close
    • chevron_right

      Ces milliardaires qui font de la philanthropie autrement

      Guillaume Périgois · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 11 February, 2021 - 04:30 · 7 minutes

    milliardaires

    Par Guillaume Périgois.

    Elon Musk, Bill et Melinda Gates, Bidzina Ivanishvili, MacKenzie Scott, Min Kao et Charles Feeney prouvent qu’il existe de multiples façons de mettre sa fortune au service de l’amélioration du monde et de la condition de son prochain.

    Elon Musk : de la Terre à Mars

    L’une des premières choses que le fondateur de Tesla a faite lorsqu’ il est devenu l’homme le plus riche du monde le mois dernier a été de demander conseil sur la façon d’être un meilleur philanthrope.

    Mais le nouveau Texan semble avoir une idée claire sur la façon dont il veut dépenser sa fortune. Il a déjà esquissé les deux principaux bénéficiaires de sa richesse : la Terre et Mars.

    « Environ la moitié de mon argent est destinée à résoudre des problèmes sur Terre ; l’autre moitié vise à établir une ville autonome sur Mars pour assurer la continuité de la vie. »

    Quoi de plus normal qu’ un ingénieur milliardaire rêvant de mourir sur Mars appartienne lui aussi au club des philanthropes originaux.

    Bill et Melinda Gates : donner… pour que d’autres donnent

    On ne présente plus les époux Gates , à la tête de la plus grande fondation privée au monde, principalement dévouée à l’amélioration des soins de santé et à la réduction de la pauvreté.

    Pourtant, en cette période de pandémie, de crise économique et de montée du chômage, la cible philanthropique la plus surprenante de la Fondation Gates est un groupe souvent négligé par les mécènes : les milliardaires eux-mêmes.

    En octobre 2020, la Fondation Bill et Melinda Gates a ainsi donné 5 millions de dollars à la Fondation TED pour « surmonter les obstacles aux dons massifs par des donateurs très fortunés » . Donner pour mieux persuader les autres de donner.

    Au total, la Fondation Gates a investi près de 18 millions de dollars dans des programmes visant à encourager les dons des particuliers très fortunés au cours des cinq dernières années.

    Bidzina Ivanishvili : donner pour tirer tout un pays vers le haut

    Lorsque l’ancien Premier ministre géorgien s’est retiré de la vie politique en janvier, il en a profité pour annoncer qu’il ferait don de 90 % de ses biens, soit 1,5 milliard de dollars, à sa fondation familiale, le faisant donc entrer dans la même catégorie que les philanthropes les plus connus tels que Bill Gates ou Warren Buffet.

    Depuis sa création en 1995, la Fondation Cartu a ainsi distribué plus de 3,2 milliards de dollars. Là encore, ni strass, ni paillettes, mais plutôt une générosité au service du développement de cette république du Caucase : 400 écoles secondaires ont été construites, réhabilitées et équipées dans toute la Géorgie et plus de 100 000 élèves ont reçu de nouveaux équipements scolaires.

    Une toute nouvelle université dans la ville de Kutaisi, financée à hauteur de près d’un milliard de dollars, vise à développer les compétences techniques de la prochaine génération de Géorgiens et à améliorer les réseaux de recherche internationaux pour les scientifiques du pays. L’université de Munich a déjà signé un accord de partenariat et d’autres suivront certainement.

    Mais l’éducation n’est pas le seul secteur concerné. L’agriculture, la santé et les infrastructures sont aussi activement soutenues. La Fondation Cartu a ainsi financé le lancement de pépinières, de serres modernes, d’entrepôts frigorifiques et de laboratoires. Le centre médical de Sachkhere a permis à 46 000 Géorgiens de recevoir des services médicaux et plus de 1200 médecins ont reçu une formation pratique aux soins d’urgence. Plus de 300 km de routes et 554 km de conduites de gaz naturel ont aussi été construits et réhabilités.

    Bidzina Ivanishvili a également joué un rôle de premier plan dans la restauration du patrimoine culturel du pays, telle que la ville thermale de Tskaltubo. Le projet contribuera à la création de 20 000 emplois pour les habitants de la région, entraînant un développement économique durable et une prospérité renouvelée pour toute la région d’Imereti, qui a été touchée par la pandémie Covid-19.

    La Fondation Cartu contribue aussi à la protection de l’environnement et à la lutte contre le changement climatique. Au début de l’année, la Fondation Cartu a annoncé que 700 hectares de forêt au cœur de Tbilissi, la capitale géorgienne, seraient restaurés au cours des quatre prochaines années.

