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      Loi climat : changer de civilisation pour plaire aux écolos

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 12 February, 2021 - 09:24 · 4 minutes

    civilisation

    Par Frédéric Mas.

    « Il s’agit de changer de civilisation, de culture et de mode de vie » , la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili l’a affirmé ce mercredi à l’issue du Conseil des ministres. La loi climat, issue de la fameuse Convention citoyenne , doit tout changer.

    Changer de civilisation, c’est mettre un terme à une civilisation industrielle dont le bilan écologique n’est plus soutenable aux yeux de la nomenklatura politique française. Ainsi c’est à l’aune de cette nouvelle idéologie que le projet d’ajouter un quatrième terminal à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle a été ajourné.

    « Le gouvernement a demandé [à Groupe] ADP d’abandonner son projet et de lui en présenter un nouveau, plus cohérent avec ses objectifs de lutte contre le changement climatique et de protection de l’environnement » a ainsi déclaré Barbara Pompili au journal Le Monde .

    En juin dernier, la filière aéronautique moribonde acceptait l’aide de l’État à la condition de prioriser l’avion « vert » ou « décarboné » sur tous ses autres projets industriels ou technologiques.

    Plus généralement, le plan de relance proposé par le gouvernement investit massivement dans l’écologie pour « aider » un pays qu’il a lui-même participé à appauvrir par son hyper-règlementation et ses mesures politico-sanitaires erratiques.

    C’est aussi fermer Fessenheim , et prier pour que les énergies renouvelables fonctionnent suffisamment bien, y compris quand l’hiver est rude, pour que tout le monde en bénéficie. Ou alors renoncer à ce progrès pour le bien commun planétaire.

    Le nouvel ordre écologique

    Le changement de civilisation, c’est aligner l’ensemble de l’ordre social sur le nouvel agenda écologique du gouvernement, qui, soyons en sûr, nous fera dégringoler dans tous les classements mondiaux en termes de compétitivité économique. C’est ce qui s’est passé pour le secteur automobile national, déclassé au profit de ses concurrents étrangers, et c’est ce qui se passera pour tous les secteurs ou la politique écolo se substituera aux règles du marché.

    Pour beaucoup de défenseurs médiatiques de la Convention citoyenne pour le climat, tout cela ne va pas assez loin. Emmanuel Macron a trahi ses promesses en ne reprenant pas à la lettre les recommandations du comité, tonne-t-on à la gauche de la gauche.

    On retient les piques du président contre cette gauche écolo qui veut revenir à la « lampe à huile » et dont l’horizon anti-technologique se confond avec celui des Amish. On voit derrière les réticences à mettre en place un programme intellectuellement réactionnaire et pratiquement infaisable la mainmise de Big business, ou pire, de l’infiltration des idées « libertariennes » au sommet de l’Etat (sic) .

    Pourtant Emmanuel Macron tient à verdir sa politique, parce que l’écologie lui permet de « gauchir » un peu son image de centriste autoritaire. L’élection présidentielle se rapproche, et le chef de l’exécutif tient à afficher des « marqueurs de gauche » pour séduire les métropoles progressistes. Peu importe si cet électoralisme se fait au prix des libertés individuelles et au profit du capitalisme de connivence.

    Et si Barbara Pompili était sérieuse quand elle parle de changer de civilisation ? Est-ce vraiment à la classe de technocrates et de politiques de diriger le changement et l’innovation dans un pays libre ? Cette prétention intellectuelle, qui repose sur une vision erronée de ses propres capacités à comprendre la complexité du monde social, c’est celle du préjugé rationaliste dont parlait Friedrich Hayek .

    L’illusion rationaliste

    Plus fondamentalement, veut-on, et peut-on vraiment changer de civilisation sur demande ? Là encore, la réflexion de Hayek est éclairante. Dans la Constitution de la liberté (1960), l’économiste rappelle que la civilisation n’est pas la création délibérée de l’homme.

    Si elle est le produit de ses actions, ou plutôt des actions de centaines de générations, elle n’est pas le produit de l’intention d’un homme ou d’un groupe d’hommes. Croire que la civilisation est un projet délibéré est une erreur « intellectualiste » qui ne permet pas d’en comprendre le fonctionnement, et donc d’en diriger l’évolution. L’ensemble d’institutions, de pratiques sociales, de coutumes et d’habitudes forme une sorte de « cerveau collectif », pour reprendre l’expression de Matt Ridley.

