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      Le chèque psy pour les étudiants, une mesure encore fragile

      Imane Lyafori · news.movim.eu / HuffingtonPost · Saturday, 13 February, 2021 - 11:13 · 6 minutes

    CORONAVIRUS - La “génération sacrifiée” peine à naviguer à travers cette crise sanitaire. La santé mentale des étudiants se dégrade de jour en jour, certains allant jusqu’à commettre des actes manifestant une grande détresse psychologique. Depuis ce 1er février, un chèque psy est mis à disposition de tout étudiant ressentant le besoin d’être écouté.

    Ce dispositif, introduit par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal , permet de “consulter un psychologue, un psychothérapeute, ou un psychiatre et suivre des soins”, sur trois séances d’au moins 45 minutes chacune. Elles sont entièrement prises en charge sur présentation de sa carte étudiante.

    L’initiative de la ministre de l’Enseignement supérieur, qui est promue comme la solution face aux difficultés psychologiques rencontrées par la jeunesse, dans ce contexte bien particulier, suscite malgré tout des réserves.

    “Flou total”

    Élodie, 23 ans, étudiante en master, a suivi sa première séance mercredi 10 février. Elle a “bien accroché” avec le psy qu’elle a rencontré. Un coup de chance, selon elle: “J e suis tombée sur quelqu’un de très sympathique et vraiment à l’écoute. J’avais peur que ce ne soit pas le cas. J’étais dans le flou total, on ne sait pas vraiment avec qui on prend rendez-vous”, confie-t-elle au HuffPost .

    Un manque de transparence de la part du gouvernement qu’elle déplore. “Ils ne communiquent pas assez sur ce dispositif. Si des amis ne m’avaient pas envoyé le lien , je n’aurais jamais su que c’était possible”.

    Cette absence de visibilité et de précision, la psychologue derrière le compte Twitter @lapsyrevoltee , Gabrielle*, la dénonce aussi: “Il faut indiquer les spécialités des psychologues dans ces listes. Comment voulez-vous aider un étudiant si vous ne savez pas de quoi il a besoin? Comment faire dans le cas où il se retrouverait face à un.e spécialiste des troubles du comportement alimentaire s’il a besoin d’échanger sur des traumatismes liés aux violences sexuelles? Et qu’en est-il de ceux qui sont à la recherche d’un.e praticien.nne bien spécifique type LGBTQ+ friendly ou racisé.e?”.

    La prochaine séance est dans une quinzaine de jours. Je pense faire celles qui sont gratuites. Ce serait bête de ne pas profiter du dispositif après tout. Elodie, étudiante en master

    En sortant de sa première séance, les a priori d’Élodie se sont envolés: “C’était assez dur au début, mais j’ai fini par m’ouvrir. La psychologue m’a aidée à avoir un regard plus positif sur l’avenir. Elle m’a aidée à adopter un point de vue différent sur la situation et à reprendre un peu d’espoir, à me dire que ça allait passer.“

    La jeune femme ajoute: “J’ai surtout besoin que l’on m’aide à gérer mon stress et à faire face aux phases angoissantes. Mais en soi, ça peut aller. [...] La prochaine séance est dans une quinzaine de jours. Je pense faire celles qui sont gratuites. Ce serait bête de ne pas profiter du dispositif après tout.” Elle ne pense pas continuer après ça, car ”ça reste un coût”, avoue-t-elle.

    Mais comment faire quand trois séances ne suffisent pas à soulager un mal-être profond? Une séance d’environ 1 heure chez un psychologue (dans le privé) coûte entre 60 et 90 euros. Les CMP (centres médico-p sychologiques)? Impossible, selon Gabrielle*: “Nous avons dépassé les un an d’attente dans ces centres. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune place de disponible.”

    La praticienne pointe du doigt une mesure créée dans l’unique but “[d’]acheter la paix sociale et [de] ne pas avoir de suicides sur les bras.” Elle affirme, “Pour moi, il n’y a pas de vraie volonté de suivi et d’approfondissement.”

    Il y a un dédain envers la santé mentale en France Gabrielle*, psychologue

    Selon Gabrielle*, “on préfère mettre les gens sous médicaments”. La santé mentale, invisible à l’œil nu, serait sous-estimée en France, d’après elle. “Ce n’est pas de la thérapie mais du screening (dépistage, NDLR), que l’on nous demande de faire. C’est un dispositif de dépistage et non pas une véritable thérapie.”

