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      Énergie : le gouvernement lit-il les rapports de France Stratégie ?

      Michel Negynas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 29 January, 2021 - 03:40 · 12 minutes

    France Stratégie

    Par Michel Negynas.

    Le Premier ministre dispose d’un organisme de prospective, France stratégie .

    La dernière étude de France Stratégie

    France Stratégie définit ainsi ses missions :

    « France Stratégie contribue à l’action publique par ses analyses et ses propositions. Elle anime le débat public et éclaire les choix collectifs sur les enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Elle produit également des évaluations de politiques publiques à la demande du gouvernement. Les résultats de ses travaux s’adressent aux pouvoirs publics, à la société civile et aux citoyens. »

    Elle succède au Commissariat général à la Stratégie et à la prospective, et elle est un lointain successeur au Commissariat général du Plan.

    Beaucoup de ses analyses tombent dans un écologisme parfois quasi radical. Il est d’autant plus remarquable qu’en matière d’énergie, elle tranche avec le politiquement correct. Elle vient de publier une note d’analyse sur la sécurité de l’approvisionnement électrique en Europe à l’horizon 2030 .

    Et ce n’est pas rassurant, surtout qu’en matière industrielle, 2030 c’est demain. Il y a donc peu de chances que la situation puisse être significativement améliorée d’ici là.

    Quelques extraits

    Dès les premières phrases :

    « Dans la prochaine décennie, les nombreux arrêts de centrales pilotables, au charbon ou nucléaires, actuellement programmés et dont les conséquences concrètes semblent assez peu intégrées dans le débat public, pourraient renforcer l’importance de cette question. »

    Et le diagramme introductif dit tout : au niveau européen, la demande en pointe est supposée rester constante à 400 GW ; de 50 GW de surcapacité en 2020 (à condition que tout fonctionne à 100 %,) on passe à 25GW de sous capacité en 2035. Ces chiffres sont en plus optimistes car les puissances par nature sont inégalement réparties géographiquement, comme par exemple l’hydraulique. Or, les distances et les capacités d’interconnexion ne permettent pas de faire n’importe quoi.

    La première leçon est qu’il faut raisonner :

    • au niveau européen, alors que chaque État décide de diminuer ses capacités en espérant se faire dépanner au besoin par les autres.
    • en capacités pilotables, car les producteurs intermittents et aléatoires ne peuvent assurer une quelconque fourniture à la pointe d’hiver. Le soi-disant foisonnement du vent et du solaire sur toute l’Europe est une légende urbaine.

    Mais France Stratégie enfonce le clou :

    En France, on est déjà limite, même en raisonnant en capacité moyenne ; et la pénurie à 2035 est concentrée sur l’Allemagne, la Belgique et la France, c’est-à-dire le cœur du réseau européen.

    RTE essaie de chiffrer les probabilités que l’on soit en situation tendue compte tenu des scenarii de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE). Elles sont loin d’être nulles. On peut donc s’attendre à des périodes d’extrêmes fragilités du réseau. Elles donneront lieu à des coupures coordonnées si tout se passe bien. Mais tout incident, même mineur, peut provoquer le black out en cascade dans une telle situation. La gravité  de cette éventualité est extrême. L’approche devrait donc être sécuritaire, et pas probabiliste.

    Mais ce n’est pas tout.

    « Par ailleurs de fortes proportions d’ENRi complexifient le pilotage des réseaux, comme l’a montré la première période de confinement. L’apparition de congestions de plus en plus fréquentes sur les réseaux, en particulier de distribution, oblige les GRT (les centres de contrôle)  à faire du « redispatching » et à déconnecter sélectivement un certain nombre d’installations (« écrêtement»). Ces opérations sont d’autant plus complexes que les ENR ont priorité d’injection sur le réseau, sont très réparties sur le territoire et peuvent connaître des variations de production très rapides. L’Observatoire Capgemini a rappelé dans son édition datée du 3 novembre 202029 que l’Allemagne et le Royaume-Uni ont subi pour ces raisons des quasi black-out respectivement les 21 avril et 23 mars 2020, en pleine crise de la Covid, les gestionnaires de réseau s’étant trouvés à court de moyens permettant de conserver l’équilibre du système. »

    Comme cela a été maintes fois signalé sur Contrepoints , l’éolien et le solaire , en plus de ne guère contribuer à la production, fragilisent le réseau.

    Sur le plan économique et ses conséquences sur l’investissement, France stratégie observe, comme tous les experts :

    « L’arrivée de quantités massives d’ENRi, avec des coûts marginaux quasi nuls, sans tenir compte des conditions d’intégration au système électrique, a entraîné une chute des prix de marché de gros, de plus en plus souvent négatifs. Ce marché ne permet plus de déclencher les investissements nécessaires à la transition énergétique, ou simplement au maintien d’un accès fiable à l’électricité. »

    Enfin, France stratégie met les pieds dans le plat :

    « Le nouveau cadre européen de gouvernance (de l’énergie) tend à valoriser les investissements vertueux d’un point de vue environnemental, en particulier avec la taxonomie verte. Cependant, pour assurer l’atteinte de ses objectifs, il est essentiel d’assumer ses implications politiques. »

    La taxinomie verte a fait l’objet d’un article ici .

    Traduite en langage clair, si l’Europe veut vraiment poursuivre sa fuite en avant vers les énergies éoliennes et solaires, il faudra dire aux citoyens qu’ils devront baisser leur consommation et au besoin, admettre des coupures d’électricité.

