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    Pendant ce temps-là, tous les jours, Éric venait me chercher, m'emmenait dans la clairière et regardait… Je trouvais un peu étrange la ferveur qui remplissait ses yeux à chaque fois que je baissais ma culotte devant lui, alors qu'il avait déjà vu la même chose la veille, l'avant-veille et tous les jours précédents. Il ne se lassait pas. Au contraire, on aurait dit qu'il découvrait chaque jour quelque chose de nouveau, de plus beau que tout ce qu'il avait vu auparavant. C'était tellement contraire à ce à quoi ma mère m'avait habituée !

    À la maison, quand ma mère m'ordonnait de baisser ma culotte, c'était toujours pour me donner une fessée. À chaque fois, elle faisait les gros yeux pour m'obliger à obéir. Terrorisée, j'obéissais en sachant la torture qui m'attendait. Alors, me voyant baisser ma culotte, elle ouvrait de grands yeux bizarres, comme si je dévoilais devant elle quelque chose d'infâme que je portais en moi et, là, elle se mettait à me taper, taper et taper encore, jusqu'à ce que je perde conscience. À la longue, j'en étais arrivée à souhaiter être amputée du papafe pour ne plus être suppliciée de la sorte.


    extrait de : ...


    #solitude #bloquage #fessée #culotte #papafe #punition #angoisse #inquiétude #peur #injustice #justice

    Les enfants se turent et me regardèrent dans un silence respectueux, en guise de condoléances, jusqu'à ce qu'une joyeuse voix de fillette retentît :

    « Eh ben moi, j'ai huit grands-parents parce que mon père et ma mère sont divorcés et remariés tous les deux. Alors, ça me fait quatre papys et quatre mamies et ys sont tous très gentils avec moi.

    - Eh ben moi, intervint un garçon, … »

    Ainsi, les enfants avaient banalisé ma réplique, faisant de moi l'une des leurs, qui prend son tour de parole comme tout le monde. Je crus donc que ça y était, que le problème était résolu mais pas du tout. Après avoir dit cela, je retombai dans mon mutisme et ne parvint jamais à leur dire quoique ce soit d'autre.

    Par contre, le lendemain, au cours d'un repas, je fus appelée à prendre la parole pour rendre mon verdict concernant une sombre histoire de mouche assassinée.


    extrait de : L'AIRE DE JEUX


    #enfants #solitude #timidité #bloquage #discussion #angoisse #peur #vacances #colonie

    Puis, soudain, le problème s'inversa du tout au tout. Les enfants, à côté de moi, s'étaient mis à parler de leurs grands-parents. Là encore, une réplique me vint à l'esprit, que ma timidité s'empressa d'étouffer. Cependant, les mots montaient en moi avec une puissance si grande qu'il m'apparut que je n'allais pas réussir à me taire. Je fus prise d'une grande angoisse mais cela ne suffit pas à réfréner la soudaine force qui montait de mes entrailles, comme la lave d'un volcan, et jaillit hors de ma bouche :

    « Eh ben moi, mon Pépère, il est mort quand j'avais cinq ans. »


    extrait de : L'AIRE DE JEUX


    #inquiétude #bêtise #solitude #peur #enfants #discussion #timidité

    Chaque après-midi, sans se faire prier, ils vinrent se grouper à proximité de moi. C'étaient des garçons et des filles de sept ans.

    Chaque après-midi, donc, j'entendais leurs conversations. Pour ce qui est de m'y intégrer, comme avait dit la monitrice, ce n'étaient pas les répliques qui me manquaient mais jamais je n'en exprimais aucune. Rien à faire, toutes restaient coincées dans ma gorge. Plus j'essayais de parler, plus j'étais terrassée par la timidité. Des fois, je me raccrochais à une phrase qui était dans ma tête. Elle était bien construite, tous les mots étaient dans l'ordre, je n'avais plus qu'à en prononcer les sons les uns après les autres. Je me concentrais, me concentrais encore… Je tendais l'oreille et m'apercevais que les enfants, à côté de moi, avaient complètement changé de sujet de conversation. Alors, je rangeais ma réplique et recommençais l'exercice avec une nouvelle, sans jamais réussir à parler.