    Le problème, explique-t-elle, c’est que “trois séances ne suffisent pas pour se lancer dans une thérapie. Et puis, c’est trop dangereux. On risque de réveiller des blessures trop profondes. Et si la personne ne va pas au-delà de ces trois séances (notamment par manque de moyens) alors, c’est prendre le risque de la lâcher dans la nature, dans cet état là”.

    Florian Tirana, président de l’association Nightline , une ligne d’écoute anonyme pour étudiants, fait le même constat, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article : “Cette mesure n’apporte pas de solutions sur le long terme. Les personnes au bout du fil nous parlent essentiellement de leur grande solitude. C’est ce qui les fait le plus souffrir”. L’étudiant explique: “Nos appels ont explosé depuis le premier confinement. On a dû recruter plus de bénévoles. D’autres antennes (Lille, Lyon, Toulouse) vont justement voir le jour pour répondre aux demandes”.

    L’argent comme principal obstacle

    Elodie compte appliquer les conseils de la psychologue: “Elle m’a montré des exercices de respiration en cas de crises d’angoisse.” “J e pense que ces 3 séances sont nécessaires, confie-t-elle, elles peuvent permettre de tenir le coup en cette période compliqué. Je ne suis pas sûre que ce soit suffisant mais c’est déjà ça.”

    Le coût d’un suivi psychologique reste un facteur déterminant. Souvent, pour cause de précarité, les étudiants ne peuvent pas s’offrir le luxe d’être écoutés et compris par un professionnel. “Je ne comprends pas pourquoi une séance chez le kinésithérapeute est remboursée et pas une séance chez le psychologue. La Suède a appliqué ce modèle et c’est très efficace”, soutient Gabrielle*.

    Priver une partie de la population de soins vitaux, qui plus est celle qui représente l’avenir d’un pays, par manque d’accessibilité financière serait “une grave erreur” selon la psychologue.

    “Ubérisation de la profession”

    Cet “effet d’annonce qui permet de ne pas prendre de vraies mesures”, affirme-t-elle, nuirait également aux praticiens. “Il y a une véritable ubérisation de la profession puisque ce dispositif ne nous est en aucun cas profitable.”

    Le dispositif revoit le prix de la séance à la baisse, explique-t-elle: “La séance de 45 minutes ne reviendra qu’à 30 euros. Nous ne récupérerons que 15 euros, tout au plus, sur ces 30 euros. Ce n’est pas acceptable. Ceux qui seront contraints d’accepter de faire partie du dispositif sont certainement des diplômés faisant leurs premiers pas dans la profession ou à l’inverse, des psychologues ayant suffisamment d’expérience et une liste de patients bien fournie pour pouvoir offrir leur aide.”

    “Au bout de trois séances, on fait quoi?”, interroge Florian Tirana, qui prédit: “le problème sera le même, voire pire”. Il réclame une vraie réforme du système de santé, notamment mentale, pour les étudiants: “Structurellement, il faut revoir l’organisation de ces services de santé universitaires qui ont besoin de moyens beaucoup plus importants. Nous n’avons aucune réponse.”

    *Le prénom a été modifié

    À voir également sur Le Huffpost: Ces étudiants au bout du rouleau racontent leur solitude et leur précarité

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      Comment éviter une 4e vague psychologique à nos jeunes - BLOG

      Odile Agopian · news.movim.eu / HuffingtonPost · Friday, 12 February, 2021 - 09:25 · 4 minutes

    Une vie étudiante et sociale entre parenthèses. L’apprentissage de la liberté, la responsabilité, parfois même la vie affective sont mis en pause. Plus de

    COVID - Impossible d’y échapper.

    Si l’inquiétude, pendant la dernière vague, portait principalement sur nos aînés touchés durement par la Covid-19 , les projecteurs sont aujourd’hui braqués sur les jeunes, qui mobilisent toutes les inquiétudes. Une vie étudiante et sociale entre parenthèses. L’apprentissage de la liberté, la responsabilité, parfois même la vie affective sont mis en pause. Plus de “petits boulots” pour subvenir à ses besoins primaires, pour préparer ses vacances ou parfois se divertir. Les tensions sont fortes parfois dans les familles, l’isolement pèse dans la solitude des chambres d’étudiants, l’incertitude est présente pour chacun. Des drames aussi, qu’il s’agisse de tentatives de suicide, de développement d’addictions chez les jeunes ou les étudiants.