    En conclusion, parmi ses recommandations, France Stratégie ne peut que dire :

    « Les énergies renouvelables matures posent des problèmes spécifiques d’intégration au réseau alors même qu’elles devraient voir à court terme leur part en puissance dépasser celle des centrales conventionnelles. Au risque de rendre non pilotable le système électrique, elles doivent donc le plus rapidement possible être en mesure de contribuer à son équilibre technique (participation à la réserve, au traitement des congestions réseaux […] Au niveau européen, on observe qu’en contradiction avec les objectifs climatiques et d’indépendance énergétique, plusieurs pays européens ont décidé de compenser les fermetures de centrales au charbon ou nucléaires par la mise en service de centrales à gaz, un moyen de production flexible et peu capitalistique. Cela se fait dans l’urgence pour certains (Belgique), de façon plus planifiée pour d’autres (Italie, Allemagne, Espagne) ou de manière prévisionnelle pour d’autres encore (pays de l’est de l’Europe). »

    Il n’y a donc pas que sur Contrepoints qu’on peut lire ça.

    Il est possible que les propos alarmistes distillés depuis quelques mois soient consécutifs à cette étude, et que nos gouvernants découvrent le problème. Mais ce n’est pourtant pas la première fois que France Stratégie tire la sonnette d’alarme.

    Il y a des précédents

    En août 2017, elle a publié une étude sur la transition énergétique allemande , qui est le modèle de notre transition puisque comme eux, nous voulons atteindre plus de 90 GW d’énergie intermittente (ils en sont en fait, maintenant, à 110 GW)

    Une des conclusions est la suivante :

    « La facture présentée au consommateur est très élevée pour la montée en puissance des ENR déjà accomplie, environ 25 milliards d’euros par an sur une durée de vingt ans. Les ENR qui se développent aujourd’hui sont encore soutenues financièrement et des coûts annexes imprévus, mal quantifiés mais très importants, apparaissent pour la construction de lignes et le maintien de la sécurité du réseau. Mais le plus inquiétant à court terme est peut-être la sécurité d’approvisionnement, car le réseau est aujourd’hui fragilisé par des flux massifs non contrôlables et intermittents d’électrons lorsque le solaire et l’éolien tournent à plein. »

    C’était en 2017, peut-être faut-il du temps à un gouvernement pour réaliser… sauf que France Stratégie faisait déjà en 2014 les constatations suivantes dans une étude intitulée « La crise du système électrique européen ».

    Cette étude s’attache plutôt aux conditions de marché, qui sont elles aussi surréalistes. Mais on y trouve :

    « L’’intégration massive d’énergies renouvelables subventionnées et prioritaires sur le réseau conduit à une situation de surcapacité, déprime les prix de l’électricité sur le marché de gros (ils deviennent même parfois négatifs) et dégrade fortement la rentabilité des centrales thermiques à gaz : dans l’UE-27, près de 12 % des capacités thermiques fonctionnant au gaz pourraient fermer en l’espace de trois ans. Or ces centrales sont indispensables à l’équilibre du système qui doit faire face à l’afflux d’ENR intermittentes et aléatoires. Dans le même temps, d’importants investissements sont nécessaires au renouvellement des infrastructures vieillissantes. Plusieurs grands opérateurs, en graves difficultés financières – leur endettement net a doublé au cours des cinq dernières années –, auront du mal à y faire face .

    C’est-à-dire qu’à cause des caractéristiques des ENR, ces programmes de transition  sont tellement irréalistes qu’ils génèrent des conditions de marché qui éjectent les investissements nécessaires à la sécurisation du réseau ; en 2020, on en voit le résultat. On voyait déjà le problème dans les services du gouvernement en 2014.

    Et si on veut chercher les avis des vrais experts, il faut aller en 2012. En vue de préparer la Loi sur la transition écologique, une commission a été mise sur pied . Elle était dirigée par messieurs Grandil et Percebois, experts mondialement reconnus en collaboration avec France Stratégie.

    Elle a fait huit propositions dont la troisième :

    « Ne pas se fixer aujourd’hui d’objectif de part du nucléaire à quelque horizon que ce soit, mais s’abstenir de compromettre l’avenir et pour cela maintenir une perspective de long terme pour cette industrie en poursuivant le développement de Gen-4. La prolongation de la durée de vie du parc actuel paraît donc la meilleure solution (sous la condition absolue que cela soit autorisé par l’ASN) »

    En fait, la loi de Transition énergétique a pris l’exact contrepied des huit propositions !

    Est-ce que ça va changer ?

    Visiblement, les décideurs ont pris peur. Mais c’est juste pour 2023 ! Après ça ira mieux, on pourra arrêter 14 centrales nucléaires ! Pour l’instant, envers et contre tout, on en reste à la stratégie initiale décidée à des fins purement électorales. Contre l’avis de la Cour des comptes, de l’Académie des technologies, de France Stratégie…Un KW d’éolien et de solaire est toujours censé être équivalent à un KW gaz ou nucléaire !

    Évidemment, d’autres organismes gouvernementaux sèment le trouble : l’ADEME s’aligne plus ou moins sur Greenpeace, et RTE reste dans l’ambiguïté.

    RTE vient de publier, en liaison avec l’agence internationale de l’Energie, un rapport  faussement intitulé dans la presse : 100 % d’électricité renouvelable c’est possible.

    En réalité, les aspects économiques et sociaux ne sont pas abordés, et pour cause. Mais que dit le rapport ?

