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      Prescription "réactivée" ou "glissante": un mécanisme contre le viol plus complexe qu'il en a l'air

      Youen Tanguy · news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 10 February, 2021 - 19:22 · 6 minutes

    Le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti et le secrétaire d

    VIOLENCES SEXUELLES - Les annonces ont été faites en grande pompe par deux ministres mardi 9 février. Pour mieux lutter contre l’inceste et les violences sexuelles sur mineurs, le gouvernement veut faire évoluer la loi . D’abord par la création d’un nouveau crime qui viendrait mieux les pénaliser, notamment via l’adoption d’un nouveau mécanisme juridique dit de “prescription glissante” .

    Avec la loi actuelle, il arrive fréquemment que seule la dernière en date des victimes d’un même auteur puisse déposer en tant que partie civile à la barre d’un tribunal. En revanche, les autres victimes “sont là uniquement comme témoins”, car les faits les concernant sont prescrits, ce qui n’est “pas supportable”, a déclaré sur Europe 1 le secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des familles Adrien Taquet.

    Avec le nouveau dispositif juridique proposé , “au deuxième crime commis sur un mineur par un même auteur, le délai de prescription du premier est interrompu et tous les crimes pourront ainsi être jugés”, a expliqué son cabinet.

    Interrogé sur France 2 , le Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti lui a emboîté le pas. “Si un même auteur commet cinq faits, que quatre sont prescrits et un ne l’est pas, je souhaite que ces quatre victimes aient un statut de victime et qu’il n’y ait plus de prescription pour les quatre faits à l’origine prescrits”, explique-t-il, préférant au terme de “prescription glissante” celui de “prescription réactivée”.

    Dans un communiqué envoyé ce même jour, les ministères de la Justice et l’Enfance évoquent, cette fois, la “prescription ‘échelonnée’”. Elle “constitue une piste d’évolution réelle sur laquelle s’engage le Gouvernement”, lit-on. Il s’agit de permettre que les victimes d’un même auteur n’aient pas un traitement judiciaire différent. Si pour une victime d’un même auteur le crime n’est pas prescrit, et qu’il l’est pour d’autres victimes, l’absence de prescription de la première bénéficiera à toutes les autres.”

    Incompréhension sur le mécanisme juridique

    Des prises de parole successives qui ont étonné plusieurs juristes, dont Carole Hardouin-Le Goff, maître de conférences à Paris 2, Panthéon-Assas, en droit privé. “Ce que dit le gouvernement me gêne, car de ce que j’en comprends, ce qu’il propose tend à rouvrir des prescriptions déjà acquises, estime-t-elle. Cela manque de sécurité juridique, d’égalité de traitement devant la loi pénale et je ne pense pas que ça pourrait passer le cap du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel”.

    “Quand un avocat sait qu’il demande quelque chose de contraire à la loi, il dit au tribunal: ‘vous aviserez’. Quand un ministre sait qu’il demande quelque chose de contraire à la constitution, il dit aux journalistes ‘je souhaite que’”, lance sur Twitter l’avocat Maitre Eolas, qui semble avoir compris la même chose.

    Mais les annonces ont visiblement été mal comprises. Sollicité par Le HuffPost , l’entourage d’Adrien Taquet nous a dans un premier temps confirmé à demi-mot qu’il s’agissait de revenir sur des prescriptions acquises, avant de préciser ces propos, évoquant des prises de parole des ministres ”à destination du grand public”, mais “pouvant prêter à confusion”. “ Ils ont expliqué le principe mais ne sont pas rentrés dans le détail technique”, assure cette même source.

    Pour bien comprendre l’intérêt de ce nouveau mécanisme juridique complexe, il est préférable de prendre un exemple. Imaginons que la loi souhaitée par le gouvernement a été votée, adoptée et promulguée en juin 2021. Une première victime, Victoria*, a été victime d’un viol en 2020, alors qu’elle était âgée de 14 ans. Le délai de prescription est donc de 30 ans à compter de la majorité de Victoria et court donc jusqu’en 2054.

    Imaginons ensuite que ce même criminel commet un nouveau viol sur mineur, Anna*, en 2044, mais que les faits ne sont découverts que plus tard, en 2060. En l’état actuel de la législation, l’auteur des faits ne pourrait être jugé que pour le viol commis en 2044, les faits étant prescrits dans le cas de Victoria.

    La nouvelle loi qui actera la prescription glissante va justement permettre de “suspendre” la prescription de Victoria si les faits commis sur Anna l’ont été lorsque la prescription de la première était encore ouverte, c’est-à-dire avant 2054. Les délais de prescription repartent ainsi à zéro pour Victoria, qui bénéficierait à nouveau d’un délai de prescription de 30 ans.

    Autre élément important: si d’autres victimes sont ensuite identifiées, le mécanisme se répètera de la même manière. Ainsi, la prescription repartira de zéro pour toutes les anciennes victimes, y compris pour Victoria et Anna.

    Un mécanisme judiciaire qui pourra également bénéficier aux victimes pour lesquelles les faits ont été commis avant la promulgation de la loi, à condition que le délai de prescription court encore.

    “La prescription acquise, un fait constitutionnel”

    “Ce qui est pris en compte est donc bien la date de commission des faits et non pas la date de la découverte de ces faits”, analyse pour Le HuffPost Carole Hardouin-Le Goff. Ce qui permet de prolonger le délai de prescription de certains crimes sans remettre en question les prescriptions acquises.

