre, les écoles de commerce, sont largement féminisées.

    Ici intervient d’une part le poids des stéréotypes qui connotent comme masculines ou féminines les disciplines scolaires, et qui, notamment parce qu’ils marquent inconsciemment les attentes des enseignants, canalisent très tôt le sentiment d’efficacité et les projets des élèves. D’autre part, il faut compter avec l’anticipation d’un monde du travail loin d’être mixte, où il semble plus ou moins facile de se projeter, selon son genre, dans telle ou telle profession. Seules des évolutions sociales de longue haleine peuvent ici atténuer ces freins.

    Les grandes écoles sont également très parisiennes : 30 % des étudiants de grande école ont passé leur bac à Paris ou en Île-de-France (contre 19 % des bacheliers), un chiffre qui monte à 41% dans les 10 écoles les plus sélectives. Ces inégalités sont clairement contraires à l’idéal méritocratique : peu expliquées (20 %) par les inégalités de réussite en troisième, c’est avant tout l’inégale distribution sur le territoire des classes préparatoires et des écoles qui doit être incriminée, tant on sait que l’« offre » éducative locale impacte les choix des lycéens.

    Si on ne choisit pas la région où l’on grandit, certaines familles bien informées essaient de choisir le lycée optimal et y parviennent. La moitié des effectifs des écoles les plus sélectives provient de seulement 8 % des lycées.

    Il faudrait alors, si on ne veut pas supprimer les possibilités de choix d’un lycée, contrôler plus strictement le profil des lycéens mutants, et favoriser une implantation d’établissements dans les villes moyennes . C’est ce qui a été fait par les classes préparatoires privées (et aussi les classes préparatoires ouvertes aux bacheliers technologiques), mais ce sont surtout les élèves des classes moyennes qui en ont profité.

    Les inégalités géographiques traduisent aussi le fait que la mobilité a un coût pour les familles. Si les questions de logement sont essentielles, le fait que ce soit pour les écoles de commerce que les inégalités scolaires soient le moins à même d’expliquer leur sélectivité sociale rappelle que le coût des études joue un rôle non négligeable.

    D’où la nécessité de bourses, dans un contexte où les possibilités de financer en partie ses études par un job d’étudiant sont quasiment exclues en classe préparatoire aux grandes écoles et dans celles-ci mêmes.

    Intervenir tôt et jouer sur les structures

    Au total, il est clair que les mesures intervenant au niveau du lycée restent bien trop tardives puisqu’une bonne part de la carrière scolaire des élèves est déjà jouée, de même que l’image, par les élèves, de leurs propres compétences.

    On ne peut pas non plus se contenter d’agir au niveau des personnes, notamment sur les motivations ou l’information, car les carrières se jouent dans un contexte tout aussi décisif, qui rend certaines autocensures relativement rationnelles :

    • une offre de formation locale,
    • des études inégalement coûteuses,
    • un marché du travail sexué,
    • un accès à l’élite accaparé par les sortants des grandes écoles.

    Jouer sur ces éléments structurels est capital, même si on peut envisager des voies plus radicales : supprimer cette voie si française (qui polarise les stratégies des parents bien en amont du bac), et diversifier les voies d’accès à l’élite, en tout cas rendre moins inégales les perspectives professionnelles des différentes filières du supérieur.

    Tant que l’accès aux grandes écoles se fera sur la base d’une sélection scolaire biaisée dès les petites classes, tant que l’accès aux positions les plus enviables mettra en compétition des jeunes dotés par leurs familles d’atouts inégaux, aussi longtemps donc que les familles seront inégales à maints égards, les politiques publiques de démocratisation ont peu de chances d’aboutir, sans compter qu’on ne s’attend pas à ce que ceux qui parviennent actuellement à accaparer les grandes écoles et leurs débouchés militent pour ces changements…

    Marie Duru-Bellat , Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

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      Une génération sacrifiée : la Covid-19 sur la vie des étudiants

      Alexandre Massaux · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 21 January, 2021 - 04:15 · 3 minutes

    étudiants

    Par Alexandre Massaux.
    Un article de l’ Iref-Europe

    Dès le début de la pandémie, nous avons attiré l’attention sur les risques du confinement pour la situation économique et la santé de la population, particulièrement celle qui se trouve dans une position précaire. Malheureusement les effets néfastes sont en train de se concrétiser. Parmi les victimes, la jeunesse et les étudiants.

    Les effets psychologiquement désastreux du confinement sur les étudiants

    Selon une étude publiée en septembre 2020 par l’Observatoire de la vie étudiante et portant sur le premier confinement, 31 % des étudiants ont présenté des signes de détresse psychologique dans cette période. Nervosité (34 % des étudiants), tristesse et abattement (28 % souvent ou en permanence), découragement (16 % souvent ou en permanence) en étaient les symptômes les plus visibles.

