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      Cannabis : encore un long chemin avant la légalisation

      Théophile Gacogne · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 22 January, 2021 - 04:30 · 7 minutes

    cannabis

    Par Théophile Gacogne.

    S’il y a un débat qui reste encore assez fermé en France, c’est celui sur la légalisation ou la dépénalisation du cannabis. Alors que les lois se sont plutôt assouplies un peu partout en Europe et dans le monde, la France privilégie toujours la répression pour les consommateurs.

    L’interdiction du cannabis en France date de 1970 et de nombreux observateurs estiment que ces 50 années de pénalisation sont un échec. Il faut bien avouer que le bilan est difficile à défendre, puisque d’après l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, nous sommes les plus gros consommateurs d’Europe.

    Le gouvernement est-il en train d’avancer sur la question de la légalisation du cannabis ?

    Depuis l’arrivée à l’Élysée du président Macron, on peine à voir une évolution. Depuis mon dernier papier sur le sujet , un Conseil d’analyse économique rattaché à Matignon avait pourtant apporté des éléments au Premier ministre en faveur de la légalisation en 2019…

    Le rapport, purement financier, pointait du doigt l’échec des politiques actuelles. On pouvait notamment lire que « la prohibition a favorisé l’expérimentation du cannabis du fait de sa très grande disponibilité, et cela en dépit d’investissements massifs dans la répression » . Depuis 1970, les interpellations pour une simple consommation ont été multiplié par 50, sans pour autant que la courbe du nombre de consommateurs ne cesse de monter.

    Cette répression coûte cher, puisque le rapport indiquait que 568 millions d’euros sont dépensés chaque année pour lutter contre le cannabis.

    Les économistes voient surtout une manne fiscale énorme échapper aux poches de l’État. Ils estiment qu’une consommation de 500 à 900 tonnes chaque année en France pourrait rapporter entre 2 et 2,8 milliards de recette fiscale, tout en créant jusqu’à 80 000 emplois dans la production ou la vente de cannabis.

    De plus en plus de convaincus…

    Les économistes rattachés à Matignon ne sont pas les seuls à penser que la politique de répression devrait être abandonnée. Toujours en 2019, une tribune plubliée dans L’Obs et signée par 70 personnalités, dont des économistes, des médecins et des politiques, appelait à la légalisation du cannabis.

    Parmi les signataires, on retrouvait notamment Bernard Kouchner, Benoît Hamon, Raphaël Glucksman, Yannick Jadot, mais aussi les députés LREM Pierre Person et François-Michel Lambert. La tribune rappelait notamment que tous les voisins de la France ou presque ont assoupli leur législation, que le Canada ainsi que certains États des USA ont complètement légalisé le cannabis, mais que « la France est à la traîne ».

    Ils expliquent également que l’alcool et le tabac sont beaucoup plus dangereux et font bien davantage de morts chaque année. Enfin, ils estiment que comme le cannabis n’est pas une substance neutre et qu’il peut être nocif pour la santé, un contrôle des produits serait opportun.

    Un gouvernement qui reste inflexible ?

    Pour l’instant, le gouvernement semble encore très loin de penser à la légalisation. Matignon a simplement cherché à désengorger les tribunaux, en mettant en place une amende forfaitaire de 200 euros pour toutes les personnes en possession de moins de 100 grammes de cannabis sur eux.

    C’est effectivement un bon moyen pour « faire du chiffre », tout en réduisant les dépenses de la justice, mais il n’y a aucune prévention et la police laisse repartir le consommateur sans se soucier de la provenance de la marchandise. Cette amende forfaitaire a été critiquée aussi bien par la droite que par la gauche, et par certains syndicats de police qui y voient une dépénalisation masquée.