    Enfin, la Fondation Cartu a financé l’arboretum de Shekvetili, l’un des plus prestigieux jardins botaniques au monde, protégeant sur 60 hectares de nombreuses espèces d’arbres et d’animaux menacés d’extinction.

    MacKenzie Scott : investir dans l’éducation, sans paillettes

    La plupart des actions philanthropiques dans le domaine de l’éducation profitent autant aux donateurs qu’aux institutions bénéficiaires.

    Les dotations de chaires, les bâtiments financés et les programmes parrainés semblent souvent profiter d’une niche fiscale, garantir une future admission à la progéniture du donateur ou profiter du prestige de l’université bénéficiaire.

    MacKenzie Scott , auteur et ex épouse de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon , a choisi une autre voie. Elle a ainsi versé plus de 800 millions de dollars à l’enseignement supérieur en seulement une année. Mais ses récipiendaires sont loin d’être des institutions qui pourraient être considérées comme élitistes ou prestigieuses.

    Au contraire, elle a préféré investir dans des universités et institutions locales qui ne reçoivent habituellement pas de dons aussi élevés. Cette injection de fonds servira comme moteur de croissance économique et de mobilité sociale pour les étudiants qui en bénéficieront.

    Min Kao : l’humilité au service de l’ingénierie

    Originaire de Taïwan, Min Kao a cofondé la société Garmin aux États-Unis en 1989, mettant au point le logiciel qui permet à des millions de personnes de se déplacer partout dans le monde grâce à la technologie GPS.

    Il y a une bonne raison pour laquelle vous n’avez pas entendu parler de ce milliardaire aujourd’hui à la retraite. Il refuse la plupart des interviews et détourne tous les éloges qui lui sont adressés, préférant féliciter le travail de ses anciens collaborateurs.

    Ce qui ne l’empêche pas d’être le loyal mécène de l’université du Tennessee où il a obtenu son doctorat en génie électrique. Sa motivation ? Attirer de jeunes ingénieurs dans cette discipline, tout simplement.

    Charles Feeney : tout donner de son vivant

    Charles Chuck Feeney , qui a cofondé la chaîne de commerce d’aéroport Duty Free Shoppers, est l’un des pionniers de la philanthropie alternative, ouvrant la voie à tous les autres. Il est connu comme le « James Bond de la philanthropie » en raison de ses succès et de sa discrétion.

    En 1982, il a créé et commencé à financer Atlantic Philanthropies. En 2011, il a rejoint The Giving Pledge, un groupe de personnes et de familles parmi les plus riches du monde promettant de distribuer la majorité de leur patrimoine.

    « Je ne peux imaginer une utilisation plus gratifiante et plus appropriée de sa richesse que de donner de son vivant et de se consacrer personnellement à améliorer significativement la condition humaine. »

    Au total, ce sont plus de 8 milliards de dollars de sa fortune qu’il aura donnés sur 40 ans.

    Pour ceux qui n’ont pas peur de sortir des sentiers battus, ces quelques exemples montrent qu’il est possible aux mécènes milliardaires d’abandonner les projets clinquants pour mieux améliorer la vie de leurs prochains, en toute originalité.

    • chevron_right

      Cannabis : encore un long chemin avant la légalisation

      Théophile Gacogne · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 22 January, 2021 - 04:30 · 7 minutes

    cannabis

    Par Théophile Gacogne.

    S’il y a un débat qui reste encore assez fermé en France, c’est celui sur la légalisation ou la dépénalisation du cannabis. Alors que les lois se sont plutôt assouplies un peu partout en Europe et dans le monde, la France privilégie toujours la répression pour les consommateurs.

    L’interdiction du cannabis en France date de 1970 et de nombreux observateurs estiment que ces 50 années de pénalisation sont un échec. Il faut bien avouer que le bilan est difficile à défendre, puisque d’après l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, nous sommes les plus gros consommateurs d’Europe.

    Le gouvernement est-il en train d’avancer sur la question de la légalisation du cannabis ?

    Depuis l’arrivée à l’Élysée du président Macron, on peine à voir une évolution. Depuis mon dernier papier sur le sujet , un Conseil d’analyse économique rattaché à Matignon avait pourtant apporté des éléments au Premier ministre en faveur de la légalisation en 2019…

    Le rapport, purement financier, pointait du doigt l’échec des politiques actuelles. On pouvait notamment lire que « la prohibition a favorisé l’expérimentation du cannabis du fait de sa très grande disponibilité, et cela en dépit d’investissements massifs dans la répression » . Depuis 1970, les interpellations pour une simple consommation ont été multiplié par 50, sans pour autant que la courbe du nombre de consommateurs ne cesse de monter.

