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      WallStreetBets : game over pour la finance ?

      Franky Bee · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 1 February, 2021 - 04:25 · 8 minutes

    WallStreetBets

    Par Franky Bee.

    Alors que nos médias franco-centrés avaient le regard tourné vers l’Élysée et Matignon, guettant les éventuels signaux avant-coureurs d’un troisième reconfinement, la planète finance était frappée par un évènement d’une ampleur exceptionnelle.

    En quelques jours, des groupes de milliers, voire millions, d’internautes, regroupés sous la bannière « WallStreetBets » – ou tout simplement « WSB » – ont mis la bourse américaine en ébullition. Et le symbole de cette action initiée à travers des groupes de discussion sur des plateformes telles que Reddit ou Discord, a été l’explosion à la hausse du cours de l’action GameStop .

    GameStop est une société bien connue outre-Atlantique, exploitant depuis les années 1980 une chaîne de magasins spécialisés dans les jeux-vidéo. Une activité de moins en moins rentable du fait de la montée en puissance du commerce en ligne et du streaming , ayant lentement conduit l’entreprise aux portes de la faillite, et avec pour couronner le tout une crise du Covid-19 qui est venue frapper de plein fouet l’ensemble des commerces physiques dits « non essentiels ».

    En clair, l’action GameStop est devenue une cible privilégiée pour des fonds d’investissement spécialisés dans la vente à découvert (les fameux hedge funds ), tels que Point72 ou Melvin Capital.

    Mais l’environnement boursier a quelque peu changé depuis mars 2020, avec l’arrivée massive de particuliers sur les marchés, fortement encouragés à investir par certains gouvernements et banques centrales prêts à tout pour faire remonter les indices. Jusque-là plutôt dociles, certains de ces particuliers ont subitement pris le parti de s’attaquer aux positions vendeuses des fonds spéculatifs, en faisant remonter violemment les cours d’actions comme GameStop via un effet de meute, afin de forcer les fonds à racheter en catastrophe leurs positions.

    De manière inédite, les courtiers en ligne sont intervenus (de leur propre gré ou non), limitant les achats sur certaines valeurs, voire liquidant carrément les positions de certains particuliers à leur insu. C’est notamment le cas du plus célèbre d’entre eux, l’américain Robinhood, dont les mesures à l’encontre de ses propres clients ont mis le feu aux poudres.

    Robin des Bois ou Shérif de Nottingham ?

    Fondée en 2013, la start-up Robinhood a longtemps été perçue comme l’emblème de cette ruée vers la bourse des apprentis traders américains. Il faut dire que les fondateurs de l’application ont toujours tout fait pour apparaître comme une évidence auprès des néophytes des générations Z et Y : un service simple et moderne aux allures de Robin des Bois, offrant à chacun la possibilité d’avoir sa part du gâteau, et bien sûr totalement gratuit.

    Mais vous connaissez sûrement ce vieil adage du monde de l’internet : « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit » . Et le pot aux roses a vite été découvert, puisqu’en juin dernier le célèbre blog Zero Hedge révélait que le modèle économique de Robinhood consistait à revendre toutes les données des ordres de bourse de ses clients au géant Citadel.

    Concrètement, à chaque fois qu’un particulier achète ou vend via Robinhood, Citadel aurait connaissance de son ordre avant tout le monde et pourrait donc passer devant lui (en jargon technique on parle de frontrunning ). Tout cela s’opère à haute fréquence, et reste donc totalement invisible du commun des mortels, mais la conséquence pour le petit porteur est que quelqu’un pourrait s’être discrètement servi sur son prix d’achat ou de vente.

    Si cette controverse n’avait visiblement pas refroidi les utilisateurs de Robinhood, la volte-face sur l’affaire GameStop a été perçue comme une trahison par la communauté des néo- traders . Pire, ceux-ci ont désormais le sentiment que tout est fait pour protéger les fonds d’investissement, et qu’il serait donc impossible de battre Wall Street à son propre jeu.