    « Ce nouveau rapport, Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050, met en avant quatre ensembles de conditions techniques strictes, qui devront être remplies pour permettre, avec une sécurité d’approvisionnement assurée, l’intégration d’une proportion très élevée d’énergies renouvelables variables dans un système électrique de grande échelle, comme celui de la France :

    • Même si elles doivent encore faire l’objet d’une démonstration à grande échelle, il existe un consensus scientifique sur l’existence de solutions technologiques permettant de maintenir la stabilité du système électrique sans production conventionnelle. Des difficultés spécifiques pourraient concerner les systèmes comportant une part importante de photovoltaïque distribué pour lesquels il est nécessaire de poursuivre l’évaluation des impacts sur le réseau de distribution et la sûreté du système électrique.
    • La sécurité d’alimentation en électricité (adéquation des ressources) — la capacité d’un système électrique à approvisionner la consommation en permanence — peut être garantie, même dans un système reposant en majorité sur des énergies à profil de production variable comme l’éolien et le photovoltaïque, si les sources de flexibilité sont développées de manière importante, notamment le pilotage de la demande, le stockage à grande échelle, les centrales de pointe, et avec des réseaux de transport d’interconnexion transfrontalière bien développés. La maturité, la disponibilité et le coût de ces flexibilités doivent être pris en compte dans les choix publics.
    • Le dimensionnement des réserves opérationnelles et le cadre réglementaire définissant les responsabilités d’équilibrage et la constitution des réserves opérationnelles devront être sensiblement révisés, et les méthodes de prévision de la production renouvelable variable continuellement améliorées.
    • Des efforts substantiels devront être consacrés au développement des réseaux d’électricité à compter de 2030, tant au niveau du transport que de la distribution. Cela nécessite une forte anticipation et un engagement public en matière de planification à long terme, d’évaluation des coûts et de concertation avec les citoyens pour favoriser l’acceptation des nouvelles infrastructures. Ces efforts peuvent néanmoins être partiellement intégrés au renouvellement des actifs de réseau vieillissants. »

    Autrement dit, c’est presque possible, à condition de résoudre des impasses technologiques et économiques dont tous les experts disent qu’elles ne seront jamais opérationnelles, en tout cas pas à l’horizon 2050.

    Avec des avis comme ça, on n’est pas prêts de changer de stratégie ! Sauf après un black out ?

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      Les énergies renouvelables handicapent-elles la Chine ?

      Michel Gay · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 26 January, 2021 - 03:50 · 8 minutes

    énergies renouvelables

    Par Michel Gay.

    Fin 2020, plusieurs provinces dans le sud de la Chine (Zhejiang, Hunan, Jiangxi…) ont connu des restrictions de consommation d’électricité et des délestages occasionnant des arrêts de production.

    La Chine manque-t-elle d’électricité à cause des énergies renouvelables ?

    Ce phénomène est aujourd’hui un sujet d’actualité brûlant en Chine. La capacité installée du parc électrique chinois croît pourtant rapidement, atteignant 100 gigawatts (GW) chaque année, dont 60 GW d’énergies renouvelables intermittentes (EnRI).

    Alors pourquoi cette pénurie d’électricité ?

    Deux explications :

    Les restrictions de consommation d’électricité sont provoquées artificiellement dans certaines provinces parce que leur administration doit respecter les normes définies par le gouvernement sur le contrôle de la consommation électrique. C’est le cas de la province du Zhejiang qui était sur le point de dépasser ses seuils en cette période de fin d’année.

    La pénurie d’électricité a obligé de nombreuses entreprises à acheter des groupes électrogènes diesel onéreux et polluants pour assurer leur fonctionnement.

    Un manque de production d’électricité , notamment dans le Hunan et le Jiangsu dû au déploiement massif et rapide des EnRI. Les causes résultent d’un vent et d’un soleil faibles pendant une période froide hivernale entraînant une production éolienne et solaire diminuée, alors que beaucoup d’entreprises rattrapaient leur retard causé par l’épidémie de Covid-19, et que la consommation d’électricité pour le chauffage a augmenté.

    L’éolien comme le photovoltaïque sont des sources d’énergies fatales subventionnées dont la part importante dans la production d’électricité diminue la rentabilité des autres filières conventionnelles. C’est en particulier le cas pour les centrales au charbon qui dominent dans la production d’électricité chinoise et fournissent une ressource électrique stable et pilotable.

    La Chine ne peut donc pas satisfaire en même temps sa sécurité d’approvisionnement en électricité, le développement des EnRI et la baisse de production des centrales au charbon qui permet de pallier les variations de l’éolien et du solaire.

    Le paradoxe chinois avec le développement des énergies renouvelables

    Assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité implique paradoxalement la construction de nouvelles centrales au charbon dans certaines régions chinoises alors qu’elles fonctionnent aujourd’hui seulement 4300 heures par an en moyenne à l’échelle nationale. L’équilibre financier estimé à 5500 heures ne peut plus être atteint avec l’essor des EnRI subventionnées prioritaires sur le réseau.

    Toutefois, le développement des EnRI atteindrait rapidement le maximum supportable pour la sécurité du réseau d’électricité si la filière au charbon ne disposait pas d’une capacité excédentaire pour compenser leurs absences et sécuriser l’approvisionnement.

    Dans cet objectif, la Chine envisage de subventionner les prix de l’électricité issue du charbon bien que la pollution atmosphérique soit devenue un problème politique important pour le pouvoir chinois.

    Préoccupations écologiques

    Le 19ème Comité central du Parti communiste chinois a souligné le besoin de nouveaux progrès dans le domaine de la « civilisation écologique ». La promotion de la croissance à faible émission de carbone et la réduction des rejets des principaux polluants ont été encouragés.

    Dans ce contexte, la mise en service d’une quarantaine de réacteurs nucléaires depuis dix ans dans le pays (dont 30 réacteurs ces cinq dernières années) a apporté une contribution importante à la protection de l’environnement.

    Pour une même puissance installée, le nucléaire produit en continu trois fois plus d’électricité que l’éolien et presque sept fois plus que le photovoltaïque.

    Le choix du type de réacteur à construire s’est porté sur le réacteur chinois de génération III Hualong 1, dont la mise en chantier de quatre nouveaux réacteurs a été autorisée en septembre 2020, annonçant leur déploiement pour les dix prochaines années.

    Le premier réacteur chinois tête de série Hualong 1 de génération III a été connecté au réseau le 27 novembre 2020 à Fuqing. Il avait été mis en chantier en novembre 2014.

    Le journal Le Quotidien du Peuple a souligné que ce couplage au réseau marquait ainsi l’entrée de la Chine dans les rangs des pays avancés en matière nucléaire en brisant le monopole de la technologie étrangère. Ce pays dispose dorénavant d’un tissu industriel complet dans le domaine nucléaire et dispose des compétences requises.