    Elle organise la communication et la transmission de la connaissance aux individus. C’est par la transmission institutionnelle de cet ensemble, dont les éléments se sont combinés par sélection et par accident, qu’est née la liberté individuelle.

    Prétendre « changer de civilisation » revient donc à la fois à commettre une erreur intellectuelle rétrograde et à mettre en danger l’écosystème institutionnel et moral de la liberté. Espérons, pour une fois, que l’inefficacité de l’Etat bureaucratique freine ici l’ambition de ses élites.

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      Comment est né le mouvement libertarien ? (1)

      Fabrice Copeau · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 30 December, 2020 - 03:45 · 11 minutes

    libertarien

    Par Fabrice Copeau.

    Durant les années 1960, le mouvement libertarien est marqué par un rejet de l’impérialisme conservateur, la condamnation de la violation des principes libéraux et le refus de la confusion du droit et de la morale religieuse.

    À travers l’héritage des trois traditions anti-étatistes américaines classiques (Old Right, isolationnisme, libéralisme classique), une avant-garde libertarienne, au début coupée de ses partisans, émerge et quitte le Grand Old Party.

    À partir du début des années 1950, les nouveaux conservateurs 1 dotent la droite américaine d’une idéologie englobante qui lui fait défaut. Des revues comme Modern Age et la National Review en sont le fer de lance. La seconde, fondée par William Buckley, est le véritable centre de gravité de ce nouveau traditionalisme.

    La résistance du libertarianisme : une synthèse réactive

    Dans le cadre de la lutte contre le communisme et l’URSS, Buckley distingue clairement entre ce qu’il appelle les « conservateurs de l’endiguement » et les « conservateurs de la libération », pour finalement prendre position en faveur des seconds.

    Une querelle l’oppose ainsi au libertarien Chodorov, pour qui la guerre a créé une dette colossale, entraînant une augmentation continuelle des impôts, la conscription militaire et un accroissement de la bureaucratie. C’est la revue The Freeman qui abrite ces échanges musclés.

    « Pendant la guerre , écrit Chodorov, l’État acquiert toujours du pouvoir au détriment de la liberté » . Schlamm lui répond dans la livraison suivante de la revue que la menace soviétique est telle qu’elle ne saurait être contenue par l’indifférence.

    Ce à quoi Chodorov répond, toujours dans le Freeman , qu’il n’est pas convaincu « de la capacité du gang de Moscou à envahir le monde » . « La suggestion que la dictature américaine serait « temporaire » , ajoute-t-il, rend suspect l’ensemble de l’argument, car aucune dictature ne s’est jamais donné de limite dans la durée de son office » . La guerre, termine-t-il, « quels que soient les résultats militaires, est certaine de rendre notre pays communiste » .

    Une deuxième ligne de rupture est constituée par la politique économique. Au début des années cinquante, la crainte de voir les nouveaux conservateurs sacrifier les dogmes du libéralisme classique à la satisfaction d’un impérialisme messianique catalyse les premières réactions libertariennes.

    C’est du reste à cette occasion que Dean Russell invente le mot même de « libertarien ».

    L’émergence d’un double leadership

    Depuis le début des années 1950, Murray Rothbard trace les contours de la doctrine libertarienne à travers différents articles, en prenant presque systématiquement comme repoussoir les principes conservateurs.

    Toujours dans The Freeman , Schlamm doit en découdre avec Rothbard cette fois, qui avait présenté la célèbre thèse de Mises selon laquelle le communisme s’effondrerait de lui-même et qu’il n’était pas besoin de gaspiller des efforts inutiles pour faire advenir une chute imminente.

    Schlamm s’en prend pour la première fois nommément aux « libertariens », qui, selon lui, « ont raison en tant qu’économistes, mais fatalement tort comme théologiens : ils ne voient pas que le diable est réel et qu’il est toujours là pour satisfaire la soif insatiable des hommes pour le pouvoir » .

    À l’élection présidentielle de 1956, Rothbard soutint le candidat indépendant T.C. Andrews, tout en précisant que parmi les deux principaux candidats, le républicain D. Eisenhower et le démocrate A. Stevenson, le second lui paraissait préférable.

    Pour la première fois, le mouvement libertarien se positionne donc à gauche de l’échiquier politique. Cela a marqué une rupture intellectuelle avec le mouvement conservateur, en attendant la rupture organisationnelle.