    Trois catégories d’étudiants sont particulièrement touchées : ceux qui ont des problèmes d’argent (46 % contre 24 % de ceux qui n’en ont pas), les étrangers (43 % contre 29 % chez les étudiants français) et les filles (36 % contre 25 % des garçons).

    La grande vulnérabilité mentale des étudiants en difficulté financière montre qu’opposer l’économie à la santé a été un non-sens. Comme le met en avant un rapport parlementaire du 16 décembre 2020, « Pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse », 46 % des étudiants exerçaient en 2016 une activité rémunérée parallèlement à leurs études.

    Le rapport met en évidence l’impact négatif du confinement sur ces emplois : 38 % des étudiants ont été obligés de l’abandonner, 21 % ont travaillé moins et seulement 15 % ont travaillé davantage. Bien évidemment, la plupart des étudiants qui travaillent le font par nécessité, très souvent dans les secteurs les plus touchés par les restrictions, restauration et commerce. On se doute que ce sont eux dont l’état psychologique est le plus en danger.

    Décrochages dans les études supérieures et dans le recrutement

    Cette situation affecte aussi le parcours des étudiants. Selon un sondage Ipsos pour le syndicat étudiant Fage , 84 % d’entre eux considèrent que le confinement a provoqué un décrochage dans leurs études. Ce phénomène ne touche pas que la France. Selon la Fédération des Étudiants francophones de Belgique , 60 % des étudiants se disent être en décrochage et 10 % envisagent d’arrêter leurs études. En outre, le confinement a freiné, voire bloqué, leur entrée sur le marché de l’emploi.

    Comme le montre le sondage Ipsos : « Près de 4 jeunes sur 10 actuellement à la recherche d’un emploi étaient engagés dans un processus de recrutement au moment du confinement, processus qui a été annulé ou suspendu (36 %). »

    Le plus inquiétant peut-être est que ces données ne concernent que le premier confinement. Il faut craindre que la situation ait empiré depuis. On n’ose envisager les risques que ferait courir un troisième confinement…

    La volonté du gouvernement d’offrir un « chèque de santé mentale » , permettant « aux étudiants de ne pas avoir à avancer l’argent des consultations de psychologues en ville » , revient à s’attaquer aux symptômes plutôt qu’à la cause du problème. Envoyer les jeunes se faire soigner psychologiquement aux frais de l’État (et donc du contribuable), ne peut être une solution satisfaisante.

    Mieux vaut prévenir que guérir : en l’occurrence, il s’agirait de laisser davantage de libertés aux jeunes qui sont moins sujets à développer des symptômes graves et de renforcer les mesures ciblées sur les populations vulnérables au virus. Plus généralement, il faudrait rouvrir les universités et les écoles, sous réserves de précautions élémentaires.

    Sur le web

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      La liberté d’instruction disparaîtra avec la loi sur les séparatismes

      Isa Lise · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 04:20 · 5 minutes

    vie des Français Macron

    Par Isa Lise.

    Après la liberté d’instruction, combien d’autres libertés parentales ou individuelles pourraient être remises en question ?

    La communauté sans école sous le choc

    Le 2 octobre, le président de la République a annoncé un projet de loi sur les séparatismes . Au nom de la lutte contre le radicalisme, il entend soumettre l’instruction en famille à autorisation, en réalité l’interdire car les seuls cas évoqués sont ceux du CNED règlementé :

    • Enfants handicapés ou présentant un problème de santé suffisamment grave
    • Sport ou pratique artistique de haut niveau (à prouver)
    • Itinérance non choisie de la famille
    • Éloignement géographique conséquent d’un établissement scolaire

    Pour les familles sans école, c’est un choc terrible.

    Certains ont choisi une vie alternative, à l’écoute de tous les besoins de leur enfant (pas de réveil précoce, pas de sieste imposée ou au contraire supprimée, pas de pipi sur commande, etc.), souvent une vie écologique. Leur mode de vie est remis en question. Leurs opinions ne semblent avoir aucune valeur.

    La liberté naturelle consiste dans le droit de faire tout ce qui ne nuit pas au droit d’autrui. Nicolas de Condorcet

    La devise de la France est « Liberté, égalité, fraternité. Notre Constitution, la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen affirment le droit à la liberté.

    Article 26-3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme :

    « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leur enfant ».

    À quel moment les parents ont-ils perdu ce droit ?

    Le gouvernement affirme qu’il s’agit de lutter contre la radicalisation pour justifier ce choix. Mais aucun chiffre ne permet de l’étayer.