    Le Hualong 1 est appelé à jouer un grand rôle en renforçant la confiance de l’État dans la technologie chinoise ainsi que des pays concernés par la stratégie des nouvelles routes de la soie.

    De plus, son coût de construction en Chine ne représente que 60% du coût d’un réacteur importé.

    Le Président Xi Jinping a dit…

    Lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations-Unies en septembre 2020, le président chinois Xi Jinping a déclaré :

    « Nous visons à ce que les émissions de CO2 atteignent leur maximum avant 2030 et à ce que la Chine atteigne la neutralité carbone d’ici 2060 ».

    Dans cette perspective, le mécanisme de « développement propre » qui inclut le nucléaire sera appliqué.

    Au cours de la période du 13ème plan quinquennal, les EnRI ont connu un taux de croissance annuel moyen de 32 %, permettant à la Chine de se classer au premier rang mondial en la matière. Les parcs chinois représentaient 210 GW pour l’éolien et 204 GW pour le photovoltaïque à la fin de 2019, soit 20 % de la capacité installée électrique du pays (plus de 2000 GW). Ils ont fourni presque 10 % (700 TWh) de la production d’électricité chinoise (7500 TWh) en 2020.

    Mais une proportion élevée d’EnRI dans la production d’électricité crée une forte instabilité. En 2019, des fluctuations de puissances journalières ont dépassé 100 GW sans correspondre aux besoins nationaux. Ces gigantesques variations subites rendent difficiles la gestion de l’équilibre des systèmes électriques car les capacités disponibles de production flexibles au gaz et au fioul sont relativement faibles en Chine.

    À mesure que la part de production des EnRI augmente, les capacités de régulation de la puissance active, de la fréquence et de la tension diminuent, fragilisant ainsi les réseaux électriques qui risquent de plus en plus de pannes en chaîne de grande ampleur.

    Lors du Sommet des Nations Unies tenu le 12 décembre 2020 sur l’ambition climatique, le président chinois XI Jinping a déclaré que d’ici 2030, la Chine :

    1. Abaisserait ses émissions de CO2 par unité de produit intérieur brut (PIB) de plus de 65 % par rapport au niveau de 2005.
    2. Porterait environ à 25 % la part des énergies non fossiles dans la consommation des énergies primaires (les quatre sources non fossiles sont l’éolien, le solaire, l’hydraulique et le nucléaire).
    3. Porterait à 1200 GW au moins la capacité installée des filières éoliennes et solaires (moins de 450 GW aujourd’hui).

    Il s’agit d’un nouvel engagement sur la réponse de la Chine au changement climatique après avoir annoncé en septembre 2020 l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2060.

    Ces annonces montrent la volonté de la Chine d’utiliser toutes les sources d’énergie propre, notamment l’énergie nucléaire et l’hydroélectricité.

    Toutefois, le développement de la filière hydroélectrique reste limité. Déjà 90 % des ressources économiquement exploitables ont déjà été utilisées. Son potentiel est estimé à seulement 402 GW, et les dix prochaines années seront la période finale de son développement.

    En revanche, le nucléaire présente un fort potentiel de développement en Chine.

    Le Livre Blanc sur les énergies

    Le Livre blanc intitulé Le développement des énergies en Chine dans une nouvelle ère publié le 21 décembre 2020 prévoit un rythme de lancement atteignant six nouveaux réacteurs nucléaires chaque année. Le parc nucléaire chinois, aujourd’hui doté de 48 réacteurs, représente une puissance de 50 GW. Il classe la Chine au troisième rang mondial, juste derrière la France et les États-Unis.

    En parallèle, 14 réacteurs sont en construction, représentant une puissance de 15 GW. La capacité installée du parc nucléaire en service et en construction en Chine dépasse donc les 65 GW, ce qui le place au deuxième rang mondial devant la France.

    Et ce parc nucléaire devrait atteindre 150 GW en 2035, conduisant ce pays au premier rang mondial devant les États-Unis (100 GW).

    Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères (WANG Wenbin) a déclaré les 24 décembre 2020, dans une conférence de presse, que son pays avait aussi l’intention d’investir dans des centrales nucléaires de l’Union européenne .

    Malgré un passage difficile aujourd’hui dans sa production d’électricité, la Chine se donne les moyens de ses ambitions pour répondre à ses besoins, tout en visant la neutralité carbone en 2060.

    Toutefois, cet objectif n’est peut-être qu’un affichage politique à l’international pour l’image écologique de la Chine.

    Bien que la Chine se dote massivement de centrales nucléaires (moins de 5 % de la production actuellement) et d’EnRI (moins de 10 % de la production) pour remplacer partiellement les centrales au charbon, à gaz et au fioul qui représentent encore près de 85 % de sa production actuelle, cet objectif sera difficile à atteindre.

    Mais qui sait ce dont est capable la Chine ?

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      L’électricité en passe de devenir un bien rare

      Philippe Charlez · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 12 January, 2021 - 03:30 · 4 minutes

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    Par Philippe Charlez.

    Ce qui est rare est précieux et attise souvent toutes les convoitises. Un collectionneur recherche toujours les timbres ou les pièces de monnaie les plus rares. Une question d’ego chez l’être humain : si je détiens quelque chose de rare, il est peu probable que mon voisin possède le même objet. Détenir la rareté est donc socialement discriminant et pour beaucoup symbole de réussite et de pouvoir.

    Derrière la rareté, se cache aussi une logique économique . Plus un bien est rare plus l’offre est réduite par rapport à la demande et plus son prix augmente. L’origine de la rareté peut être purement naturelle. Ainsi, le prix des métaux contenus dans l’écorce terrestre dépend de leur rareté : alors que la teneur en cuivre est mille fois inférieure à celle du fer, ce chiffre monte à 750 000 pour l’argent et 14 millions pour l’or.