    Ayn Rand joue également, durant cette période, un rôle déterminant dans les préparatifs à la constitution du mouvement libertarien. Le cercle de ses adeptes, qui se réunit dans le salon de la romancière, s’agrandit sans cesse, et écoute l’initiatrice lire les épreuves de son nouveau roman, Atlas Shrugged .

    Parmi eux 2 , le futur président de la Fed, Alan Greenspan, est des plus assidus, tout comme Barbara et Nathaniel Branden.

    Comme dans La source vive , son précédent roman, on trouve dans Atlas Shrugged une opposition manichéenne entre des créateurs égoïstes et des parasites étatistes. Parmi les premiers, Dagny Taggart et Hank Rearden sont les principaux protagonistes du roman. Respectivement directrice d’une compagnie ferroviaire et magnat de l’acier, ils s’efforcent l’un et l’autre de résister tant bien que mal aux ingérences du gouvernement et de faire vivre leurs affaires dans le contexte d’une crise sans précédent.

    À mesure que l’État se montre de plus en plus intrusif dans l’économie, les membres du cercle très fermé des créateurs égoïstes disparaissent un à un. On apprend au milieu du roman qu’ils se sont tous réunis dans les montagnes du Colorado, au sein d’une communauté capitaliste utopique, appelée Galt’s Gulch, le « ravin de Galt ». John Galt , dont la recherche de l’identité est martelée tout au long du roman par la question « Who is John Galt ? », est un ingénieur surdoué à l’initiative de la grève.

    Inventeur d’un moteur révolutionnaire alimenté à l’énergie statique, il refuse d’en offrir l’usage à la masse ignorante. « Les victimes sont en grève […] Nous sommes en grève contre ceux qui croient qu’un homme doit exister dans l’intérêt d’un autre. Nous sommes en grève contre la moralité des cannibales, qu’ils pratiquent le corps ou sur l’esprit. »

    Hank Rearden et Dagny Taggart sont tellement attachés à leurs propres commerces qu’ils déclinent toutes les sollicitations de John Galt. Mais la retraite des principaux acteurs de l’économie rend leur situation de plus en plus insupportable. La société américaine traverse des crises de plus en plus préoccupantes, et imputées conjointement aux ingérences des gouvernants et à la forfaiture des créateurs.

    La fin du roman décrit avec emphase une situation apocalyptique. Les hommes d’État, désœuvrés, reprennent tour à tour l’aphorisme éculé de Keynes : « Dans le long terme, nous sommes tous morts. »

    John Galt interrompt soudainement les programmes radiophoniques pour expliquer les causes du déclin. Son discours, comparable à celui de Howard Roark lors de son procès, tient lieu de prolégomènes à la philosophie objectiviste randienne. Galt commence par énumérer les perversions morales sous-tendant l’étatisme ambiant.

    De là le dédain de la masse pour les créateurs égoïstes qui lui apportaient pourtant la plus grande richesse. À la fin, John Galt annonce leur retour à la condition que l’État se retire. Les hommes du gouvernement abdiquent. Ainsi s’achève le roman : « La voie est libre, dit John Galt, nous voici de retour au monde. Il leva la main puis, sur la terre immaculée, traça le signe du dollar. »

    Atlas Shrugged a été désigné comme le deuxième livre le plus influent pour les Américains, juste après la bible, par la Library of Congress en 1991.

    À peine eut-il lu le livre que Murray Rothbard adressa à Ayn Rand une lettre élogieuse dans laquelle il alla jusqu’à reconnaître avoir auprès d’elle une dette intellectuelle majeure.

    Rand accueillit chez elle les membres du Cercle Bastiat, et en particulier Rothbard. Le rapprochement fut cependant de courte durée. Pour soigner sa phobie des voyages, Rothbard fit appel aux services de Nathaniel Branden, qui diagnostiqua qu’il avait fait un « choix irrationnel d’épouse ».

    Rand et Branden invitèrent donc Rothbard à quitter sa femme, et lui offrirent leurs services matrimoniaux pour lui substituer une compagnie plus conforme aux canons randiens.

    Rothbard déclina l’invitation, ce qui mit Rand dans une rage folle ; elle orchestra un procès en excommunication contre Rothbard, ce qui marqua la fin définitive de leur collaboration.

