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      Larry Flynt, l’insoumis

      Mitch Menet · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 12 February, 2021 - 07:44 · 8 minutes

    Larry Flynt

    Par Mitch Menet.

    La mort à 78 ans d’un des barons américain du porn réjouit probablement les pontes de la « pornographie morale ». Et pourtant, Larry Flynt était plus qu’un marchand de viande chaude comme certains se complaisent à le décrire.

    Le combat de Larry Flynt est celui d’un homme qui ne tolérait pas la coercition, qu’elle soit pointée à l’entrejambe, au mouvements de la plume, ou la musique des paroles.

    Il y a de nombreuses facettes à la personnalité de Mr. Flynt. Il fut connu comme un entrepreneur à succès dans l’industrie du divertissement pour adultes, mais son histoire passe par de nombreuses péripéties bien plus passionnantes qu’une diffusion sur Canal un premier Samedi du mois.

    En commençant dans la vie active en 1965 par racheter le bar de sa mère puis en ouvrant d’autres, ce tycoon du porn fut tout d’abord un tenancier d’établissements tout à fait banals de débits de boissons. Mais rapidement il ouvra des clubs pour adultes avec des spectacles de femmes dénudées et acheta un petit organe de presse (Bachelor’s beat) qu’il fit prospérer.

    Mais Larry Flynt a connu l’échec.  Il s’est essayé sans succès au business des distributeurs automatiques et y a perdu de l’argent. Ses clubs n’ont pas survécu à la crise du choc pétrolier en 1973, et ce n’est qu’en obtenant un différé sur son paiement de « sales tax » (une espèce TVA à l’américaine), qu’il a pu financer la création de son magazine érotique (disons-le : pornographique) à succès : Hustler.

    De là à dire que la pornographie fut financée sur un prêt d’argent public, il n’y a qu’un pas, que pourtant je ne franchirai pas : s’il avait pu vendre ses magazines sans taxe il aurait quand même vendu au prix le plus élevé possible (Larry Flynt c’était pas un Abbé Pierre de l’érotisme) et aurait tout simplement été le propriétaire légitime de cette somme. J’y vois donc plutôt une belle démonstration du fait que l’impôt a tendance tuer l’entrepreneuriat et la création d’entreprises rentable, mais que des fois l’administration laisse un peu d’air à l’économie, pour ne pas achever la poule aux œuf d’or, et aussi peut être, en espérant récolter plus de « grisbi » ultérieurement.

    Pourquoi a t-il eu autant de succès avec Hustler ? Et bien disons le franchement : parce qu’au lieu de montrer des poils pubiens cmme les autres, il montrait l’objet du désir masculin, la vulve elle même. Cette « innovation » n’était pas vraiment une révolution dans l’histoire de l’humanité, mais c’était un bouleversement dans l’histoire de la pornographie aux Etats Unis.

    Bon c’est vrai, il arriva aussi à faire parler de lui avec la publication peu glorieuse des images « volées » de Jackie Kennedy nue pendant un bain de soleil.

    A partir de ce moment, il sut développer son empire de divertissement pour adultes et élargir ses activités : Vidéos pornographiques, casinos, autres clubs, etc… Larry Flynt était donc un entrepreneur opportuniste mais preneur de risques et surtout, persévérant. Je me permettrai grivoisement de dire que s’il a alimenté la masturbation, il n’était lui même pas du genre à se tirer sur la nouille : C’était un bosseur.

    Mais la personnalité de Larry Flynt est fascinante bien au delà de sa réussite économique parce qu’il était avant tout un insoumis (au sens original du terme et pas au sens de ceux qui se soumettent à Mélanchon).

    Son histoire est surtout celle d’une résistance héroïque face aux agressions juridiques et pénales des conservateurs obtus, des lobbys religieux obscurantistes, et des bande de féministes rageuses (sachant qu’au pluriel le masculin l’emporte dans la grammaire française, et qu’il y a des hommes féministes, ne devrait on pas plutôt parler de féministes « rageurs »? Les féministes l’accepteront-elles/ils ou lanceront elles/ils une fatwa contre moi pour avoir eu l’outrecuidance de pointer ce paradoxe du doigt ?), entre autres.

    Larry Flynt fut à la censure et aux restrictions commerciales de l’industrie du sexe ce que les Finlandais furent à l’armée de Staline : l’incarnation même de la résistance acharnée, et de la contre attaque jusqu’au-boutiste, quitte à y laisser des plume.