    La rareté conjoncturelle de l’électricité

    La rareté est aussi conjoncturelle : les aléas de la météo ou des périodes de guerre influencent le volume des récoltes, rendant les céréales plus rares et plus chères. Elle est géographique dans la mesure où ce qui est abondant à un endroit peut s’avérer rare à un autre. Enfin, la rareté peut être organisée artificiellement pour faire monter artificiellement les prix, une pratique récurrente au cours de l’Histoire.

    Parallèlement à la rareté, certaines commodités associées à notre société de croissance sont devenues des biens de consommation ordinaire. Tellement ordinaire qu’on ne peut dans notre inconscient en envisager la rareté. Ainsi en est-il de l’électricité. Invisible mais tellement commode, elle nous est délivrée aujourd’hui sans parcimonie.

    Pourtant sa rareté n’est pas si lointaine en Europe. À la fin du XIXe siècle, alors que les villes commencent à s’éclairer, les villages restent pour plusieurs décennies dans l’obscurité. Il faut attendre la fin des années 1930 pour que l’électrification rurale s’accomplisse avec 96 % de la population française raccordée au réseau. L’électricité reste aujourd’hui une rareté quotidienne pour beaucoup de Terriens : en 2020, seulement la moitié des Africains y avaient accès.

    Si la rareté des masques et des tests a accompagné la France durant la pandémie du Covid-19, en revanche l’Hexagone a pu compter sur l’abondance de son électricité nucléaire. Une électricité totalement décarbonée pourtant remise en question par les chantres de la « transition idéologique » préférant à l’abondance du nucléaire la rareté des renouvelables intermittents fournissant de l’électricité entre… 10 % et 20 % du temps. La fermeture purement politique des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim en fut la déplorable expression le 29 juin 2020.

    Ce choix délibéré de la rareté se concrétise aujourd’hui dans les chiffres. Il a été anticipé par de nombreux spécialistes. Le 20 novembre 2020 Michel Negynas titrait dans Contrepoints : « Électricité : faut-il s’inquiéter d’un possible black-out ? » L’auteur y pointe que malgré une puissance théorique de 134 GW, on pourra durant l’hiver compter au mieux sur 90 GW, l’éolien et le solaire étant aux « abonnés absents » durant la majorité de la période hivernale : très peu de soleil avec des journées réduites à 8 heures et presque pas de vent durant les épisodes anticycloniques hivernaux.

    Sans en détailler les raisons, une campagne de communication des autorités a débuté début janvier incitant les Français à consommer moins d’électricité pour éviter un black-out potentiel. Et il y a effectivement de quoi s’inquiéter puisque depuis quelques jours, la consommation flirte régulièrement avec les 90 GW. Ainsi le 7 janvier deux pics à plus de 85 GW ont été observés à 8 heures 15 et à 19 heures.

    Le solaire aux abonnés absents

    Lors de ces pics le solaire photovoltaïque et l’éolien étaient comme prévu aux abonnés absents contribuant pour seulement 1,5 % de la production électrique. Bien décevant quand on compare aux 150 milliards d’euros investis par l’État dans les ENR.

    En choisissant pour des raisons purement démagogiques de réduire le nucléaire au profit des renouvelables intermittents, le gouvernement fait implicitement le choix de la rareté électrique. Une rareté qui comme toute commodité rare s’accompagnera inévitablement d’une flambée des prix du kWh.

    Ce choix est d’autant plus critiquable que l’ objectif de neutralité carbone en 2050 reposera sur une croissance très significative de la demande d’électricité. Pour être socialement acceptable cette électricité devra certes être propre mais aussi disponible et abordable. Seul le nucléaire pourra fournir cette abondance décarbonée.

    Arrêtons pendant qu’il est encore temps cette fuite en avant vers la rareté et relançons la filière nucléaire française en confirmant le plan de carénage des réacteurs existant ainsi que la construction des centrales EPR prévues au plan.

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      Les dégâts de l’éolien et du solaire : les coûts d’acheminement de l’électricité

      Michel Negynas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 29 December, 2020 - 03:45 · 9 minutes

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    Par Michel Negynas.

    L’éolien et le solaire bénéficient de règles complètement anti libérales dans le cadre européen de libéralisation de l’électricité : obligation d’achat de la production, quand il y en a, par le réseau électrique, quel que soit son besoin, et tarifs subventionnés garantis sur des périodes longues. En outre, il en existe une autre, moins connue : l’éventuel surcoût directement lié à leur développement est supporté par le réseau de transport et de distribution.

    Rappelons, de plus, que l’intermittence de ces moyens de production impose d’investir en double dans un réseau de production pilotable, nécessaire pour assurer la continuité du service les nuits sans vent. Cela réduit en fait à néant l’utilité de développer ces producteurs d’énergie aléatoire, qui sont en fait un doublon par rapport à ce qui est absolument nécessaire. Pire, leurs caractéristiques en font des perturbateurs du réseau, ce qui a des conséquences technologiques et financières.

    Quelques notions simples sur notre électricité

    Nous utilisons du courant alternatif au lieu de courant continu : il varie autour de zéro lors d’un cycle et cela 50 fois par seconde, c’est sa fréquence. Cela a plusieurs avantages :

    • il est plus facile à produire par des machines tournantes, et inversement peut faire tourner des moteurs très simples.
    • par le biais des transformateurs, on peut adapter la tension (les volts) et le courant (les ampères) au transport et à l’usage, pour limiter les pertes.
    • le passage à zéro 50 fois par seconde aide les disjoncteurs à couper le courant quand il le faut.

    Par contre, il présente quelques inconvénients.