    Cette répression coûte cher, puisque le rapport indiquait que 568 millions d’euros sont dépensés chaque année pour lutter contre le cannabis.

    Les économistes voient surtout une manne fiscale énorme échapper aux poches de l’État. Ils estiment qu’une consommation de 500 à 900 tonnes chaque année en France pourrait rapporter entre 2 et 2,8 milliards de recette fiscale, tout en créant jusqu’à 80 000 emplois dans la production ou la vente de cannabis.

    De plus en plus de convaincus…

    Les économistes rattachés à Matignon ne sont pas les seuls à penser que la politique de répression devrait être abandonnée. Toujours en 2019, une tribune plubliée dans L’Obs et signée par 70 personnalités, dont des économistes, des médecins et des politiques, appelait à la légalisation du cannabis.

    Parmi les signataires, on retrouvait notamment Bernard Kouchner, Benoît Hamon, Raphaël Glucksman, Yannick Jadot, mais aussi les députés LREM Pierre Person et François-Michel Lambert. La tribune rappelait notamment que tous les voisins de la France ou presque ont assoupli leur législation, que le Canada ainsi que certains États des USA ont complètement légalisé le cannabis, mais que « la France est à la traîne ».

    Ils expliquent également que l’alcool et le tabac sont beaucoup plus dangereux et font bien davantage de morts chaque année. Enfin, ils estiment que comme le cannabis n’est pas une substance neutre et qu’il peut être nocif pour la santé, un contrôle des produits serait opportun.

    Un gouvernement qui reste inflexible ?

    Pour l’instant, le gouvernement semble encore très loin de penser à la légalisation. Matignon a simplement cherché à désengorger les tribunaux, en mettant en place une amende forfaitaire de 200 euros pour toutes les personnes en possession de moins de 100 grammes de cannabis sur eux.

    C’est effectivement un bon moyen pour « faire du chiffre », tout en réduisant les dépenses de la justice, mais il n’y a aucune prévention et la police laisse repartir le consommateur sans se soucier de la provenance de la marchandise. Cette amende forfaitaire a été critiquée aussi bien par la droite que par la gauche, et par certains syndicats de police qui y voient une dépénalisation masquée.

    En aout 2020, invité sur le plateau de LCI, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin laissait entendre que le chemin vers plus de souplesse serait encore très long : « Je ne peux pas, en tant que ministre de l’Intérieur, en tant qu’homme politique dire à des parents qui se battent pour que leurs enfants sortent de l’addiction à la drogue, que l’on va légaliser cette m…. Et je dis bien cette m… »

    Une sortie pour le moins populiste, avec un argumentaire très pauvre qu’on pourrait, pourquoi pas, utiliser pour demander l’interdiction de l’alcool…

    La cour européenne contredit la France pour le CBD

    Depuis 2014 quelques boutiques se sont mises à vendre du CBD en France. Il s’agit d’un cannabis doux, avec pas ou très peu de THC, qui est autorisé quasiment partout en Europe et qui n’a juridiquement aucune bonne raison d’être interdit. Pourtant, de nombreuses boutiques ont fait l’objet de perquisitions récurrentes, de blocages de marchandises aux douanes et parfois de gardes à vue pour les entrepreneurs.

    La France a même voulu interdire le CBD (cannabidiol), mais en novembre 2020, la justice européenne rejette cette interdiction, jugeant illégale la répression du CBD. Pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le CBD n’est pas un stupéfiant, et les boutiques spécialisées espèrent désormais pouvoir travailler tranquillement.

    Une évolution à venir ?

    Reprise de volée par la CJUE, la réglementation française n’a pas vraiment d’autre choix que d’évoluer en autorisant la vente de CBD. Désormais de nombreux agriculteurs ou propriétaires de fermes attendent un assouplissement de la loi pour commencer à produire.

    Lentement, mais sûrement, les instances dirigeantes semblent vouloir traiter le sujet sérieusement, pour le CBD, mais aussi pour le cannabis classique. Ainsi, le Parlement vient de lancer le 13 janvier 2021, une consultation citoyenne en ligne sur le cannabis récréatif. Il s’agit d’un questionnaire qui va rester sur le site de l’Assemblée nationale pour un mois environ, et qui doit permettre d’aider la mission d’information à rendre un rapport en mars ou en avril prochain.

    Difficile donc de prédire comment va évoluer la loi française concernant le cannabis, le débat sera probablement de retour dans les médias d’ici quelques mois lorsque la consultation citoyenne aura été étudiée et que le rapport final sera présenté aux députés.

    Faut-il espérer une évolution en faveur de la légalisation du cannabis ?

