Par Marius-Joseph Marchetti.
J’écris aujourd’hui ce billet, non point pour me plaindre ou défendre le couvre-feu , étendu depuis vendredi soir minuit à de nouveaux départements, dont celui où je vis.
Je souhaiterais simplement rappeler un fait très simple, d’un point de vue neutre en valeur , que toute action et surtout toute politique, a des conséquences inattendues ( unintended consequences ), qui pourraient aussi bien et mieux être traduit par conséquences involontaires .
Toute personne ayant un peu étudié l’économie en sait quelque chose. Que le couvre-feu soit mis en place avec les meilleures intentions du monde, ou pas, n’y change guère grand-chose.
Tout d’abord, est-ce que cela est étonnant ? Les règles édictées le sont car il existe une certaine croyance sur les résultats que celles-ci peuvent engendrer . De la même manière que chaque individu prend des décisions sous un voile d’ignorance, les hommes politiques et les bureaucrates souffrent des mêmes défauts, tant sur les règles à adopter que sur les schémas de résultats qui en découlent.
Les bars ne sont peut-être pas les plus gros clusters, mais à cause de l’alcool, l’attention se relâche
C’est très probablement l’un des arguments le plus souvent entendu pour justifier la fermeture des bars. A priori , il pourrait presque logiquement se tenir. Pour atteindre un objectif A (limiter la contagion), je mets en place une action (une politique visant à fermer les bars pour 6 semaines). Tout logiquement, on pourrait s’attendre à ce que celle-ci ait des effets positifs et que, ceteris paribus , rien ne change sur le reste des activités. Est-ce le cas ?
D’un point de vue économique, la prohibition d’une activité entraîne toujours son lot de conséquences indésirables. Si l’activité prohibée ne l’est pas entièrement (ici seuls les bars connaissent une fermeture totale), mais seulement sectoriellement, la demande des consommateurs va s’orienter vers les autres secteurs où ladite demande peut être satisfaite.
Nous devrions alors évaluer le fonctionnement d’une règle, de n’importe quelle règle, non pas en fonction de ses résultats dans une situation de choix particulière, mais plutôt en fonction de ses résultats sur toute une séquence de pièces distinctes, séparées à la fois de manière inter-catégorielle et intertemporelle. James M. Buchanan, The Economics and The Ethics of A Constitutional Order – page 46
Si le petit bar de quartier est fermé, il y a de grandes chances que vous trouviez ses habitués traînant dans tous les autres lieux disponibles, comme les terrasses de boulangerie ou celles des restaurants, ou d’autres lieux encore, en faisant appel à leur ingéniosité.
Et cette demande trouvera une réponse, car les entrepreneurs discerneront des poches de profits à exploiter artificiellement créées par la réglementation. Il devient d’un coup plus rentable pour eux d’élargir s’ils le peuvent leurs activités pour accueillir davantage de monde, puisque tout un ensemble d’activités se retrouve en sommeil.
La demande des consommateurs, la somme des besoins individuels répartis sur des échelles de préférence, ne disparaît pas par décret. La nature a horreur du vide.
Il est donc possible que l’une des premières conséquences inattendues du couvre-feu soit qu’un nombre quasi-similaire d’individus, sur une quantité restreinte de lieux et une plage horaire moins étalée, se retrouvent là où la demande s’est déversée du fait d’une prohibition partielle.
Certes, je ne suis pas épidémiologiste, mais cela ne risque-t-il donc pas d’avoir l’effet inverse de celui souhaité, et d’engendrer un effet cobra ?
Laissez-moi vous décrire rapidement l’origine de cette expression :
L’Inde coloniale était infestée par les cobras, et les autorités locales décidèrent d’attribuer une prime pour chaque reptile tué. Au début, le nombre de serpents diminua effectivement.
Cependant, au fur à mesure qu’il allait en diminuant, on s’aperçut que certains élevaient des cobras pour obtenir ladite prime. Les autorités payaient donc le même niveau de primes malgré l’absence de reptiles. La prime a donc été annulée. Autre conséquence inattendue : les éleveurs de cobras devenus inutiles les relâchèrent dans les rues, et Delhi en compta davantage qu’avant l’instauration de la prime.