    • gestion de deux types d’énergie : l’énergie active, qui seule peut se transformer en énergie mécanique, et l’énergie réactive, consommée par certains utilisateurs. C’est une composante importante des réglages du réseau, assez peu connue du grand public.
    • les lignes électriques très longues posent des problèmes de stabilité. C’est pour cela que pour des liaisons à longue distance, on revient à du courant continu au moyen de convertisseurs électroniques. Et c’est pour cela aussi qu’équilibrer géographiquement les puissances sur le réseau se fait de proche en proche. Ce n’est ni évident, ni instantané.

    Les gestionnaires de réseau doivent donc régler les puissances actives et réactives, la tension et la fréquence du réseau dans des limites contractuelles pour que tout fonctionne, avec des contraintes géographiques, et cela à la microseconde près.

    Heureusement, le réseau a la faculté de s’adapter un peu de lui-même lorsqu’il est alimenté par de gros turbo-alternateurs, lesquels ont une grande inertie mécanique et fournissent les deux types d’énergie. Les réglages se font par les régulateurs de ces machines, ainsi qu’avec des équipements assez simples, comme des condensateurs.

    Les dégâts collatéraux des énergies diffuses, intermittentes et aléatoires

    La production diffuse

    Dans des régions à forte densité de population comme l’Europe, centraliser la production d’électricité est une évidence. On montre en effet que les coûts énergétiques sont corrélés à la surface occupée par les moyens de production.

    En outre, plus un réseau est interconnecté, plus il est facile et peu onéreux d’assurer la continuité d’alimentation. (Si vous voulez que votre maison photovoltaïque soit réellement autonome en énergie, il vous faut un diesel de secours pour les jours sans soleil et les pannes). L’interconnexion exige la centralisation de la conduite du réseau.

    En outre, une production à l’aide de grosses unités est plus facile à gérer qu’une multitude de petites unités. C’est une des difficultés intrinsèque à la « production citoyenne » et à la couverture de la France d’éoliennes de 3 MW ou de champs photovoltaïques de 1 ou 2 MW ; ou pire, d’installations en toiture de quelques kW…qui modifient la nature même du réseau électrique de distribution, puisqu’il devient aussi réseau de production.

    Le réglage du réseau

    Une grande partie des petites éoliennes, installées en majorité sur le territoire, de 1 à 3 MW, sont incapables de régler quoi que ce soit. Elles ne participent pas à la stabilité du réseau, au contraire, elles le perturbent. Tant que leur puissance installée totale est assez faible par rapport au réseau, cela n’a pas grande importance.

    Mais les plans de développement de la Programmation pluriannuelle de l’énergie changent la donne. Les grandes éoliennes off shore , elles, doivent s’équiper pour participer à la stabilité du réseau car leur impact individuel n’est pas négligeable : c’est au prix d’une grande complexité des appareillages internes, sources de pannes et d’incidents, et d’équipements spécifiques sur le réseau..

    En ce qui concerne le solaire, qui produit du courant continu, l’injection dans le réseau nécessite de toute façon un convertisseur électronique plus ou moins complexe.

    Mais tout ça n’a aucune inertie : si on n’avait que des ENR sur un réseau, il serait impossible à régler et stabiliser. En outre, tous les équipements électroniques cités produisent un courant très haché, source de pertes et nécessitant eux-mêmes d’autres dispositifs pour le lisser.

    La variabilité instantanée de la production

    La prévision de la production des ENR aléatoires est en gros possible en gros à long et moyen terme. Les variations sur la journée sont moins prévisibles, mais le réseau peut s’adapter, même avec des centrales nucléaires, toutefois au prix d’usure prématurée et de surcoûts.

    Mais il existe une variabilité à très court terme : une rafale de vent, un train de nuages qui passe… Celle là est très perturbante pour le réseau. C’est particulièrement vrai pour l’éolien, on le voit sur la figure suivante (Puissance/vitesse) dans la zone des vents intermédiaires, qui peuvent être prépondérants à certaines saisons, et où une faible variation de vitesse entraîne une grande variation de puissance.

    L’éloignement entre sources de production (régions venteuses) et lieux de consommation

    Ce problème est particulièrement vrai en Allemagne, entre mer du Nord et Ruhr ou Bavière. On a vu qu’en fait, l’électricité se transporte mal sur de longues distances, avec des pertes.

    Les remèdes

    Les ingénieurs ayant une créativité infinie, presque tous ces problèmes ont une solution technologique à base de batteries pouvant stocker quelques minutes de production, de condensateurs ou d’appareillages très sophistiqués à base de semi- conducteurs.

    Jusqu’à une certaine limite cependant. Par exemple l’Irlande, dont le mix est très riche en ENR, expérimente ces difficultés et n’aura de salut qu’en renforçant son interconnexion avec l’Angleterre et peut-être la France. Il va sans dire que toutes ces considérations rendent impossible techniquement un scenario tout ENR.

    Mais voilà, tous les gadgets précités ont un coût… pris en charge non pas par la production qui les rend nécessaires, c’est-à-dire l’éolien et le solaire, mais par les réseaux… En France, le raccordement des ENR est à la charge du réseau, peu de gens le savent.

    C’est ainsi que RTE (Réseau de Transport de l’Électricité) en charge du réseau Haute Tension et ENEDIS, en charge du réseau de distribution, annoncent des investissements faramineux : en tout, 102 milliards sur 15 ans. Et bien qu’ils s’en défendent, une grande partie est directement liée au développement du solaire et de l’éolien.

    RTE annonce 33 milliards : 13 milliards concernent l’adaptation du réseau , 8 milliards le renouvellement des ouvrages les plus anciens , 7 milliards le raccordement des énergies marines , 3 milliards le numérique et 2 milliards pour les interconnexions transfrontalières.

    Autrement dit, la maintenance représente 7 milliards : tout le reste c’est pour les ENR, c’est-à-dire pour les raccordements et pour sophistiquer une conduite du réseau rendue plus complexe.