    D’un point de vue purement économique, tous les spécialistes de la question sont d’accord, la légalisation du cannabis permettrait de faire de grosses économies sur les secteurs de la justice et de la police, tout en apportant une manne fiscale non négligeable et en créant au passage des dizaines de milliers d’emplois.

    D’un point de vue moral, c’est forcément plus complexe. On peut entendre les arguments de ceux qui soutiennent que la légalisation pourrait être un signal pour les plus jeunes, signifiant que le cannabis est inoffensif et qu’il peut donc être consommé sans risque. Une explosion du nombre de consommateurs est alors à craindre.

    Cependant, on voit bien que les pays disposant d’une législation plus souple n’ont pas plus de consommateurs que la France. La question morale se heurte aussi à la légalité de l’alcool ou du tabac, qui sont considérés comme des drogues plus dangereuses que le cannabis, mais qui sont pourtant en vente absolument partout.

    Quid également des trafiquants, qui seraient forcément impactés par une vente légale. Que deviendraient alors les centaines de milliers de petites mains qui vivent de ce commerce ? Peut-on craindre une montée de la commercialisation illégale d’autres drogues plus dures, des braquages ou des cambriolages pour compenser le manque à gagner ?

    De nombreuses questions doivent être étudiées, mais comme trop souvent, c’est un débat essentiellement politique et assez peu pragmatique qui se déroule en France depuis des dizaines d’années et qui risque de se poursuivre encore quelques temps.

    Reste à savoir si Macron aura le courage politique de traiter ce sujet sur le fond. Le cannabis est diabolisé dans l’Hexagone par une grosse partie de la droite et son ministre de l’Intérieur est farouchement opposé à une légalisation. La consultation citoyenne lancée ce mois-ci apparait donc comme une très discrète lueur d’espoir pour les amateurs de cannabis.

    • chevron_right

      Ismaël Saidi déconstruit les manipulations de l’antiracisme

      Nathalie MP Meyer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 19 January, 2021 - 03:30 · 7 minutes

    Ismaël Saidi

    Par Nathalie MP Meyer.

    Intéressante controverse, il y a quelques jours, sur Twitter.

    Premier acte : l’ancien policier et dramaturge belge Ismaël Saidi , musulman d’origine marocaine, estime sur France Inter au micro d’une Léa Salamé totalement estomaquée que la discrimination à l’embauche à raison de l’origine maghrébine ou subsaharienne des candidats existe en France, mais comme exception, en aucun cas comme norme :

    « Vous voulez que je vous les montre, moi, les légions de Mohamed, Rachid, Fatima qui ont des boulots de dingue, qui ont des boulots qui sont exceptionnels et qui ont fait leur vie ? Mais vous savez, la majorité, on ne l’entend pas. Et le problème, c’est qu’il faut tendre l’oreille pour entendre le murmure de la majorité, sinon on n’entend que les cris de la minorité. »

    Houla. Typiquement le genre de discours à éviter si l’on ne veut pas passer pour un collabo de la « colonialité du pouvoir » aux yeux de nos intellos indigénistes décoloniaux. Cela fait longtemps que ces derniers ont « établi », ou plutôt nous assènent sans accepter la moindre réplique, que la France est l’épicentre d’un racisme d’origine coloniale (et patriarcale – convergence des luttes oblige) :

    qui « s’est reconfiguré et continue d’agir, notamment à travers l’ensemble des stratégies capitalistes extractivistes, qui conduisent à la surexploitation des humains, des ressources et au changement climatique. » (Propos tenus par une sociologue pas plus tard que samedi dans l’hebdomadaire Le Point )

    D’où le second acte : pour Aurélien Taché , député non inscrit venant de l’UNEF puis du PS puis de LREM qu’il vient de quitter pour retourner plus à gauche, les propos d’Ismaël Saidi font de lui un « idiot utile » de l’ordre établi, ordre dont toutes les études montrent depuis 30 ans qu’il est foncièrement raciste et discriminatoire.

    À vrai dire, ni Saidi ni Taché ne nous donnent d’éléments statistiques pour apprécier la validité de leurs déclarations respectives. Si ce n’est que le premier a le bénéfice de l’expérience réelle tandis que Taché parle du haut de son idéologie socialiste et, d’une certaine façon, de son fonds de commerce antiraciste qui s’effondrerait s’il lui fallait reconnaître que la France n’est pas l’univers impitoyablement discriminatoire qu’il décrit.

    Mais il se trouve que sur ce sujet précis de la discrimination à l’embauche, on dispose d’une étude demandée tout spécialement par le gouvernement d’Emmanuel Macron afin d’orienter sa politique de testings et de name and shame , c’est-à-dire la dénonciation publique des entreprises qui discriminent afin de les livrer à l’opprobre de l’opinion publique. C’était même le job de Marlène Schiappa avant qu’elle ne suive Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur dans le gouvernement Castex.