    En aout 2020, invité sur le plateau de LCI, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin laissait entendre que le chemin vers plus de souplesse serait encore très long : « Je ne peux pas, en tant que ministre de l’Intérieur, en tant qu’homme politique dire à des parents qui se battent pour que leurs enfants sortent de l’addiction à la drogue, que l’on va légaliser cette m…. Et je dis bien cette m… »

    Une sortie pour le moins populiste, avec un argumentaire très pauvre qu’on pourrait, pourquoi pas, utiliser pour demander l’interdiction de l’alcool…

    La cour européenne contredit la France pour le CBD

    Depuis 2014 quelques boutiques se sont mises à vendre du CBD en France. Il s’agit d’un cannabis doux, avec pas ou très peu de THC, qui est autorisé quasiment partout en Europe et qui n’a juridiquement aucune bonne raison d’être interdit. Pourtant, de nombreuses boutiques ont fait l’objet de perquisitions récurrentes, de blocages de marchandises aux douanes et parfois de gardes à vue pour les entrepreneurs.

    La France a même voulu interdire le CBD (cannabidiol), mais en novembre 2020, la justice européenne rejette cette interdiction, jugeant illégale la répression du CBD. Pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le CBD n’est pas un stupéfiant, et les boutiques spécialisées espèrent désormais pouvoir travailler tranquillement.

    Une évolution à venir ?

    Reprise de volée par la CJUE, la réglementation française n’a pas vraiment d’autre choix que d’évoluer en autorisant la vente de CBD. Désormais de nombreux agriculteurs ou propriétaires de fermes attendent un assouplissement de la loi pour commencer à produire.

    Lentement, mais sûrement, les instances dirigeantes semblent vouloir traiter le sujet sérieusement, pour le CBD, mais aussi pour le cannabis classique. Ainsi, le Parlement vient de lancer le 13 janvier 2021, une consultation citoyenne en ligne sur le cannabis récréatif. Il s’agit d’un questionnaire qui va rester sur le site de l’Assemblée nationale pour un mois environ, et qui doit permettre d’aider la mission d’information à rendre un rapport en mars ou en avril prochain.

    Difficile donc de prédire comment va évoluer la loi française concernant le cannabis, le débat sera probablement de retour dans les médias d’ici quelques mois lorsque la consultation citoyenne aura été étudiée et que le rapport final sera présenté aux députés.

    Faut-il espérer une évolution en faveur de la légalisation du cannabis ?

    D’un point de vue purement économique, tous les spécialistes de la question sont d’accord, la légalisation du cannabis permettrait de faire de grosses économies sur les secteurs de la justice et de la police, tout en apportant une manne fiscale non négligeable et en créant au passage des dizaines de milliers d’emplois.

    D’un point de vue moral, c’est forcément plus complexe. On peut entendre les arguments de ceux qui soutiennent que la légalisation pourrait être un signal pour les plus jeunes, signifiant que le cannabis est inoffensif et qu’il peut donc être consommé sans risque. Une explosion du nombre de consommateurs est alors à craindre.

    Cependant, on voit bien que les pays disposant d’une législation plus souple n’ont pas plus de consommateurs que la France. La question morale se heurte aussi à la légalité de l’alcool ou du tabac, qui sont considérés comme des drogues plus dangereuses que le cannabis, mais qui sont pourtant en vente absolument partout.

    Quid également des trafiquants, qui seraient forcément impactés par une vente légale. Que deviendraient alors les centaines de milliers de petites mains qui vivent de ce commerce ? Peut-on craindre une montée de la commercialisation illégale d’autres drogues plus dures, des braquages ou des cambriolages pour compenser le manque à gagner ?

    De nombreuses questions doivent être étudiées, mais comme trop souvent, c’est un débat essentiellement politique et assez peu pragmatique qui se déroule en France depuis des dizaines d’années et qui risque de se poursuivre encore quelques temps.

    Reste à savoir si Macron aura le courage politique de traiter ce sujet sur le fond. Le cannabis est diabolisé dans l’Hexagone par une grosse partie de la droite et son ministre de l’Intérieur est farouchement opposé à une légalisation. La consultation citoyenne lancée ce mois-ci apparait donc comme une très discrète lueur d’espoir pour les amateurs de cannabis.