    Le sujet doit être au cœur de nos attentions, pour les effets immédiats comme long terme. Nous savions déjà que la prise en charge psychiatrique des jeunes était un défi :

    • La moitié des problèmes de santé mentale commence avant l’âge de 14 ans, mais la plupart des cas ne sont ni détectés ni traités;
    • Lorsqu’ils ne sont pas traités, les problèmes de santé mentale des adolescents ont des conséquences physiques et mentales jusqu’à l’âge adulte, limitant la possibilité pour eux de mener une vie épanouissante;
    • À l’échelle mondiale, la dépression est l’une des principales causes de morbidité et d’invalidité chez les adolescents.

    Il est urgent d’agir

    La France n’était pas épargnée en “temps normal”, et le retour à la vie “d’avant” ne sera pas possible avant plusieurs mois; alors avec la Covid-19, il est urgent d’agir, et les appels sont nombreux, car les symptômes sont déjà observés chez les enfants, adolescents et jeunes adultes (avant 25 ans):

    • Les tentatives de suicide beaucoup plus importantes, ce qui alerte et inquiète tous les professionnels;
    • Le nombre de cas de “troubles dépressifs” explose;
    • Un sentiment d’anxiété, une angoisse perpétuelle, l’augmentation de l’irritabilité et des troubles du sommeil, etc.

    Mais aussi un besoin d’informations et d’être rassurés. Des signes que nous voyons parfois. Une main tendue qui doit être saisie de notre part, proches et professionnels.

    Nous avons appris des confinements qu’il existait:

    • Des inégalités d’accès à l’outil informatique, mais un usage très large du digital par les jeunes, à l’aise dans la communication “en virtuel” devenue essentielle avec eux;
    • Des vulnérabilités sociales, avec beaucoup d’étudiants qui renoncent à des soins pour des raisons financières;
    • Un risque renseigné de décrochage scolaire (à tous les âges).

    Le rapport de Sandrine Mörch et Marie-George Buffet en faisait la synthèse: “les constats sont alarmants: plus de 50% des jeunes sont inquiets sur leur santé mentale; 30% des jeunes ont renoncé à l’accès aux soins pendant le Covid-19 faute de moyens”.

    4 mesures simples et efficaces

    Il est donc impératif de prendre des mesures immédiates qui impliquent tous les acteurs. Les professionnels y sont prêts, encore faut-il leur permettre! Nous proposons 4 mesures simples et efficaces:

    1. Si toutes les consultations concernant la Covid-19 sont prises en charge à 100% par l’Assurance Maladie, il est indispensable de le faire aussi largement et facilement (lever l’obligation d’une 1re consultation physique, étendre le Tiers payant) pour les consultations de psychiatrie ou de psychologie en première intention pour les jeunes jusqu’à 25 ans;
    2. Permettre, à tous les établissements de psychiatrie, avec l’appui des intervenants libéraux partenaires, de faciliter l’accès, mais aussi le suivi des jeunes patients en autorisant clairement la prise en charge en distanciel en Hôpital de Jour;
    3. Permettre aux équipes de se rendre au domicile des jeunes patients devient indispensable dans certaines situations. Il faut donc autoriser la prise en charge à domicile en Psychiatrie dans cette période de crise, avant de la rendre possible dans le “droit commun”. Laissons les professionnels accompagner des jeunes aussi chez eux, quand l’hôpital de jour à distance est trop difficile, ou l’hospitalisation non indispensable;
    4. Inviter les collèges, lycées, facultés et écoles à repérer chez les étudiants les difficultés, et les orienter avec des professionnels pour un premier bilan avec une téléconsultation. Les établissements de psychiatrie doivent pouvoir, en lien avec leur ARS, proposer un dispositif innovant de relations avec les écoles de leur territoire dans les meilleurs délais.

    Nous applaudissons toutes les actions volontaristes engagées, comme le “ chèque psy ”. Tout sera utile, mais pour agir:

    • Que chacun détermine bien sa position, son rôle et ses possibilités dans ce défi;
    • Que l’engagement de chaque structure et professionnel soit celui de produire ses meilleurs efforts;
    • Que la démarche soit sincère pour être au plus près des objectifs déclarés. Chaque jeune que nous aurons aidé aujourd’hui, sera peut-être un jeune en moins demain dont nous devrons assurer une prise en charge lourde et longue pour lui et ses proches.

    Nous devons avoir de nouvelles armes pour affronter une 4e vague à venir qui sera “psychologique”. Avec la conviction que le “vaccin psychologique” existe en France à travers les structures de soins déjà mobilisées et en action, pour éviter les dommages aux adolescents et à nos jeunes.

    À voir également sur Le HuffPost: Étudiante de 21 ans, Lucie interpelle Macron dans une lettre poignante