    Cela étant, non seulement les mesures prises par les courtiers n’ont pas arrêté l’action des WallStreetBets – avec des achats en meute qui continuent à s’opérer sur un grand nombre de titres financiers, mais aussi sur les cryptomonnaies et les métaux précieux – mais en plus un mouvement de fronde assez inédit a émergé sur les réseaux sociaux, en opposition au système financier et à ses dirigeants.

    On y retrouve évidemment ceux que l’on surnomme désormais les « Redditeurs », mais aussi une grande partie de la communauté de cryptos, des grandes figures de la Silicon Valley telles qu’ Elon Musk ou Chamath Palihapitiya (qui n’ont jamais vraiment eu de sympathie vis-à-vis de Wall Street), des politiciens désireux de récupérer l’affaire avec d’un côté des partisans de l’ex-président Trump et de l’autre des membres de l’aile radicale du parti démocrate emmenés par Alexandria Ocasio-Cortez, et enfin tous les sceptiques vis-à-vis de l’action menée par les banques centrales depuis deux décennies.

    « Il n’y a pas d’alternative »

    Pour les autorités politiques et monétaires américaines, l’ironie est cruelle, car c’est via ces mêmes fonds spéculatifs que tout a commencé. En effet, la défaillance de LTCM en 1998 fut le premier d’une longue série de plans de sauvetage d’institutions financières en déroute, avec toujours l’impression donnée aux citoyens que l’on distribue gratuitement de l’argent public à ceux qui ont contribué à créer les problèmes, tout en évitant soigneusement de sanctionner les personnes responsables et d’imposer des réformes de fond.

    Mais le problème ne s’arrête pas là pour les gouvernements et banquiers centraux. En effet, tout semble avoir été fait depuis des années – et encore plus depuis mars dernier – pour inciter les ménages à investir massivement, au son de la rhétorique du « il n’y a pas d’alternative » , corollaire du désormais célèbre « quoi qu’il en coûte ».

    « Pas d’alternative » aux actifs risqués comme les actions et l’immobilier. De quoi justifier n’importe quel niveau de prix au motif que de toute façon les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, et que de toute manière on ne les remontera jamais.

    « Pas d’alternative » non plus à l’ explosion de l’endettement public et de la planche à billets . Ce qui constitue une victoire par KO de la pensée post-keynésienne, sans véritable débat démocratique, et jetant aux oubliettes le concept de destruction créatrice.

    Le problème de cette pensée est qu’elle a conduit les pays occidentaux à agir avec facilité, se satisfaisant de plans de sauvegardes massifs et non-sélectifs à répétition, au détriment de toute réforme sérieuse.

    Dans la durée, ce type de politiques annule tout espoir de reprise durable de la croissance, avec pour uniques perspectives l’hyperinflation des actifs et un problème de perte de compétitivité qui ne cesse d’aggraver. Et alors même que la raison aurait dû conduire à utiliser de manière temporaire les facilités d’emprunt à taux bas pour engager une vraie restructuration de fond, tout en assumant la disparition d’agents économiques sans avenir.

    Toutefois, l’illusion monétaire n’est pas un gadget sans conséquence. Si certains ont pu se gargariser de la hausse des prix des actifs, qu’ils soient financiers ou immobiliers, le souci est qu’une partie de plus en plus grande de la population se voit contrainte de participer à ce jeu absurde de la spéculation par crainte de tomber dans la pauvreté (en économie, on appelle ça la « peur de manquer »). D’où des comportements extrêmes comme ceux des WallStreetBets.

    Frankenstein ou le Prométhée moderne

    Pour résumer ce joyeux bazar fait de tweets et d’émoticônes, les autorités se retrouvent aujourd’hui dans la position de Victor Frankenstein, ayant créé un monstre qui menace de leur échapper et de tout détruire.

    Dans son célèbre roman, Mary Shelley faisait dire à sa créature : « Si je suis méchant, c’est que je suis malheureux. Ne suis-je pas repoussé et haï par tous les hommes ? Toi, mon créateur, tu voudrais me lacérer et triompher de moi ; souviens-t’en et dis-moi pourquoi il me faudrait avoir davantage pitié de l’homme qu’il n’a pitié de moi ? »

    C’est là le fond du problème. En se montrant méprisant vis-à-vis des boursicoteurs, le système économique et financier contribue à catalyser davantage les haines et l’envie d’en finir une bonne fois pour toutes avec Wall Street.