    Comme l’admet François Brottes, président de RTE : « C’est un peu comme un athlète de très haut niveau qui pratiquait il y a quelques années le triathlon – nucléaire, hydraulique, thermique – et qui maintenant pratique le décathlon : il y a beaucoup d’énergies nouvelles, de modes de consommation nouveaux. » Sauf que le triathlon suffisait…

    ENEDIS annonce 69 milliards. C’est curieux, car la PPE ne prévoit pas d’augmentation de la consommation.

    Il y en a 5,7 pour le compteur Linky si on compte les dépenses totales. La rentabilité est basée sur les économies de personnel qui pourraient être faites sans le Linky. Il y a déjà des procédures permises via une photo du compteur envoyée par mail… En fait, le cœur du Linky, c’est son disjoncteur, qui ne remplace pas le disjoncteur de protection de l’installation. Il est là pour servir un jour, peut être… Il attend son heure, une nuit sans vent par exemple.

    Mais il y a d’autres postes importants : « On passe d’un réseau où l’électricité va dans un sens, du producteur au consommateur, à un système électrique conçu et exploité de manière totalement différente, avec des acteurs nouveaux », remarque Marianne Laigneau, nouvelle Présidente d’Enedis…

    L’entreprise doit ainsi raccorder actuellement 90 % des nouvelles installations renouvelables au réseau d’électricité. Soit 450 000 producteurs d’électricité en tout, pour une capacité de 26 gigawatts raccordés en dix ans… ( Les Échos )

    L’autre poste important, c’est la mobilité électrique : pour 2022, Enedis vise donc aussi 100 000 bornes raccordées au réseau, contre près de 30 000 aujourd’hui. Cela permettra de recharger un million de véhicules électriques environ. « Notre rôle est d’être un facilitateur de cette mobilité électrique. Nous ne vendons rien », insiste Marianne Laigneau.

    L’entreprise aide, par exemple, les collectivités à déterminer quel serait l’endroit le plus pertinent pour installer des bornes de recharge. « Après on tire des câbles » pour connecter ces bornes au réseau, explique la nouvelle dirigeante…( Les Échos )

    Eh oui, on l’oublie toujours, mais multiplier les sources de production et consommation de l’électricité, c’est tirer des câbles de cuivre et d’aluminium. Pas très écologique, et ruineux.

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      L’avenir d’EDF se joue en Angleterre

      Greg Elis · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 25 December, 2020 - 04:25 · 7 minutes

    EDF

    Par Greg Elis.

    Le 14 décembre, le gouvernement britannique a donné suite à une demande d’EDF pour l’ouverture de négociations en vue de la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires EPR. C’est un impératif pour le pays, mais aussi un pas capital pour l’avenir d’EDF et sa technologie des EPR.

    Si rien n’est encore acquis, ce projet, Sizewell C, présente trois caractéristiques intéressantes :

    • la confirmation de relance du constructeur français et de sa technicité,
    • un signe fort pour la COP 26 qui doit se tenir à Glasgow en 2021,
    • la participation directe du gouvernement britannique dans l’investissement.

    Alors que la France est partie pour attendre la mise en service de l’EPR de Flamanville (2024 ?) pour décider de la construction de nouveaux EPR, encore une fois messieurs les Anglais ont tiré les premiers. Longue suite avec Crécy, Azincourt, Trafalgar, Waterloo, Fachoda et Twickenham 2020 (après prolongations). Avec Hinkley Point en cours de construction, c’est 4 réacteurs à 0.

    Le contexte

    Les ambitions britanniques en matière d’énergies sont énormes, à l’échelle des besoins. Le gaz constitue la première source d’énergie et ses réserves sont aléatoires. La consommation d’électricité par habitant est l’une des plus faible d’Europe, de l’ordre de 5 MWh par an contre plus de 8 à l’Allemagne ou la France. Depuis quelques années, la Grande-Bretagne n’exporte plus son pétrole.

    Pour (tenter de) satisfaire à l’objectif de neutralité CO2 en 2050, le gouvernement entend développer l’électricité jusqu’à doubler la production actuelle, dans tous les secteurs, du transport au chauffage. À ce jour le Royaume-Uni dispose de 15 réacteurs tous exploités par EDF Energy, répartis sur 7 sites produisant 51 TWh, soit 16 % de son électricité. Sur ces 15 réacteurs, 14 ont été mis en service avant 1990 et sont de type moyenâgeux graphite-gaz, filière abandonnée en 1969 en France. Avec 40 ans de service, ils seront vraisemblablement tous arrêtés en 2030. Les 4 EPR ne feront que compenser ces arrêts et le Royaume-Uni polluera toujours autant avec ses fossiles (d’importation ?).

    La construction en cours des réacteurs d’Hinkley Point n’est qu’une étape de cette politique de rattrapage du retard. Fin mai 2020, EDF a proposé le projet de Sizewell C. Déplacé par des retards imputés à la pandémie, l’accord du gouvernement a été publié le 14 décembre.

    Curiosité, le gouvernement britannique entend évaluer l’impact de l’utilisation d’un modèle de financement de type RAB (Regulated Asset Base) en envisageant de prendre une participation directe dans le projet, afin de réduire le coût de la levée de fonds privés, maximisant le rapport qualité-prix pour les consommateurs et les contribuables.

    Autre curiosité, le projet déposé prévoit la participation de CGN (China General Nuclear Power Corporation) comme dans le montage pour Hinkley Point (80 % EDF – 20 % CGN). Mais le communiqué du 14 décembre ne fait aucune allusion au partenariat chinois, peut-être en raison des difficiles relations avec la Chine depuis l’élimination de Huawei dans l’attribution du réseau 5G.

    Dernier détail, alors qu’il exploite tous les réacteurs britanniques, EDF a souligné qu’il n’aurait plus vocation à contrôler Sizewell C une fois la décision prise et que ce principe impliquera donc la participation d’autres actionnaires. Dont l’État ?