    Le conseil d’État a invité à ajouter une situation supplémentaire au projet de loi devenu « loi confortant le respect des valeurs de la République » :

    « L’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. » (extrait de l’article 21)

    Un choix pour l’enfant, pas contre la République

    La défenseure des droits a pointé des « risques d’atteintes aux libertés », estimant qu’il n’y avait pas lieu de soumettre ainsi l’instruction en famille à autorisation, la loi étant déjà stricte : contrôles, risque d’amende très élevée en cas de non respect, injonction de scolarisation si défaut d’instruction.

    De plus, le gouvernement a reconnu à plusieurs reprises que très peu de familles étaient concernées par un risque de radicalisation !

    Les exemples cités concernent certaines écoles, pas les familles sans école. Les écoles clandestines sont interdites par la loi.

    Alors pourquoi vouloir limiter ainsi ?

    La vie humaine n’est point une lutte où des rivaux se disputent des prix ; c’est un voyage que des frères font en commun… Nicolas de Condorcet

    La souffrance s’ajoute au choc pour un grand nombre de familles sans école.

    Ne devrions-nous pas nous soutenir au lieu de créer des amalgames qui ne correspondent nullement à la réalité ?

    En effet, si certaines familles ont fait ce choix de longue date, pour d’autres, c’est une souffrance de leur enfant qui les amenés sur ce chemin : harcèlement, phobie, système inadapté (précocité, difficultés d’apprentissage, autisme, etc.).

    On pourrait penser qu’au moins ces familles auraient la possibilité de permettre à leur enfant d’apprendre ailleurs qu’à l’école. Rien de moins certain ! En effet, la situation particulière sera évaluée par des tiers. Sur quels critères jugeront-ils ? À l’heure actuelle, le CNED règlementé peut être accordé pour des enfants en phobie scolaire et pourtant, nombreux sont ceux qui n’obtiennent pas cet accord.

    La possible interdiction d’apprendre autrement

    De plus, quelle instruction pour ces enfants qui obtiendraient l’autorisation ? Auront-ils la possibilité d’apprendre autrement ou bien devront-ils être inscrits au CNED qui est une stricte reproduction de l’enseignement à l’école, un système qui est souvent à l’origine de la déscolarisation…

    Les familles sans école sont un grand laboratoire d’explorations . Elles peuvent apporter à la communauté éducative par la pratique de pédagogies alternatives , elles l’ont déjà fait, explorant des chemins oubliés ou de nouveaux chemins.

    Des enfants en danger

    Comment les urgences seront-elles traitées ? Aujourd’hui, si un enfant parle de mourir car il n’en peut plus d’aller à l’école (harcèlement, phobie ou profil particulier), son parent peut le déscolariser en urgence. Si la loi est votée, il devra attendre différentes évaluations, que sa situation soit jugée suffisamment particulière…

    Depuis cette loi, des centaines de familles m’ont écrit leur désarroi et les cauchemars de certains enfants qui ont vécu des moments difficiles, qui commencent seulement à se reconstruire. À plusieurs reprises, on m’a même parlé de volonté de mourir…

    Des élus s’engagent

    Difficile de rester confiant face à une volonté d’acier qui refuse d’entendre les multiples témoignages et de reconnaitre la liberté essentielle ancrée dans notre République. L’espoir réside dans les élus qui s’engagent à nos côtés, conscients que cette liberté essentielle amoindrie risque fort d’être le jeu d’un État totalitaire par la suite. En effet, une fois l’autorisation inscrite dans la loi, il serait très facile pour une tyrannie de s’installer ainsi en manipulant les esprits enfantins.

    Si la volonté gouvernementale n’en est pas là, on peut légitimement s’inquiéter de la perte de cette liberté fondamentale et se demander quelle autre initiative parentale pourrait ensuite être remise en question ?

    Isa Lise est l’auteure de Faire l’école à la maison et L’école à la maison- Des pistes pour apprendre autrement . Elle est également la créatrice du Monde de Mei et Noé

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      Chèque-éducation : comment davantage de liberté peut sauver l’école

      Auteur invité · news.movim.eu / Contrepoints · Tuesday, 3 March, 2020 - 04:15 · 22 minutes

    chèque-éducation

    Par Gabriel Koiran Portier.

    Un bloc uniforme qui tue toute initiative

    Au moment où la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer laisse encore de nombreuses familles dans l’incertitude, intéressons-nous à ce qui dysfonctionne vraiment dans l’éducation française.

    Pour remettre en question les a priori du débat national sur l’éducation, commençons par remarquer ce qui devrait apparaître comme une évidence pour tout libéral : l’hyper centralisation du système éducatif, dictée par une mentalité obsédée par une uniformité sans discernement, ne peut que causer le mécontentement de 90 % de la population – c’est-à-dire toutes les minorités qui n’auront pas réussi à imposer leur vision de l’éducation à toutes les autres.