    À ce stade, il ne semble plus y avoir de bonne solution pour les autorités de régulation, au premier rang desquelles se trouve la Réserve Fédérale américaine. Soit elles s’attaquent à ce problème de spéculation incontrôlée, et se voient alors contraintes de redonner une vraie valeur à la monnaie, entraînant de facto l’ensemble des prix des actifs à la baisse. Soit au contraire, elles continuent de laisser faire, et les phénomènes tels que WSB continueront inexorablement à prendre de l’ampleur ; jusqu’au chaos ?

    Comme certains observateurs l’ont répété depuis plusieurs années, au point d’être accusés de complotisme, il est difficile voire impossible de faire marche arrière une fois que la boîte de pandore a été ouverte.

    Autrement dit, l’affaire GameStop pourrait bien déboucher sur un game over pour un système qui n’a eu de cesse de repousser les limites du raisonnable en mettant systématiquement sous le tapis tous les problèmes économiques et financiers.

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      Tesla explose en bourse : Fast and Furious

      Sébastien Thiboumery · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 15 January, 2021 - 04:25 · 2 minutes

    Tesla

    Par Sébastien Thiboumery.

    Tesla a vendu près de 500 000 voitures en 2020. Avec une capitalisation boursière proche de 800 milliards de dollars, cela équivaut à environ 1 600 000 dollars par voiture vendue, contre 9000 dollars pour GM. La valeur boursière attribuée à une voiture Tesla est donc 180 fois plus élevée qu’une voiture de GM.

    Il faut savoir faire preuve d’une grande agilité mentale pour tenter de justifier une valorisation aussi déraisonnable. C’est ce que tente pourtant de faire Bank of America (BOFA) dans une note de recherche du 11 janvier, en augmentant son objectif de cours sur Tesla à 900 dollars, le cours actuel étant d’environ 850 dollars.

    Le broker américain pense que Tesla doit traiter à 23 x EV/Sales 1 et 118 x EV/EBITDA 2 , ce qui est largement supérieur à un fabricant automobile tel que BMW (9 x EV/EBITDA) et une entreprise technologique comme Apple (28 x EV/EBITDA).

    Le raisonnement de BOFA est le suivant. L’augmentation du cours de bourse fournit à Tesla un accès bon marché au capital. Le constructeur a récemment levé 5 milliards de dollars en septembre 2020 suite à une opération de split et 5 milliards supplémentaires en décembre (BOFA est chargé de l’opération).

    Cet argent que l’entreprise n’a pas à rembourser lui permet de financer sa croissance en investissant et augmentant ses capacités de production, devant générer des revenus et des profits incrémentaux, provoquant par là même une augmentation du multiple boursier (le marché attribuant en général une prime lorsque la croissance bénéficiaire accélère), et donc une hausse du cours de bourse.

    Au moyen du storytelling : la vision et la croissance, Tesla jouit ainsi d’un accès au capital sans répondre aux mêmes exigences de rentabilité que ses pairs. Les investisseurs embrassent la vision du fondateur charismatique Elon Musk, devenu l’homme le plus riche du monde , pensant qu’il va révolutionner l’industrie automobile et transformer le stockage d’énergie, et lui fournissent donc régulièrement de l’argent frais permettant de financer des projets risqués tels qu’ envoyer des fusées dans l’espace .

    Un véritable cercle vertueux s’est mis en place et dont l’origine est la hausse du cours de bourse. Mais attention, car l’inverse est également vrai. Une spirale baissière peut tout aussi bien alimenter un cercle vicieux. Et après un parcours boursier exceptionnel (+700 % en un an), une sortie de route n’est pas à exclure. Alors attachez vos ceintures.

    1. EV/Sales : Valeur d’entreprise/Ventes.
    2. EV/EBITDA : Valeur d’entreprise/ Profit brut de l’entreprise, ou encore son chiffre d’affaires moins ses charges d’exploitation.