    Entre octobre 2018 et janvier 2019, des chercheurs des universités Paris-Est Marne-La-Vallée et Paris-Est Créteil ont donc envoyé plus de 17 000 lettres de candidature ou de demande de renseignements fictives à 103 entreprises classées parmi les 250 premières capitalisations boursières. La première moitié des lettres émanait de candidats dotés d’un prénom et d’un nom d’origine française et l’autre moitié de candidats dotés d’un profil identique mais avec nom et prénom d’origine maghrébine.

    Pour la plupart des commentateurs, les résultats de l’enquête révèlent une situation évidemment catastrophique : les discriminations à l’embauche seraient « significatives » au sens où « les candidats nord-africains ont près de 20 % de réponses en moins que les candidats français ».

    Mais à examiner les éléments chiffrés de plus près, il y a largement de quoi douter du caractère concluant de l’étude. Car finalement, sur les 103 grandes entreprises françaises testées fictivement, seules 5 à 15 (selon le critère évalué) ont été identifiées dans l’étude comme discriminantes.

    Ismaël Saidi

    Autrement dit, 88 à 98 grandes entreprises françaises sur 103 ressortent du test sans donner lieu à la moindre critique du point de vue de la discrimination à l’embauche. Un résultat qui écarte toute idée de racisme systémique dans le monde de l’entreprise française et qui tend à faire nettement pencher la balance en faveur d’Ismaël Saidi.

    Ce dernier était l’invité de la matinale de France Inter du 14 janvier dernier pour présenter son livre Comme un musulman en France qui sort actuellement en librairie ( vidéo complète – à voir, 09′ 45″).

    Fruit de ses rencontres avec des jeunes de toutes origines et de tous lieux de résidence en France, en Belgique et en Suisse à la suite de la représentation de sa pièce satirique Djihad (2014) dans des lycées et collèges, le livre cherche à restaurer conversation et écoute dans une France où tout le monde regarde tout le monde en « chien de faïence » et il pointe l’effet profondément destructeur du discours victimaire servi et ressassé jusqu’à plus soif ainsi que la culpabilisation, en face, qui lui fait écho et l’entretient :

    « Si vous vous mettez en posture de coupable dès le départ, vous m’aidez, moi, à me mettre en posture de victime. » (Ismaël Saidi, tweet ci-dessous)

    Et voilà. À force de dénoncer des discriminations partout, tout le temps et à tout bout de champ, y compris où il n’y en a pas ou peu, à force d’en faire en quelque sorte un business politique, Aurélien Taché et toutes les associations qui occupent le créneau très valorisant de la lutte pour l’égalité et l’antiracisme précipitent l’émergence d’un sentiment de culpabilité dans la population d’accueil qui précipite lui-même un sentiment de victimisation chez les accueillis, lequel anéantit toute possibilité que les personnes ainsi assignées à leur statut de victimes cherchent à prendre leurs responsabilités et à agir personnellement sur leur vie.

    On repense alors à ce que disait Emma , cette dessinatrice de BD proche de l’extrême gauche dont je vous ai déjà parlé :

    « J’ai rencontré des ami·e·s politisé·e·s qui m’ont aidée à analyser la situation et à réaliser que si je rencontrais autant de difficultés, c’est d’abord parce que j’étais une femme. »

    On débarque là dans le champ des discriminations envers les femmes, mais les ressorts sont les mêmes : si les femmes, les Français d’origine étrangère, etc. ne réussissent pas, cela n’a rien à voir avec eux-mêmes, leurs compétences, leurs efforts, leurs mérites, ou pas, mais tout avec le fait qu’ils vivent dans une société raciste et patriarcale. D’où la revendication de la discrimination positive qui, avec ses quotas imposés, élimine talent et responsabilité personnelle du tableau pour ne retenir que des critères d’appartenance à telle ou telle communauté, telle ou telle minorité.

    En réalité, l’encouragement permanent à la victimisation des uns sur fond de culpabilisation judéo-chrétienne des autres tient plus du mépris envers les personnes « issues de la diversité » que de la reconnaissance de leur capacité à agir sur leur vie comme tout un chacun. Comme le disait Zohra Bitan , femme politique issue de l’immigration et ex-membre du Parti socialiste :

    « Si moi, tous les matins, devant ma glace, je m’étais arrêtée à ma tête d’arabe, je n’aurais pas avancé, je ne me serais pas intégrée et je n’aurais pas aimé ce pays. Il y a des xénophobes, il y a des racistes, il y a des antisémites dans ce pays, mais ce n’est pas le lot de toute la France. » (vidéo LCI , 2015)

    Et, ajoutait-elle, « y’en a ras-le-bol que le PS, à chaque fois, se cache comme des indignés de salon derrière le racisme ».