    La variété factice de l’offre éducative française, entre enseignement général, technologique, professionnel, CAP, et autre REP+, cache en réalité une affligeante uniformité scolaire. Les programmes et les méthodes d’enseignement sont décidés à Paris par des fonctionnaires qui ne sont pas responsables devant les citoyens et encore moins devant les élèves et leurs parents. Une caste d’inspecteurs pénalise l’innovation et le pragmatisme au nom de l’uniformité.

    Les professeurs, personnels souvent très dévoués, bien qu’aveugles par intérêt ou par habitude aux possibilités de la liberté éducative, sont formés et encadrés par le proverbial mammouth, machine administrative d’une inertie à la mesure de son budget.

    Le constat d’un échec

    Après des années de dégradation des opportunités éducatives pour des millions d’élèves abandonnés à l’échec scolaire par un système scolaire étatisé, il est temps d’envisager un changement de paradigme radical.

    En plus de pousser ses employés au suicide plus que n’importe quelle entreprise privée , les responsables de l’administration scolaire étant dépourvus de toute responsabilité pour leurs actes, la hausse continue des moyens donnés à l’Éducation nationale au cours des dernières années s’est traduite par une baisse irrémédiable du niveau ( https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/2492222/FPORSOC16m6_F5.6_depenses-education.pdf graphique 3 ). En plus de cette comparaison temporelle, une analyse spatiale révèle une corrélation inverse entre niveau de dépense et résultats des élèves .

    Contrairement à ce que voudrait faire croire un discours égalitariste supposé justifier l’existence de l’Éducation nationale, le système public, la carte scolaire (il suffit de voir l’échec du transport scolaire pour comprendre qu’elle découle nécessairement d’un tel cadre) est génératrice d’ inégalités et de concentration sociale . Alors que les résultats de l’Éducation nationale seraient jugés catastrophiques s’ils étaient le fait de n’importe quelle entreprise, les propagandiste de l’État louent l’égalité républicaine qu’elle permettrait soi-disant d’accomplir. On doit ce manque de bon sens à une idéologie qui exige qu’à chacun soit servi le même menu quelles que soient ses particularités, et non qu’il ait accès à un budget pour choisir sur la carte ce qui lui permettra de s’épanouir au mieux.

    Comme l’a mis en évidence la théorie du choix public , toute organisation bureaucratique cherche à croître et à attirer vers elle des financements. L’Éducation nationale n’échappe pas à la règle : elle a la tendance hégémonique de vouloir se substituer aux parents dans tous les choix éducatifs .

    De plus, ce qui est présenté comme une formation à l’esprit critique est en réalité un apprentissage de l’uniformité moutonnière . L’école publique enseigne la conformité aveugle à des exigences ne correspondant pas nécessairement à des facteurs d’épanouissement intellectuel ou de réussite dans la vie adulte. Alors que le passage par un système étatisé et universel pouvait être justifié au moment de l’émergence d’une république laïque et universaliste sous la IIIe République -bien qu’il se soit, rappelons-le, largement inspiré de l’enseignement religieux et notamment jésuite qui le précédait-, il est temps aujourd’hui de repenser ce modèle sclérosé, alors que la massification scolaire est à présent acquise.

    Comment réparer l’école ? La solution de la liberté

    Qui sait quelles possibilité s’ouvriront aux enfants de France quand des parents qui n’ont rien à perdre, sinon quelques mois de la vie de leur enfant de toute façon voué à l’échec scolaire dans notre système actuel, pourront enfin se permettre de recourir aux services de quiconque proposera une méthode alternative ? Il s’agit de faire passer l’éducation privée d’ un luxe à une possibilité ouverte à tous.

    Les possibilités sont réellement infinies, comme en atteste la floraison de formes d’institution et de méthodes dans les domaines privés que sont l’enseignement musical ou sportif par exemple.

    Il convient de ne pas adopter une vision normative consistant à dire qu’il faudrait appliquer telle ou telle solution, mais plutôt de laisser la concurrence et la motivation des parents (étouffée par le système actuel) faire leur œuvre. Autrement dit, faire confiance aux tâtonnements et aux expérimentations de multiples écoles pour sélectionner les meilleures méthodes et structures par un processus évolutif, plutôt que par de grandes réformes à l’emporte-pièce qui mettent des années à être implémentées pour être remplacées par d’autres au prochain ministère. Ce ne sera donc pas non plus une solution miracle, mais un nouveau cadre qui permettra l’épanouissement d’une immense variété de solutions différentes. Plutôt que de vouloir faire une grande réforme du système, confions son futur à l’expérience pratique des professeurs et à leur intelligence collective.