    Les ténors libertariens exclus des instances conservatrices

    Les conservateurs s’employèrent alors à écarter l’avant-garde libertarienne sans toutefois rejeter le mot « libertarien ». Pour faire profiter les militants de ce que la pensée libertarienne était susceptible d’apporter, sans toutefois lui permettre de s’exprimer et de corrompre leurs propres idéaux, les conservateurs ont ainsi œuvré pour priver les principaux leaders libertariens d’expression, en les écartant de la National Review .

    Bien que seul représentant des libertariens parmi les contributeurs de la National Review , Chodorov se désolidarisa rapidement des positions prises par la revue. Dès 1956, celle-ci commença à refuser des articles contestant la légitimité et l’utilité d’une intervention des États-Unis à l’extérieur.

    Rothbard contribua quelques années encore à contribuer à cette revue, mais, comme Justin Raimondo l’explique 3 , les idées économiques exposées par Rothbard étaient purement ornementales, et promettaient de disparaître à la première occasion.

    En 1959, il soumit à la revue conservatrice un article dans lequel il préconisa un désarmement nucléaire mutuel pour mettre un terme à la guerre froide. Le refus, pourtant attendu, de Buckley de publier l’article marqua définitivement la fin de leur impossible collaboration.

    L’exclusion la plus retentissante du mouvement conservateur reste toutefois celle d’Ayn Rand. La condamnation virulente d’ Atlas Shrugged par les éminences du nouveau conservatisme la conduisit à prendre ses distances d’avec le mouvement conservateur en voie d’institutionnalisation.

    Whittaker Chambers va jusqu’à qualifier la perspective de Rand de « totalitaire » en comparant cette dernière au dictateur omniscient du roman de Orwell. Par ailleurs, Rand condamnait sans préavis toute forme de religion. Pour Buckley et les nouveaux conservateurs, un athéisme aussi agressif ne pouvait faire bon ménage avec la composante traditionaliste et religieuse de la coalition en formation.

    Rand présenta même une critique structurée du nouveau conservatisme, en dénonçant ce qu’elle identifiait comme ses trois piliers : la religion, la tradition et la dépravation humaine.

    Comme elle le dit : « Aujourd’hui, il n’y a plus rien à conserver : la philosophie politique établie, l’orthodoxie intellectuelle et le statu quo sont le collectivisme. Ceux qui rejettent toutes les prémisses du collectivisme sont des radicaux. » 4

    À leur corps défendant, les conservateurs se brouillent aussi avec des auteurs qu’ils auraient pourtant aimé conserver dans leur giron. C’est tout particulièrement vrai de Friedrich Hayek. Dans un article célèbre, intitulé « Pourquoi je ne suis pas conservateur » 5 , il regrette que le contexte de l’époque associe les libéraux aux conservateurs.

    Il congédie l’axe gauche-droite qui insinue que le libéralisme se trouverait à mi-chemin entre le conservatisme et le socialisme, et propose de lui substituer une disposition « en triangle, dont les conservateurs occuperaient l’un des angles, les socialistes tireraient vers un deuxième et les libéraux vers un troisième ».

    La « peur du changement », typique de la pensée conservatrice, se traduit chez eux par un refus de laisser se déployer librement les forces d’ajustement spontanées, et par un désir de contrôler l’ensemble du fonctionnement de la société. De là « la complaisance typique du conservateur vis-à-vis de l’action de l’autorité établie » .

    « Comme le socialiste, le conservateur se considère autorisé à imposer aux autres par la force les valeurs auxquelles il adhère. » L’un comme l’autre se révèlent ainsi incapables de croire en des valeurs qu’ils ne projettent pas d’imposer aux autres. « Les conservateurs s’opposent habituellement aux mesures collectivistes et dirigistes ; mais dans le même temps, ils sont en général protectionnistes, et ont fréquemment appuyé des mesures socialistes dans le secteur agricole. »

    Hayek condamne aussi l’impérialisme conservateur, emprunt d’un nationalisme et d’un autoritarisme des plus délétères.

    Enfin, il convient de noter qu’Hayek ne rejette pas le terme « libertarien », comme on le lit souvent. Il lui reproche simplement son irrévérence à l’endroit d’une tradition qu’il entend pourtant perpétuer, mais ne rejette en rien ce qu’il recouvre, et encore moins l’inspiration qui l’a fait naître. Toutes ces ruptures intellectuelles ne font que précéder la rupture partisane, qui ne tarda pas à intervenir.

    Article initialement publié en décembre 2010.