    Zohra Bitan cite le PS qu’elle connaît bien et qui venait de s’illustrer une nouvelle fois en taxant de raciste ou de xénophobe la moindre critique émise contre la ministre de l’Éducation nationale de l’époque Najat Vallaud Belkacem. Mais l’on peut constater avec Ismaël Saidi que la remarque s’applique encore aujourd’hui et concerne tous les professionnels de l’antiracisme qui ont fait du racisme et des banlieues un « commerce électoral » à leur profit.

    Sur le web

    • chevron_right

      Pourquoi la diversité n’est pas un critère de sélection

      Thomas Viain · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 14 January, 2021 - 03:30 · 7 minutes

    diversité

    Par Thomas Viain.

    Le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf a suscité la controverse le 1er janvier dernier, en tweetant sur le manque de diversité du Philarmonique de Vienne, lors du traditionnel concert du Nouvel An.

    La violoniste Zhang-Zhang, du Philharmonique de Monte-Carlo, a immédiatement réagi, affirmant que les musiciens étaient sélectionnés à l’aveugle, sur leurs seules compétences. Et s’il y avait un quiproquo sur la notion de mérite ?

    La méritocratie et le ressentiment des laissés-pour-compte

    Mis à part qu’en réalité, les auditions à l’aveugle n’ont souvent lieu qu’au début du processus de sélection, rarement d’un bout à l’autre, la réponse de Zhang-Zhang est instructive : elle oppose le processus de sélection méritocratique, sans voir qu’Ibrahim Maalouf ne nie nullement l’excellence des musiciens composant le Philharmonique, bien au contraire.

    Essayons d’éclaircir cet échange entre Maalouf et Zhang-Zhang en faisant un bref détour par Michael Sandel et son dernier ouvrage, The Tyranny of Merit . Sandel y désespère que la conception méritocratique se soit imposée comme un dogme et que les débats ne tournent qu’autour de cette seule question : comment réaliser au mieux l’égalité des conditions sur la ligne de départ ?

    Résumons brièvement la critique de Sandel à l’égard de la méritocratie.

    Dans une société méritocratique, chacun veut croire tenir son succès de son talent et de son labeur. Et plus on se croit self-made man , plus on oublie le bien commun, qui a en réalité permis le succès.

    Naissent alors un fort ressentiment et une humiliation chez celui qui n’a pas réussi car dans une méritocratie, celui qui échoue ne peut plus s’en prendre qu’à lui-même. Cette perte d’estime expliquerait la montée des populismes, qui suit le gradient des diplômes bien davantage que des revenus.

    Dans les années 1960-1970, les philosophes américains dominants refusaient la rhétorique de la méritocratie, considérant qu’il était contingent que le marché demande certains talents ou que certains talents soient communs ou rares ; Sandel prend comme exemple LeBron James : il a la chance que son talent soit recherché, mais durant la Renaissance italienne, à Florence, c’eût été celui du peintre.

    Le marché n’évalue pas en réalité la véritable contribution d’un individu à la société. Sandel prend l’exemple du professeur de chimie de Breaking Bad : sa contribution en vendant de la meth pour des millions de dollars est inférieure à celle qu’il avait comme professeur de chimie.

    Il ne faudrait pas oublier la leçon de Hegel : le moteur principal de l’humanité, c’est la lutte pour la reconnaissance. Cela implique d’avoir une idée du bien commun et des contributions respectives à ce bien commun, autres qu’évaluées par le marché. Mais comme on ne sait plus définir un bien commun, on préfère en rester à la neutralité du marché ; le débat a resurgi lors de la crise covid, avec une reconnaissance de l’utilité sociale des travailleurs du quotidien, dont les contributions n’étaient pas reconnues par les mécanismes du marché.

    Sandel n’ignore pas les solutions à droite et à gauche.

    À droite, Hayek reconnaît que le marché n’a rien à voir avec le mérite, mais reflète simplement le choix et les désirs des consommateurs. À gauche, Rawls ne considère pas non plus qu’une société rétribue les mérites. Les mieux dotés en talents auront au contraire une dette à l’égard des moins bien dotés. À l’objection que les mieux dotés auraient pu ne rien faire de leur talent, Rawls répond que la capacité d’effort est également héritée ou encouragée.