    Après tout, tous les professionnels de l’éducation le savent, chaque enfant est différent. Chacun a ses particularités, ses forces, ses faiblesses, ses ambitions et ses désirs, ses facultés et ses phobies, sa manière la plus efficace d’apprendre… Chaque famille a également son envie, ses projections, son projet. L’Éducation nationale ne pourra jamais répondre à cette diversité.

    Le principe du chèque-éducation

    Initialement popularisée par Milton Friedman , l’idée du chèque éducation est assez simple : donner à chaque famille qui retire son enfant d’une école publique un chèque annuel équivalent à ce qu’aurait coûté son éducation. La famille serait alors libre de dépenser ce chèque dans n’importe quelle école agréée selon certains critères. Loin d’être une réforme comme les autres, il s’agirait donc d’un changement radical de la logique de l’éducation.

    De nombreuses expérimentations ont déjà fait leurs preuves, avec d’excellents résultats : Flandres, Chili, Suède (qui est beaucoup plus libérale que la France sur bien des aspects). Dans la ville de Milwaukee aux États-Unis, 26 % des familles y ont déjà recours, dont de nombreuses dans les quartiers les plus populaires. Dans notre pays, qui depuis les lois Ferry a une culture intransigeante de centralisation et d’uniformisation scolaire, cela ne ferait pas de mal d’essayer une voie radicalement différente.

    La vieille diabolisation du privé, dénoncé systématiquement comme un égoïsme, sert hélas à tétaniser une opinion publique face à la réalité suivante : l’instauration du chèque-éducation sera une formidable égalisation des chances, en plus d’une avancée de la liberté, car aujourd’hui les plus aisés peuvent déjà se permettre de scolariser leur enfant dans une école hors contrat et donc de payer de fait deux fois, par leurs impôts et les frais d’inscription.

    Cette possibilité serait désormais ouverte à tous, et ce à moindre coût : le seul surcoût serait celui des familles qui ont actuellement recours à une école privée hors contrat. Au nombre de 73 000 (primaire à université confondus) et avec un coût moyen de 10 000 euros par an, cela représenterait la maigre somme annuelle de 730 millions, à comparer aux 52,7 milliards dépensés chaque année par la seule Éducation nationale .

    Ce moment passé, le coût supplémentaire initial serait plus que compensé par le gain social à terme d’une telle réforme ; encore une fois, voilà une dépense supplémentaire avec un effet levier d’amélioration potentielle gigantesque. En somme, coût marginal nul pour l’État, opportunité supplémentaire pour les parents : c’est une réforme gagnant-gagnant, dont les seuls perdants sont les intérêts privés liés au système éducatif et les idéologues d’État.

    Une application au cas français

    Les bienfaits que la concurrence apporterait sont énormes, comme ils le sont dans presque tous les autres champs de la vie économique.

    Il est en effet évident que l’éducation n’échappe pas à la règle économique qui veut que la concurrence puisse au fil du temps faire davantage avec moins de moyens, contrairement à une pensée fallacieuse hélas trop répandue qui veut que balancer plus d’argent sans discernement améliorera le sort des élèves . Assorti d’un fatalisme éducatif , cet état d’esprit généralisé attribue l’échec d’une génération à la nature des élèves plutôt qu’aux défaillances du système. De fait, les pays qui dépensent le plus ont tendance à être ceux ayant les pires résultats.

    On peut suggérer que c’est parce que ce sont ceux qui ont tendance à avoir une administration bureaucratique et une sclérose des méthodes et des programmes la plus avancée : États-Unis, Belgique, France, Espagne, Autriche…

    Il existe en effet des bonnes et des mauvaises manières de dépenser davantage d’argent dans le système éducatif : on peut mettre plus de moyens aveuglément, ou bien utiliser des outils financiers différents (calcul du salaire des professeurs, internats, rationalisation administrative et du personnel non-enseignant…) pour réformer en profondeur le système. L’idée que c’est en finançant davantage le mammouth qu’on aide les élèves et qu’on améliore la qualité globale de l’éducation pour les élèves français est tout simplement fausse. Cette focalisation malsaine sur le budget total se fait au détriment des résultats réels et de l’égalité des chances .

    Soulignons qu’un système par chèque-éducation n’aurait rien à voir avec les actuelles écoles privées sous contrat, bien plus publiques que privées, obéissant aux programmes de l’Éducation nationale et recrutant des professeurs en tous points conformes à ceux enseignant dans les établissements publics, car formés dans le même moule. On y mettra donc fin. Elles n’ont que la particularité de pouvoir faire payer les parents pour les petits bonus d’un enseignement religieux, de différences des horaires de cours, voire de couleur des murs ou de durée de la pause de midi… Même dans l’enseignement privé hors contrat, le directeur doit avoir la nationalité européenne et enseigné cinq ans dans un établissement homologué en Europe, en plus de devoir prouver au rectorat qu’il obéit au socle commun de connaissances. En somme, aucun moyen de se libérer de la surveillance du recteur.