    1. Il convient de distinguer ces nouveaux conservateurs des néoconservateurs. Ces derniers interviendront un peu plus tard, à la fin des années 1960 autour de journaux comme Public Interest et Commentary , et derrière des personnalités comme Daniel Bell, Irving Kristol, Patrick Moynihan et Norman Podhorez. Pour simplifier, on peut décrire les nouveaux conservateurs comme des traditionnalistes anticommunistes, qui se réfèrent à l’histoire et s’autorisent de Burke ; les néoconservateurs comme d’anciens démocrates hostiles à l’évolution progressiste de la gauche, ayant pour code le droit naturel et se réclamant de Tocqueville. Les deux mouvements conservateurs se coalisèrent dans les années 1970 pour préparer la victoire de Reagan en 1980.
    2. Le groupe se baptise ironiquement The Collective.
    3. Justin Raimondo, Reclaiming the American Right , p. 189.
    4. A. Rand, « Conservatism : An Obituary » (1960), in Capitalism : The Unknown Ideal , New York, Signet, 1967, p. 197.
    5. F. A. Hayek, « Pourquoi je ne suis pas conservateur », in La Constitution de la liberté , 1960.
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      Hayek avait raison : on trouve les pires au sommet

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 28 December, 2020 - 04:40 · 7 minutes

    hayek

    Par Lawrence W. Reed.
    Un article de The Foundation for Economic Education

    Alors que la liberté progresse de façon remarquable dans le monde ces dernières années — depuis la chute de l’empire soviétique jusqu’à la montée des privatisations —, nous ne sommes toujours pas en manque d’étatistes aux desseins stupides et destructeurs.

    La meilleure explication sur les motivations de telles personnes à accéder au pouvoir passe par la lecture du chapitre 10 La sélection par en bas (« Why the Worst Get on Top » en version originale) extrait du chef d’œuvre de Friedrich Hayek , La route de la servitude .

    Quand Hayek a écrit son livre le plus connu en 1944, le monde était captivé par la notion de planification centrale socialiste. Tandis que chacun en Europe et en Amérique dénonçait la violence du nazisme, du fascisme et du communisme, l’opinion publique était conditionnée par une intelligentsia étatique qui considérait que ces « excès » de socialisme étaient des exceptions évitables. Si seulement nous étions sûrs que les bonnes personnes étaient aux commandes, disaient-ils, la main de fer se fondra en gant en velours.

    Ceux qui pensent que, pour reprendre les termes de Hayek, « nous ne devons pas craindre le système mais le risque qu’il soit géré par de mauvaises personnes » sont des utopistes naïfs qui seront éternellement déçus par le socialisme.

    En effet, c’est toute l’histoire de l’étatisme du XXe siècle : la quête sans fin d’un monde où le rêve pourrait effectivement se concrétiser, camper sur une position jusqu’à rendre la catastrophe trop gênante et évidente, puis s’en prendre aux personnes plutôt qu’au système, et enfin passer au prochain inévitable sujet de déception.

    Peut-être qu’un jour, le dictionnaire définira un étatiste comme une « personne qui n’apprend rien de la nature humaine, de l’économie, de l’expérience, et qui répète les même erreurs encore et encore sans se soucier du sort de ceux et celles qu’elle écrase de ses bonnes intentions ».

    Hayek expose que même les pires caractéristiques de l’étatisme « n’en sont pas des sous-produits accidentels » mais des phénomènes qui lui sont inhérents. Il soutient avec perspicacité que « les peu scrupuleux et désinvoltes ont plus de chances de réussir » dans toute société où l’État est considéré comme la réponse à tous les problèmes. C’est précisément ce genre de personnes qui promeut le pouvoir sur la persuasion, la force sur la coopération.

    Les États, ayant par définition un monopole légal et politique de l’usage de la force, les attirent comme les excréments attirent les mouches. Ce sont les mécanismes gouvernementaux qui leur permettent in fine de causer des ravages parmi nous. Un demi-siècle après Hayek, il ne se passe pas un jour sans que les journaux n’en fournissent de nouveaux représentants, et des pires, qui parviennent au sommet. Deux personnalités récentes, de part et d’autre du globe, vont me permettre d’illustrer la sagesse de Hayek.

    Lionel Jospin et Mahathir bin Mohamad

    En France, le 10 octobre 1997, le Premier ministre socialiste Lionel Jospin soumet une loi qui réduit d’autorité la durée de la semaine de travail . Dès l’année 2000, les employeurs doivent la réduire, de 39 à 35 heures, sans réduction de salaire. Par démagogie, Jospin a promis aux Français que cette loi créerait beaucoup d’emplois.