    Mais selon Sandel, ces deux paradigmes ne répondent pas à la difficulté majeure du ressentiment des laissés-pour-compte. Même la solution rawlsienne (le chirurgien est mieux payé que le concierge pour des raisons incitatives seulement, qui contribuent ultimement au bien des moins bien lotis) ne répond pas à la perte d’estime de soi que connaît celui qui est en bas de l’échelle des mérites.

    Diversité, sélection et seuil de compétences

    Est-ce à dire que toute sélection est malvenue et que les moins bons pourraient remplir des postes exigeants et techniques ? Sandel ne nie nullement qu’il faille sélectionner des compétences, mais on pourrait éliminer selon lui le biais de l’humiliation et de la perte d’estime de soi par un mécanisme simple : fixer un seuil de compétences, puis tirer au sort.

    Sur les 40 000 étudiants postulants à Harvard, en fixant un simple seuil de compétences, les examinateurs se retrouveraient avec environ 20 000 restants, tous excellents selon Sandel. Au-delà de ce seuil, il est trop difficile de prévoir la carrière académique et la réalité de ce qui est sélectionné : la sélection devient non signifiante. On tirerait alors au sort un sous-groupe. Celui-ci ne pourrait se targuer de ses qualités supérieures et les non tirés au sort ne connaîtraient pas non plus le stigmate du laissé-pour-compte.

    Il propose de faire l’expérience pour prouver la chose en comparant, au moment de leur diplôme de sortie ou durant leur carrière académique, un groupe qui aurait été tiré au sort et un autre sélectionné classiquement. Sandel prend le pari que les différences ne seront pas notables.

    Comment juge-t-on la musique ?

    Appliquons maintenant ces analyses à notre exemple du Philharmonique de Vienne. Ibrahim Maalouf ne semble pas nier l’excellence de l’orchestre, il la vante même sans ambages. Mais ces musiciens en haut de l’échelle des mérites n’ont pas été pris à partir d’un seuil de compétences, mais passés dans un crible qu’il est légitime d’analyser.

    Or, selon Sandel, passé un certain seuil, la sélection devient non signifiante : on ne sait plus vraiment ce qu’on sélectionne. Un musicien issu de la diversité aurait tout aussi bien pu être pris (au-delà d’un seuil de qualifications) et la musique qu’il aurait produite au Philharmonique eût été également sublime. Sandel reconnaîtrait que dans des cas très particuliers et limités (le génie en maths), l’hyper sélection peut encore atteindre une réalité. Mais dès que les compétences deviennent complexes et multiples ou liées à l’émotion musicale dans notre exemple, une foule de paramètres non contrôlés ou contrôlables ont en réalité plus d’importance que le processus de sélection.

    Utiliser Sandel pour interpréter la réaction de Maalouf n’est pas forcément une aberration pour un libéral. La sélection abstraite et académique n’a jamais vraiment été un Graal pour le libéralisme. En l’occurrence, le fait qu’un musicien rencontre une demande de la part d’un public est un critère bien plus sûr de sa plus-value (relative, bien sûr à un goût et un public donnés). Mais il est vrai que même ainsi, la question posée par Sandel sur la perte d’estime du déclassé doit être prise au sérieux par le courant libéral.

    Sélection institutionnelle vs choix du public

    On pourrait ici faire une distinction capitale, que ne fait étrangement jamais Sandel dans son ouvrage : le sentiment de rejet et de déclassement du laissé-pour-compte dans une sélection institutionnelle (université, orchestre) est d’un tout autre ordre que la déception de ne pas retenir les faveurs d’un public (en musique, dans le commerce, etc.) : dans le premier cas, la sélection prétend dire quelque chose des qualités objectives du candidat quand bien même, au-delà d’un seuil de compétence, ce que le processus sélectionnerait serait douteux, alors que dans le deuxième cas, l’impétrant sait ne subir qu’un échec circonstancié (moment particulier, public particulier), qui ne le réduit pas à cette tentative.

    Il pourrait être intéressant pour le courant libéral de travailler dans cette direction, en distinguant la sélection institutionnelle et la sélection par le marché en termes d’estime de soi.

    • chevron_right

      Contrepoints investigation

      Contrepoints · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 30 December, 2020 - 04:15 · 2 minutes

    Contrepoints Investigation

    Par la rédaction de Contrepoints.

    Contrepoints est un journal d’opinion. Mais nous allons être plus que cela.

    Nous allons devenir un journal d’investigation.

    Il s’agira de dévoiler chaque aspect des attaques contre nos libertés civiles et économiques, d’offrir une vision libérale alternative et de présenter des solutions concrètes.