    “La prescription acquise est un fait constitutionnel”, acquiesce-t-on dans l’entourage d’Éric Dupond-Moretti. Ce que propose le gouvernement est “d’interrompre la prescription si de nouveaux faits (similaires, ndlr) sont commis” par un même auteur.

    Cette proposition du gouvernement reprend en fait celle de la députée LREM Alexandra Louis, déposée il y a quelques semaines , et qui propose que “si l’auteur d’un crime sexuel sur un mineur commet à nouveau un crime similaire sur une autre victime mineure alors que la prescription du premier crime n’est pas acquise, la commission de ce deuxième crime interrompt la prescription du premier, ce qui fait qu’aucun de ces crimes ne sera prescrit et qu’ils pourront tous être jugés en même temps”.

    Protéger les victimes et envoyer un message aux agresseurs

    Pour le gouvernement, l’intérêt de ce nouveau mécanisme judiciaire est double: d’un côté permettre à plus de victimes d’entamer d’éventuelles poursuites judiciaires; et de l’autre, d’envoyer un message aux auteurs de “viols sériels”. “Il est important de faire comprendre aux auteurs qu’ils ne seront jamais tranquilles, avec une prescription qui serait acquise”, assure-t-on dans l’entourage du Garde des Sceaux.

    Il convient désormais d’aller vite, pour permettre aux plus de personnes possible de profiter de ce nouveau mécanisme. Le gouvernement souhaite ainsi profiter des propositions de loi de la sénatrice UDI Annick Billon ou de la députée PS Isabelle Santiago pour faire passer ces mesures. “On a des véhicules législatifs actuellement en discussion au Parlement, dont certaines ont déjà entamé leur navette”, abonde auprès du HuffPost l’entourage d’Éric Dupond-Moretti.

    “Le gouvernement ne cherche pas à s’approprier un travail (parlementaire, ndlr) coûte que coûte, assure cette même source, mais il ne s’agit pas d’attendre pour le plaisir d’attendre. Il faut traduire ça concrètement dans la loi”. Le gouvernement souhaite que la loi soit adoptée dans trois mois pour une promulgation avant l’été.

    À voir également sur Le HuffPost : “Le sceau de l’infamie”: Geneviève Garrigos raconte les violences que l’inceste laisse derrière lui

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      Dupond-Moretti accuse Mélenchon de faire le jeu du séparatisme

      Jade Toussay · news.movim.eu / HuffingtonPost · Friday, 5 February, 2021 - 09:46 · 3 minutes

    POLITIQUE - Éric Dupond-Moretti est “très à l’aise” avec le projet de loi contre les séparatismes. À l’inverse de Jean-Luc Mélenchon qui l’avait étrillé à l’Assemblée nationale , le ministre de la Justice a défendu ce vendredi 5 février sur franceinfo le texte porté par le gouvernement. Accusant au passage le député Insoumis de faire, avec ses propos, le jeu du séparatisme en France.

    Alors que les députés ont adopté la veille — avec une large majorité — une de ses mesures phares , le Garde des Sceaux a estimé que le projet de loi était “un grand texte de libertés” et non pas un “texte anti-musulmans”, comme l’avait déploré le patron de la France Insoumise.

    “J’ai eu beaucoup de peine quand j’ai entendu Jean-Luc Mélenchon”

    Le 1er février dernier, Jean-Luc Mélenchon s’était en effet lancé dans un réquisitoire virulent (à retrouver en tête d’article) à la tribune de l’Assemblée pour défendre une motion de rejet préalable. Sans succès.

    “C’est un scandale d’entendre ces choses. J’ai eu beaucoup de peine quand j’ai entendu Jean-Luc Mélenchon raconter ça à l’Assemblée nationale”, a déploré Éric Dupond Moretti. Avant d’assurer que oui, “incontestablement”, le député des Bouches-du-Rhône encourageait le séparatisme en tenant de tels propos.

    “Il y a des gamins qui écoutent ça. Il y a des gamins qui sont mal à l’aise. Et on est en train de leur dire que le gouvernement prépare un texte anti-musulmans. (...) Si on dit à des gamins que la République les rejette, qu’elle les stigmatise, où est-ce qu’ils vont? Ça, c’est possiblement pour moi, renforcer l’attraction que certains gamins peuvent avoir pour le séparatisme. C’est scandaleux comme propos”, s’est indigné le ministre de la Justice, qui a défendu une loi “faite pour bien distinguer les musulmans, nos concitoyens, Français à part entière (...) des islamistes”.

    “Rappeler les valeurs de la République, c’est plaider pour la liberté: la liberté d’enseigner, de penser, de caricaturer, de se marier avec quelqu’un que l’on aime. Je pense que c’est un grand texte de libertés”, a-t-il souligné.

    En cours d’examen à l’Assemblée nationale, le projet de loi prévoit des mesures sur la neutralité du service public, le contrôle renforcé des associations, une meilleure transparence de l’ensemble des cultes et de leur financement, et encore la lutte contre les certificats de virginité ou la polygamie.

    Mais des responsables catholiques, protestants et encore évangélistes redoutent “un régime de méfiance”, “une approche par la surveillance” et un grignotage de la liberté de culte. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a, elle, émis un “premier avis très critique” sur le projet de loi, qui contient selon elle des “mesures disproportionnées qui portent atteinte aux libertés fondamentales”.

    À voir également sur Le HuffPost: Pour cette députée LREM, l’examen de la loi séparatisme tourne “au tribunal contre l’islam”