    Ce système pourrait s’appliquer de la maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur, en calculant le coût moyen d’un élève pour toutes ces tranches d’âge. Concernant l’enseignement préscolaire, il existe tellement de manières de stimuler intellectuellement un petit enfant, tant la plasticité cérébrale est élevée. Pourquoi ne pas permettre cette expérimentation, et laisser chaque parent orienter son enfant vers les activités auxquelles il répond le mieux ?

    L’actuel scandale de l’électoralisme et du favoritisme dans l’attribution des places de crèches montre que l’État est un appareil au service des intérêts privés et des plus favorisés. La compétition pour un nombre de places en crèche rationné à cause de l’inefficacité des dépenses démontre mieux que tout autre exemple la pertinence dans le domaine éducatif de la formule de Bastiat, l’État, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde , et l’hypocrisie des défenseurs de gauche du statu quo.

    L’étatisation des décisions éducatives ouvre la voie à toutes sortes d’endoctrinements.

    Que ce soit dans l’enseignement moral et civique, la manipulation des programmes d’histoire (le débat malsain entre science objective et apprentissage du patriotisme), les biais dans les programmes de sciences économiques et sociales (faut-il vraiment s’étonner que le mot libéral soit compris comme une insulte dès l’adolescence), l’éducation est instrumentalisée dans des débats sans fin où chacun essaie d’avoir le dernier mot sur l’éducation que recevra l’enfant de son voisin.

    Les politiques susceptibles d’autoriser une transformation de l’ampleur du chèque-éducation savent bien qu’il n’est pas dans leur intérêt de perdre le contrôle sur la manière dont est dépensé l’argent des impôts destinés à l’éducation. Ils savent aussi qu’en perdant la maîtrise du contenu de l’enseignement, ils ne pourront plus utiliser les programmes scolaires comme arme politique et un outil de promesses démagogiques : voir les débats absurdes sur le voile à l’école, la théorie du genre , l’éducation sexuelle, les menus halal, bios et végétariens , la méthode d’apprentissage de la lecture… autant de questions personnelles qui n’ont rien à faire dans un débat de politique publique.

    Et autant de questions qui ne seraient pas génératrices de conflit, si le soin d’en décider était laissé aux parents, plutôt que d’imposer une uniformité pseudo républicaine somme toute fort superficielle lorsque on voit les différences de traitement entre élèves à l’échelle de la France, et l’état de l’infrastructure scolaire. Les tensions accrues par ces polémique inévitables lorsque des millions d’enfants sont confiés à une instance centralisée sont dommageables à tous les acteurs du monde éducatif.

    Un cadre général pour libérer les possibles

    Nombre de théories s’affrontent également sur le but de l’éducation : signal, capital humain… L’Éducation nationale est le fruit d’une superposition complexe de couches historiques et de volontés politiques, si bien qu’il devient difficile de discerner son but : orienter les élèves vers l’enseignement supérieur ? Leur donner les compétences de base pour la vie ? Les former pour le travail ? Être de bons citoyens ? Au vivre-ensemble ?

    Cela devrait être le rôle des parents et des élèves eux-mêmes de décider ce qu’ils attendent de l’éducation. Il conviendrait pour cela d’instaurer à la fin de la scolarité obligatoire un diplôme de base assorti d’un test annuel attestant d’une évaluation standardisée en prévision de la sélection universitaire, en remplacement du baccalauréat devenu complètement inopérant. Un seuil minimum de progression à la réussite de ce test d’une année à l’autre pour la globalité des élèves d’un établissement privé pourrait fonder l’éligibilité pour l’encaissement de chèques éducatifs ; une telle méthode d’évaluation éviterait toute interférence trop poussée dans les programmes précis de l’enseignement et dans ses méthodes.

    D’aucuns diront, à la vue des innombrables faillites et absurdités du système éducatif, qu’il conviendrait simplement de faire ceci ou cela. Mais cela nous placerait à nouveau dans ce cycle vicieux sans fin, où l’on pousse divers curseurs un peu plus dans un sens ou dans l’autre, et où personne n’est jamais satisfait par l’unique proposition collective. L’Éducation nationale resterait comme aujourd’hui ce hamster tournant éternellement dans la roue des réformes pour alimenter la dynamo de l’illusion égalitaire. En dépit de ces quelques suggestions, gardons-nous donc bien de reproduire l’erreur qui consiste à vouloir imposer des méthodes sans savoir si elles fonctionneront vraiment pour tout le monde.