    Bien sûr, il ne s’est pas agi d’une sollicitation cordiale du gouvernement aux employeurs de la nation, mais d’une exigence, sous peine d’amende, d’incarcération, voire les deux, pour ceux qui ne s’organiseraient pas avec leurs salariés.

    Le Premier ministre a omis de préciser que l’État-providence le plus réglementé et le plus cher d’Europe s’était chargé d’évincer la main-d’œuvre de nombreux marchés et avait généré le chômage élevé qu’il prétendait vouloir réduire.

    En Malaisie, pendant cette même semaine d’octobre, le Premier ministre Mahathir bin Mohamad fustigeait les « voyous », « crétins » et « néo-colonialistes » , auxquels il reprochait la chute de la valeur du ringgit, la monnaie malaisienne.

    Nostalgique des détraqués acharnés d’hier, il a même suggéré que les difficultés économiques de la Malaisie étaient le résultat du « programme des Juifs » . Il n’a pas demandé la fin de la politique gouvernementale de production de ringgits pour des projets futiles comme le gratte-ciel le plus haut du monde, mais plutôt la proscription des échanges de devises « inutiles, improductives et immorales ».

    La conviction de Jospin que l’instauration des 35 heures hebdomadaires obligatoires, à revenu égal et moindre production, serait source de création d’emplois est évidemment absurde, car vouée dès le départ à produire davantage de chômage, chaque employé étant devenu plus coûteux pour son employeur.

    La tentative de Mahathir d’imputer la faute à n’importe qui sauf à lui-même est tout aussi absurde. Peut-être se rêve-t-il en nouveau roi Knut le Grand, ordonnant la fin des vagues d’échanges de devises, solution à tous ses problèmes. Bien évidemment, elles parviendront toujours à Mahathir, mais il aura l’occasion de trancher quelques têtes au passage.

    L’analyse de Hayek

    Ces deux ignares représentants de la scène politique internationale ne le savent pas, mais ils jouent le scénario de Hayek. Dans son chapitre sur le nivellement par le bas, il qualifie les planificateurs centraux de dictateurs en puissance, qui « obtiennent l’adhésion des gens dociles et crédules qui n’ont pas de convictions personnelles bien définies et acceptent tout système de valeurs à condition qu’on leur répète des slogans appropriés assez fort et avec suffisamment d’insistance » . Aux dernières nouvelles, Jospin et Mahathir ont reçu l’assentiment des dociles et des crédules.

    Le démagogue étatiste, observe Hayek, a recours à « la haine d’un ennemi » et « la jalousie des mieux nantis » afin de gagner « la fidélité sans réserve des masses » . Pour Jospin, c’est la cupidité des employeurs privés ; pour Mahathir, ce sont les Juifs. Les plus mauvais adorent user du fanatisme pour récupérer des voix sur la route du pouvoir.

    Hayek considère que « l’homme moderne a de plus en plus tendance à se juger moral simplement parce qu’il satisfait ses vices par l’intermédiaire de groupes toujours plus importants » et note que « le fait d’agir pour le compte d’un groupe semble libérer les hommes de maintes entraves morales qui interviendraient s’ils agissaient d’une façon individuelle, à l’intérieur du groupe ».

    Peut-être que nos deux Premiers ministres s’opposeraient personnellement à quiconque contraindrait leurs patrons sous la menace d’une arme, ou à celui qui lyncherait publiquement un négociant de devises, mais ils ne voient aucun inconvénient à faire de ces activités des orientations politiques nationales.

    Donnez beaucoup de pouvoir à l’État et des personnes stupides sans aucune tolérance pour l’altérité feront la queue pour y travailler. Ceux qui respectent les autres, les laissent tranquilles et attendent la même chose pour eux-mêmes, cherchent ailleurs un emploi productif dans le secteur privé. Plus l’État grossit, plus les plus mauvais se hissent à son sommet, comme Hayek nous l’avait prédit en 1944.

    Les Français et les Malaisiens font partie de ceux qui, en ce moment, à la lecture du chapitre 10 de La route de la servitude , trouveront que F.A. Hayek décrit précisément cette misérable route qu’ils ont choisi d’emprunter.

    Traduction d’Antoine Dornstetter pour Contrepoints de Hayek Was Right: The Worst Do Get to the Top .

    Cet article a été publié une première fois en 2016.