    Le projet EDF – Angleterre

    Loin de Hinkley Point dans le Somerset (Sud-Ouest), le site de Sizewell C se situe dans l’Est de l’Angleterre (Suffolk), au bord de la mer du Nord. Site nucléaire depuis les années 1960, il comporte une unité A de deux réacteurs de type Magnox, hors service depuis 2006, et un réacteur Sizewell B à eau pressurisée de 1200 MW. Sizewell C comportera deux nouveaux réacteurs, identiques à ceux d’Hinkley Point, chacun d’une puissance de 1600 GW, capables de fournir de l’électricité à six millions de foyers.

    Le coût global est estimé entre 19 et 20 milliards d’euros soit deux réacteurs pour le prix de Flamanville. L’expérience, le site unique (continuité des tâches) et l’effet de série devraient permettre de réduire encore le coût de construction de 20 % selon EDF.

    En rejets CO2, Sizewell C évite 9 millions de tonnes de CO2 par rapport à une production de 3,2 GW d’électricité à partir du gaz. Et, cherry on the cake , EDF Energy propose la construction sur le site de la centrale d’un démonstrateur de capture directe de CO2 et de développer un petit électrolyseur ayant le potentiel de produire jusqu’à 800 kg d’hydrogène par jour.

    EDF est à la recherche de partenaires déjà engagés dans ces secteurs. L’Usine Nouvelle écrit : une centrale nucléaire qui aspire du carbone !

    Cette nouvelle construction créera 25 000 emplois, dont quelques-uns pour les ingénieurs oubliés d’EDF. Près de 70 % des coûts de construction profiteront à des entreprises britanniques.

    Au secours d’EDF

    La maintenance des réacteurs affectée par la crise du coronavirus a entrainé une baisse de la demande et de sérieuses difficultés pour EDF qui amèneront probablement le gouvernement (l’État détient déjà 83,6 %) à recapitaliser massivement le groupe. En prévoyant un retard d’un an supplémentaire sur Hinkley Point, il serait envisagé une recapitalisation de l’ordre de 4 milliards d’euros sur les 20 annoncés d’aides aux grandes entreprises. Comme début 2017.

    Incidence probable également, sur le projet Hercule de restructuration du groupe visant à en sortir le nucléaire, les autres thermiques et l’hydraulique.

    Après les difficultés rencontrées en Finlande et en France, le constructeur français a besoin de redorer son blason. La concurrence est sévère mais limitée. D’autant plus que l’EPR de conception française a été consacré dès son origine comme réduisant d’un facteur 10 les risques des précédentes générations. Sûreté encore améliorée après Fukushima.

    Les Chinois sont actifs, avec l’expérience des deux EPR construits avec EDF. Le Royaume-Uni a lancé le processus de certification réglementaire du réacteur Hualong 1 (dit HPR) en janvier 2017 et en sont au stade final de validation. Envisagé également en Angleterre, puis abandonné, le projet de trois réacteurs de type AP1000 par Toshiba et Engie sur le site de Moorside, au nord-ouest. Toshiba semble se recentrer sur la relance au Japon. Toujours au Japon, GE-Hitachi se consacre aux USA et Mitsubishi construit seulement des équipements, notamment pour EDF.

    L’Inde vit en circuit fermé avec ses propres réacteurs. Côté russe, le réacteur de Rosatom (1200 MW) en Finlande, connait des retards qui font oublier ceux de l’EPR concurrent d’AREVA à Olkiluoto.

    Les États-Unis sont embourbés avec la construction laborieuse de deux nouveaux réacteurs AP1000 de Westinghouse à Vogtle en Géorgie, et semblent s’orienter vers la technologie des petits réacteurs.

    Reste le Sud-coréen KEPCO, qui vient de mettre en service à Abu Dhabi la première centrale nucléaire du monde arabe, Baraka-1. D’autres suivront.

    Face donc aux deux asiatiques Chine et Corée du sud, l’occasion pourrait être donnée à EDF de démontrer sa compétitivité. Objectif : construction en 5 ans et à 10 milliards les 1600 MW.

    La COP 26 en Angleterre

    La COP26 qui devait avoir lieu à Glasgow cette année du 9 au 20 novembre, a été reportée en 2021. Après le retentissant échec de la COP25, il s’agirait de relancer l’Accord de Paris, notamment en réduisant les sources fossiles. Vaste programme, alors que le gaz fait encore partie du quotidien britannique.

    La décision du lancement de Sizewell C serait un signe fort de la nécessité du nucléaire et de l’inanité des énergies dites renouvelables face aux enjeux du réchauffement climatique. Les virus mutent en Grande-Bretagne, les préjugés verts aussi.

    Un peu masochiste et pour se compliquer encore la vie, le 3 décembre, le gouvernement britannique a pris la décision de porter de 61 à 68 % (base 1990) la réduction des gaz à effet de serre avant la fin 2030. Les émissions de CO2 sont de 6,6 tonnes par an et par habitant au Royaume-Uni ; et 5,4 en France.

    De là à affirmer comme Boris Johnson : « Aujourd’hui, nous prenons la tête [des pays occidentaux] avec un nouvel objectif pour 2030, et notre plan [vert] en 10 points va nous y aider », il y un pas qu’il a osé franchir.  Comme ils disent et devraient appliquer : Actions speak louder than words (l es actes sont plus forts que les paroles) .

    Avec l’arrêt de la filière graphite gaz, la mise en service vers 2025 et 2030 des quatre nouveaux EPR n’enlèvera pas un gramme de CO2 à la pollution de la verte Albion. Bel exemple pour la COP !

    Ceci dit, concernant Sizewell C, la décision finale est loin d’être prise. Malgré les affirmations du livre blanc du type : « Nous voulons mener au moins un projet nucléaire de grande échelle à sa décision finale d’investissement » , il conviendrait de ne pas être dépassé sur la ligne, après prolongations, par les ambitieux chinois.