    Nous ne disposons évidemment pas encore de la marche exacte à suivre pour cette réforme. Il restera de nombreux détails à régler concernant l’étendue des exigences du test de fin de scolarité, l’examen des comptes et les dépenses autorisées, la neutralité idéologique et religieuse des écoles, les restrictions éventuelles sur la sélection ou la vigilance concernant la discrimination…

    On peut toutefois la voir comme un régime de transition vers un état où le gouvernement n’aurait absolument plus rien à voir dans l’éducation, et où la standardisation, le maintien de l’Éducation nationale comme filet de secours, et l’attribution de chèques éducation ne seront plus nécessaires.

    Utiliser l’argent public et la surveillance des fonctionnaires peut en effet apparaître comme contraire à un idéal libéral, mais peut être nécessaire comme simple outil dans une période de transition à court terme. En attendant, il convient de conserver ces composantes publiques, dans l’optique de garantir une égalité des chances qui permettra d’aboutir aux conditions nécessaires pour que cette utopie éducative libérale puisse bénéficier à tous.

    Les évolutions concrètes à court terme

    Au fur et à mesure que les écoles libres se développent et essaiment, que les essais et les échecs font fleurir un écosystème riche et divers de pédagogies et de structures, l’idée est bien sûr de voir disparaître à terme le filet de secours que sera devenue l’Éducation nationale, à mesure que toutes les familles se seront rendues à l’évidence qu’il est préférable de scolariser leur enfant dans l’une de ces nouvelles écoles.

    Un deuxième chemin non moins préférable est également possible, dans lequel les politiciens finissent par se rendre compte qu’ils doivent adapter le système jusqu’à être à la hauteur de l’exigence des familles, et que la répartition des élèves entre public et privé se stabilise pour atteindre une forme d’équilibre.

    Cette suggestion que l’Éducation nationale est destinée à, sinon disparaître, du moins se réduire substantiellement, fera bien sûr peur à tous les rentiers et intéressés du système. Maintenant que nous avons présenté l’idéal, il convient donc par souci de pragmatisme d’étudier quelques obstacles concrets qui pourraient faire passer une telle réforme plus aisément.

    Au départ, et durant une décennie, la situation pourrait évoluer difficilement avec la fermeture de nombreuses écoles du fait de la transition des élèves, une organisation compliquée de la coordination des programmes, l’inspection des comptes pour vérifier l’absence de rétrocession des fonds aux parents… Mais elle finira par se stabiliser. Il y en aura pour tous les goûts, des écoles les plus traditionnelles aux plus expérimentales. On pourrait également envisager une période transitoire qui passerait par une simple décentralisation de l’enseignement au niveau des collectivités locales, comme c’est en grande partie le cas en Allemagne.

    La question des professeurs de l’Éducation nationale et de leur statut d’emploi à vie devra également être réglée ; que deviendront-il lorsque le nombre d’élèves diminuera dans l’enseignement public ? Une fois les réticences initiales dépassées, ils seront nombreux à trouver davantage satisfaction dans la vision et le projet éducatif de tel ou tel établissement plutôt que dans le système actuel dont ils sont tout autant victimes que les familles .

    À ceux qui craindraient une discrimination ou une concentration des élèves selon leur niveau, on rétorquera que la nouvelle configuration pourra difficilement être plus ségréguée que l’actuelle, basée sur la carte scolaire, disposition qu’il faut absolument dépasser. Le chèque éducation permettra aux écoles de sélectionner au mérite si elles le souhaitent et non sur les moyens et la détermination des parents à investir dans l’immobilier comme c’est le cas à  présent, et donc de couper le cordon déterministe inter-générationnel.

    Certaines écoles seraient libres de pratiquer la discrimination positive, ou de s’associer sur la base d’affinités extra-scolaires, de personnalité, de religion, d’excellence dans un domaine particulier, de préparation d’une filière donnée… Finalement, un égalitariste comme Amartya Sen , chantre des capabilités comme mesure d’une bonne société, pourrait se retrouver dans cette vision, malgré la divergence nette dans les moyens utilisés pour y parvenir.

    Pourquoi tant d’inertie ?

    La question d’une plus grande liberté de choix dans l’éducation est virtuellement absente du débat public français, du moins depuis les grands combats pour l’école libre en 1984, où il ne s’agissait néanmoins que de défendre le statu quo de l’école sous contrat. Cette situation politique est radicalement différente du cas américain où la question des school vouchers est plus ou moins connue de tous, à défaut d’être largement implémentée, à cause de notre culture de la passivité consistant à nous appuyer par défaut et malgré toutes les preuves contraires, sur un État jugé omniscient qui peine à trouver des justifications rationnelles lorsqu’il s’agit de gérer aussi directement qu’il le fait un service comme l’éducation qui pourtant n’a rien d’un monopole naturel.