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      Consommation de drogue : si on sortait du tout répressif ?

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 24 December, 2020 - 10:46 · 3 minutes

    Consommation de drogue

    Par Frédéric Mas.

    Depuis ce mardi 1er septembre, les fumeurs de cannabis pris sur le fait seront passibles d’une amende forfaitaire de 200 euros. Si l’amende est réglée dans les 15 jours, elle est ramenée à 150 euros. Si, au contraire, le consommateur attend au-delà de 45 jours, son amende s’envole à 450 euros.

    La décision a été prise par Jean Castex courant juillet pour lutter « contre les points de revente qui gangrènent les quartiers » . L’exécutif a donc adopté la législation la plus répressive d’Europe afin de décourager la consommation de stupéfiants, après avoir testé la méthode dans plusieurs grandes villes comme Rennes ou Créteil.

    Une politique conservatrice

    Rien de révolutionnaire dans ce nouveau geste du gouvernement, qui ne fait au final que suivre la voie tracée par Nicolas Sarkozy depuis 2002, reprise par Gérard Collomb quelques années après. Pour combattre la consommation de drogue en France, il ne faut rien laisser passer. Seulement, jusqu’à présent, cette politique s’est révélée inefficace, et la France se situe en tête des pays les plus consommateurs de cannabis de l’Union européenne.

    Une autre politique est toutefois possible, même si elle est moins populaire chez nos édiles, car assez contre-intuitive. Plutôt que de réprimer et pénaliser les consommateurs, la légalisation du cannabis pourrait participer à assécher le marché, l’assainir et surtout le retirer des mains des mafias qui en vivent.

    La politique de répression en matière de drogue est extrêmement élevée en termes d’argent public comme de capital humain. L’État multiplie les interventions pour en rendre l’activité prohibée, que ce soit en mobilisant les agences de santé publique, les administrations et les forces de l’ordre, le tout sans que son efficacité puisse être évaluée.

    Aux États-Unis, la « guerre contre la drogue » a même participé à la militarisation de la police et la transformation de l’État-providence en une immense machine répressive 1 . Si d’aventure les multiples interdictions touchant à la drogue disparaissaient, l’appareil répressif pourrait se concentrer sur ses missions essentielles, à savoir maintenir l’ordre public et protéger les droits des individus. L’argent public pourrait être réinvesti ailleurs, par exemple dans l’amélioration du fonctionnement de la justice ou l’alourdissement des peines touchant aux atteintes à la propriété et aux personnes.

    Sortir des cartels mafieux

    En cantonnant la vente de drogue au marché noir, l’interdiction rend l’accès à l’information sur le sujet plus difficile 2 , y compris pour combattre ses aspects les plus dommageables en termes de santé. Elle transforme le marché en rentes que se partagent des mafias que la répression arrange. Celles-ci peuvent imposer leurs prix au consommateur tout comme la médiocre qualité de leurs produits.

    La légalisation de la vente et de la consommation de cannabis permettrait l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs permettant une amélioration de l’offre et un meilleur contrôle légal des produits mis sur le marché. Même en matière de santé publique, la légalisation permettrait donc d’avoir une vision globale de l’activité plutôt qu’un suivi purement répressif.

    Plus fondamentalement, c’est l’esprit paternaliste des politiques publiques répressives qui pose problème, au-delà de l’inefficacité de l’appareil bureaucratique. Dans le domaine, c’est l’intégralité du logiciel étatique français qui est à revoir pour le rendre plus favorable à la liberté individuelle.

    Article publié initialement le 1er septembre.

    1. Sur le sujet, voire notamment Christopher Caldwell, The Age of Entitlement. America since the Sixties , Simon & Schulster, 2020.
    2. Mark Thornton, The Economics of Prohibition , Univ. of Utah Press, 1991.