    extrait de : L'AIRE DE JEUX


    #solitude #peur #enfants #gentillesse #discussion #timidité #bloquage

    Après tout, si je me retrouvais seule quand Éric me laissait à l'aire de jeux, c'était parce que je n'y avais pas de copines. L'aire de jeux, c'était comme une cour de récréation : tous les enfants jouaient avec leurs copains et leurs copines tandis que, moi, j'étais tout le temps toute seule dans mon coin. Ça avait toujours été comme ça depuis la maternelle et ça me le faisait encore en colonie. Alors, il fallait bien que je me rendisse à l'évidence : c'était en moi qu'il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond et, ce problème-là, c'était sur l'aire de jeux que je devais chercher à le régler, indépendamment d'Éric.

    Bravement, j'avançai au cœur de l'aire de jeux, dans l'espoir de me mêler aux autres enfants, et regardai tout autour de moi. Le toboggan était toujours bondé alors que, moi, je ne supportais pas la bousculade. Des enfants couraient alors que, moi, je n'étais pas d'une nature sportive. Des enfants parlaient entre eux alors que, moi, on me chassait de partout. Des enfants riaient entre eux alors que, moi, on se moquait tout le temps de moi. Plus je regardais autour de moi, plus je me sentais anormale, honteuse, angoissée, apeurée. Ma tête se mit à tourner, on aurait dit que j'allais tomber par terre. Alors, vite, je retournai me réfugier auprès de mon tube, m'assis par terre et pleurai.

    J'aurais pas dû essayer ! J'aurais pas dû venir en colonies ! J'aurais pas dû croire que j'arriverais à m'amuser comme les autres !


    extrait de : L'AIRE DE JEUX


    #inquiétude #bêtise #solitude #peur #vacances #colonie #enfants #timidité #bloquage

    « Moi, ça m'amuse pas de verrouiller l'accès aux WC, me raconta le moniteur Olivier. Si je fais ça, c'est parce que j'veux pas qu'y s'passe des trucs malsains en colonie, tu comprends ?

    Malsain ? Ce mot me fit le même effet que la mauvaise intuition que j'avais eue quand, enfermée dans un WC, j'avais entendu les garçons murmurer aux lavabos.

    « P'têt que… p'têt que j'comprends pas parce que ça m'fait peur, bredouillai-je.

    - Non, non, faut pas avoir peur. Nous, les monos, on est là pour faire en sorte qu'y ait pas de bêtises. Si tu m'dis qu'tu veux pas qu'y ait des bêtises dans les WC, moi, je f'rai le nécessaire et y aura pas d'bêtises. Tu peux m'faire confiance. Moi, tout ce dont j'ai besoin, c'est que tu m'dises si toi, tu veux qu'y ait des bêtises aux WC. »


    extrait de : MALSAIN


    #cabinets #enfance #punition #explication #moniteur #compréhension #interdiction #dialogue #inquiétude #garçons #bêtise #tourment #peur

    Sauf que le lendemain, ça avait recommencé pareil : personne dans la cabane en bois lorsque j'y étais entrée mais dès que je m'étais enfermée dans un WC, j'avais entendu des garçons murmurer aux lavabos. À priori, je ne voyais aucune raison de m'en inquiéter mais ça me donnait une mauvaise intuition. Ça me faisait peur.

    Là-dessus, j'avais entendu la voix d'un moniteur - Olivier, m'avait-il semblé - gronder les garçons parce qu'ils escaladaient les tuyaux de canalisation et que ça risquait de les casser… puis plus rien. Apparemment, le moniteur avait fait sortir les garçons et je m'en étais sentie plus tranquille bien que, en y réfléchissant, je ne voyais pas de raison de m'en faire. Mon intuition avait vu juste, les garçons avaient bel et bien fait une bêtise puisqu'ils s'étaient amusés à faire de l'escalade sur des installations de plomberie, ce n'est pas prévu à cet effet mais moi, qu'est-ce que ça pouvait me faire ? Ça ne me concernait pas. Pourquoi ce mauvais pressentiment ? Pourquoi donc avais-je éprouvé comme de la peur quand j'avais entendu ces garçons murmurer aux lavabos ? N'étais-je pas un peu bébête, à toujours croire qu'on me voulait du mal ?


    extrait de : MALSAIN


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