    De procès en procès, de controverse en contournement malin de régulations iniques, Larry Flynt su démontrer les incohérences des hypocrites de la morale arbitraire et de sa retranscription juridique.

    Dans son combat (juridiquement perdu, médiatiquement gagné) contre la jurisprudence « Miller v. California” il sut avec ses avocats remettre en lumière lors de son procès, la flagrante subjectivité, et par là même l’inique arbitraire de la définition de l’obscénité telle que prohibée par ce texte.

    En fait Larry Flynt a perdu presque toutes ses batailles juridiques sur le plan de la censure pornographique. Ca lui a couté des millions en avocats et en amendes et probablement encore plus en manque à gagner. Mais à chaque fois, il a su obtenir une victoire dans l’opinion publique et médiatique.

    Il a en revanche obtenu plusieurs succès pour la liberté de critiquer voire de ridiculiser les personalités publiques. Larry Flynt a été pendant 30 ans, un sanguinaire assassin de l’égo surdimentionné des personnalités qui ne veulent que des éloges flatteurs sans liberté de blâmer.

    Et pourtant il y a des paradoxes pour ne pas dire des contradictions chez Larry Flynt. S’il a déclaré « My position is that you pay a price to live in a free society, and that price is toleration of some things you don’t like » (« Mon avis est qu’il faut payer un prix pour vivre dans une société libre, et ce prix est de tolérer des choses que vous n’aimez pas”), il ne s’y est pas toujours plié lui même.

    En effet, l’acharnement de la défense du premier amendement par Larry Flynt n’est pas à l’image de son opinion sur le second amendement. Si on peut comprendre d’un point de vue humain que quelqu’un qui s’est fait tirer dessus et handicaper à vie, probablement par un fanatique que l’on n’a jamais retrouvé, puisse avoir des réserves sur la liberté d’être armé, il faut bien noter que son opinion assez “main stream” sur une restriction “raisonnable” des armes à feu n’est pas franchement libertariano-compatible.

    En revanche, il faut admettre que cet homme a rarement transigé devant l’oppression de l’Etat. Farouche opposant à la guerre en Irak, il a soutenu publiquement et financièrement les mouvements pacifistes. Il a soutenu l’égalité en droit des LGBT.

    Il a aussi été lanceur d’alerte en publiant une video de menaces dignes de gangs mafieux émanant du FBI lui même à l’encontre du citoyen DeLorean (le créateur de la voiture de Doc et Marty, avant qu’elle ne voyage dans le temps). Cet homme piégé et pressurisé par le FBI pour des charges de trafic de drogues pu s’en sortir indemne grâce notamment à l’aide de Larry Flynt. Le FBI avait tout de même menacé de s’en prendre physiquement à la fille de l’accusé.

    Il a dénoncé des scandales qui ont ruiné les carrières politiques de personnalités républicaines comme démocrates, pris en flagrant délit d’hypocrisie sur leur moeurs.

    C’est un homme complexe et aux multiples facettes qui vient de nous quitter. Un homme fier, un homme intelligent, un homme au franc parler parfois plus choquant que les images qu’il publiait.

    Larry Flynt a toute sa vie refusé les diktats de la religion qui s’insinue dans la justice, des traditions qui veulent imposer leur chappe de plomb, et du status quo de l’oppression étatique tolérée.

    Drogué, mais capable de sobriété, pornographe mais pouvant montrer qu’il n’a jamais sombré dans la pédophilie ou les déviances sexuelles qui impliquent l’oppression (sa fille l’a accusé d’inceste pédophile et il a pu démontrer qu’elle avait inventé cette histoire par appât du gain), avide d’argent mais généreux avec des causes perdues, iconoclaste mais capable sacraliser la constitution (au moins le premier amendement), il était pourtant capable de respecter ses adversaires comme le prouve la relation cordiale qu’il a développé avec feu Jerry Fallwell, le télé-évangéliste qui l’a poursuivi en diffamation.

    Il va me manquer ce flibustier sans vergogne de la liberté individuelle.

    Cher Larry, d’un athée à un autre, nous savons tous les deux que tu n’entendras jamais ces paroles puisque ta conscience est retournée au néant, mais je garde le poétique espoir que tu reposes en paix. Je n’ai pas toujours été d’accord avec toi, mais à l’image que laisses dans la mémoire de l’humanité, je le dis solennellement : quand t’étais là, au moins, on se marrait bien.