Le couvre-feu comme redistribution des droits
Il est un effet qui a été brièvement mentionné au-dessus : c’est celui de la perception et captation des profits par les entrepreneurs, hors bars. Dans le cas du couvre-feu , celle-ci pourrait s’apparenter à une forme de privilège de monopole, résultant de l’intervention triangulaire de l’État :
Au lieu de rendre l’interdiction des produits absolue, le gouvernement peut interdire la production et la vente sauf par une ou plusieurs entreprises déterminées. Ces entreprises sont alors spécialement privilégiées par le gouvernement pour s’engager dans une ligne de production, et ce type d’interdiction est donc un octroi de privilège spécial. Si la subvention est accordée à une seule personne ou entreprise, il s’agit d’une subvention de monopole ; si elle est accordée à plusieurs personnes ou entreprises, il s’agit d’une subvention de quasi-monopole ou d’oligopole. Ces deux types de subventions peuvent être qualifiés de monopolistiques. Il est évident que la subvention bénéficie au monopoleur ou au quasi-monopoleur parce que la violence empêche ses concurrents d’entrer sur le terrain ; il est également évident que les concurrents potentiels sont blessés et sont obligés d’accepter une rémunération inférieure dans des domaines moins efficaces et moins productifs. Les consommateurs sont également lésés, car ils sont empêchés d’acheter leurs produits à des concurrents qu’ils préféreraient librement. Et ce préjudice se produit indépendamment de tout effet de la subvention sur les prix. – Murray N. Rothbard, Power and Market – page 43
Effectivement, dans le cas de l’édification du couvre-feu, il est difficile de discerner où l’intérêt de groupe aurait pu se manifester pour engendrer une telle réglementation, quoique l’histoire nous fournisse quelques exemples cocasses.
Cependant, dans les faits, les conséquences économiques restent similaires. La structure de production est modifiée temporairement peut-être, voire intemporellement, en faveur de toutes les entreprises pouvant absorber la demande déviée.
La deuxième conséquence inattendue du couvre-feu, quoique moins inattendue tout de même, est une redistribution des droits des individus.
En plus d’une redistribution de ces droits, le couvre-feu lèse la préférence démontrée des consommateurs, qui se retrouvent servis par des entrepreneurs qui ne sont pas leur premier choix. Sans parler de celle des autres entrepreneurs, dépossédés purement et simplement de leur droit.
Conclusion
Je pourrais encore citer un certain nombre de conséquences inattendues, mais ce ne serait pas un exercice amusant. Ce que je souhaitais rappeler avant tout aux lecteurs et potentiels néophytes, c’est que toute action a des conséquences, attendues et inattendues, qui peuvent nous emmener sur un chemin inverse de celui souhaité.
Vous pouvez critiquer les hommes de ne pas se comporter comme ils le devraient, d’être des égoïstes. Du point de vue de la praxéologie , qu’ils soient égoïstes ou altruistes ne changent pas grand-chose : pour toute fin que possède un Homme, il se servira des moyens laissés à sa disposition pour l’atteindre. Et pour toute mauvaise incitation que vous lui fournissez, il sera contraint d’y répondre.
Malheureusement, ces conséquences inattendues engendrent elles-mêmes des conséquences inattendues. Il ne faut pas douter du fait que face à celles-ci le processus interventionniste aura tendance à se renforcer pour régler ces nouveaux problèmes.
Par exemple, dans le cas du contrôle des loyers , et la pénurie de logements engendrée les multiples fois où il a été implémenté, les pouvoirs avaient tendance à accroître la réglementation et les impôts sur les logements vacants, engendrant ainsi d’autres problèmes. Dans le cas du couvre-feu et ces potentielles conséquences inattendues, devons-nous nous attendre à un confinement général ou plus localisé ? Seul l’avenir nous le dira.
Un article publié initialement en octobre 2020.