    Coupons court immédiatement à l’argument tant de fois ressassé que l’éducation d’un seul bénéficie à tous, et qu’il convient donc de la socialiser. Dans un débat télévisé au sujet du financement public de l’éducation supérieure , Milton Friedman a si bien réfuté cet argument applicable à tous les domaines, qu’il nous ferait déduire assez naturellement la nécessité d’une collectivisation totale de l’économie nationale  :

    Friedman : Laissez-moi vous poser une question […] . La société a-t-elle bénéficié de la commercialisation par Henri Ford du modèle T ?

    Jenkins : Oui, je le pense
    Friedman : La société aurait-elle donc dû subventionner la production du modèle de voiture de Henry Ford ?
    Jenkins : […] Bien qu’il puisse y avoir un groupe d’individus qui soient pauvres, que ces individus puissent être imposés, et que ces impôts puissent financer l’éducation de quelqu’un, ils n’y perdent pas, car la société bénéficie d’avoir un cœur de la population qui soit éduqué.

    Friedman : Excusez-moi, là se trouve l’essentiel. La société a bénéficié de la production de la Ford T, et les personnes pauvres dont vous parlez ont profité du fait que Ford fasse cela. Et pourtant vous ne pensez pas que l’État aurait dû utiliser la contrainte de l’impôt pour créer ce bienfait. Quelle différence ?

    Tout est dit.

    Mais alors, d’où vient le blocage ? Pourquoi n’avons-nous pas encore institué un système qui ne coûterait rien de plus ni aux parents ni à la collectivité, qui serait ouvert aux riches comme aux pauvres, au régions urbaines comme rurales, au enfants de maternelle comme aux lycéens ?

    Tout d’abord, l’habituelle puissance et pouvoir de nuisance gigantesque des syndicats d’enseignants du fait de leur forte qualification qui les rend difficilement remplaçables à moyen terme, et de leur position dominante du fait du monopole dont dispose l’Éducation nationale ; c’est une profession très organisée, avec une forte conscience de corps et arc-boutée sur son statut.

    Les professeurs penseront, à raison, qu’après une telle réforme suivra une hémorragie de l’Éducation nationale. Nombre d’entre eux devront tracer leur propre chemin et inventer une nouvelle manière d’enseigner en rejoignant une école privée ou en créant la leur, ou encore en tant qu’indépendant. Leur salaire sera alors soumis à une pression concurrentielle, et les forces du marché leur dicteront une progression de salaire qui correspondra à l’efficacité et l’évolutivité de leurs méthodes pédagogiques et non à une grille de carrière.
    D’où des slogans absurdes qui ne manqueront pas de fleurir : on veut tuer l’éducation, un enseignement au rabais, rupture de l’égalité républicaine, c’est chacun pour soi…

    Les seules personnes reconnues comme professionnels de la question sont hélas celles qui ont tout intérêt à conserver le statu quo. Il est donc temps d’introduire de la diversité dans le monde éducatif. Il est normal, disons-le, que les professeurs cherchent à défendre leurs intérêts, mais collectivement il est indispensable d’apprendre à les dépasser au nom de la liberté et de l’intérêt de tous.

    Concernant une crainte de la hausse des coûts administratifs du fait d’une privatisation, soulignons que l’Éducation nationale emploie déjà un agent administratif pour trois professeurs. La privatisation aura davantage tendance à inciter les établissements à réduire ce type de dépenses inutiles. Encore une fois, étant donné la possibilité pour tout parent de revenir dans le giron de l’Éducation nationale s’il estime le secteur privé non avantageux (aujourd’hui équivalent au coût d’un élève dans le public) du fait de la multiplication des dépenses de publicité et d’administration qu’est censée engendrer le privé, les écoles en abusant se trouveront bien vite éliminées.

    Conclusion

    Les étatistes ont raison de louer l’égalité des chances et le pouvoir formidable d’émancipation de l’éducation. Mais ils prétendent pour cela sauvegarder un système qu’ils considèrent égalitaire et juste.

    Or, ce système échoue massivement dans les quartiers, et il est un trou financier sans fond.
    Une réforme libérale permettrait d’améliorer le sort de tous, au détriment de personne, apporterait du confort professionnel aux enseignants.

    Hélas, ils préfèrent leurs principes d’égalité fictive mâtinée de républicanisme aveugle à une réelle amélioration des conditions, et à un pragmatisme social soutenu par de forts principes de liberté et d’égale dignité.

    Donnons à toutes les familles qui ne peuvent pas encore se le permettre la possibilité de sortir du carcan financé par leurs propres impôts, et rendons à tous les enfants victimes du sous-développement de leurs capacités l’opportunité de trouver l’enseignement qui leur convient.