    LE CONTENU

    Nous aborderons les sujets que VOUS trouvez les plus importants :

    • État de droit et abus de pouvoir administratif ;
    • liberté de la presse, de conscience et d’expression ;
    • monopoles publics et connivence entre l’État et le privé ;
    • environnement et énergie ;
    • vie privée, fichage et liberté sur Internet ;
    • transparence et corruption ;
    • sécurité, délinquance et terrorisme,

    ainsi que ceux qui touchent la vie quotidienne des Français : logement, pouvoir d’achat, emploi, instruction, transports, santé, retraites, etc.

    LA MÉTHODE

    Nos enquêtes originales ne donneront pas simplement lieu à quelques articles.

    Elles se traduiront par de véritables campagnes sur les défis cruciaux auxquels le pays est confronté.

    Chaque dossier sera structuré avec de multiples articles, combinant recherche, exemples concrets, interviews et analyse, et présenté sous forme de campagne avec des visuels et des messages uniques.

    La diffusion des campagnes trimestrielles se fera via les médias sociaux de Contrepoints , mais nous travaillerons aussi à pousser ‘nos’ sujets vers les autres médias non-concurrents de radio, de télévision et de presse écrite afin de démultiplier l’impact de notre travail.

    Nous veillerons enfin à faire la liaison avec des alliés potentiels au sein de la société civile pour que notre travail d’investigation aboutisse à un réel changement.

    VOTRE SOUTIEN

    Indépendant, non-partisan, sans mécène milliardaire ni subvention publique, Contrepoints n’existe que grâce aux donations fiscalement déductibles de ses lecteurs.

    Or, parmi nos lecteurs mensuels, seuls 0,2 % soutiennent financièrement le journal.

    Il ne reste que deux jours avant 2021 et chaque euro versé permettra de faire de ce projet une réalité. Allez-vous permettre à Contrepoints de réaliser et promouvoir ses enquêtes ?
    Cliquez ici pour nous soutenir : https://www.contrepoints.org/aider-contrepoints

    Merci d’être à nos côtés !– L’équipe de Contrepoints

    N.B. 1 : Si vous le souhaitez, votre don à l’association Libéraux.org qui édite Contrepoints est défiscalisable à hauteur de 66 %. Pour 100 euros de don, vous pouvez réduire votre impôt sur le revenu de 66 euros et votre libéralité ne vous coûte réellement que 34 euros. Un reçu fiscal vous est rapidement envoyé si vous nous le demandez à admin@liberaux.org .

    N.B. 2 : Vous voulez en savoir plus sur la façon dont votre don est employé, sur le journal et son équipe ou sur l’association qui l’édite et ses projets ? Lisez notre rapport annuel disponible ici . L’équipe de Contrepoints et notre auteur h16 ont aussi eu le plaisir de répondre à beaucoup de vos questions en vidéo .

    • chevron_right

      Noël, déformation mercantiliste ? Mais non !

      Guillaume Nicoulaud · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 25 December, 2020 - 04:45 · 8 minutes

    Par Guillaume Nicoulaud.

    Si vous lisez ces mots, c’est que la fin du monde n’a finalement pas eu lieu et que vous êtes désormais entièrement absorbés par l’affaire la plus urgente du moment : demain, ce sera Noël.

    Comme chaque année, vous allez donc vous trimbaler un sapin et passer des heures à ramasser ses aiguilles. Comme chaque année, vous allez vous farcir quelques heures de cuisine pour préparer ces figures culinaires imposées que vous mettrez plusieurs semaines à digérer. Comme chaque année, vous allez courir les magasins pour tenter de dégoter in extremis ce cadeau absolument indispensable que vous réclame votre petit dernier.

    Comme chaque année, enfin, vous allez devoir vous cogner le discours sentencieux du mauvais coucheur familial qui vous expliquera des heures durant que ces traditions païennes souillent la commémoration de la naissance du Christ ; que ces cadeaux ne sont que le signe de l’abject mercantilisme dans lequel baigne notre époque ; qu’en sacrifiant à ses coutumes factices, vous jouez le jeu du grand capital (mondialisé et néolibéral).

    En cette veille de Noël, je vous propose donc quelques petits éléments de mise au point.

    Ce fameux 25 décembre

    Ce 25 décembre, donc, toute la chrétienté fêtera la naissance de Jésus-Christ de Nazareth. Pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi : Noël n’a été intégré au calendrier liturgique que tardivement, probablement entre l’édit de Milan (313) par lequel Constantin accordait la liberté de culte à ses sujets et 354, sous le pontificat de Libère, date à laquelle une première célébration de la nativité est attestée.

    Naturellement, le 25 décembre n’a que très peu de chance (1 sur 365) d’être la véritable date d’anniversaire du Christ puisque rien, ni dans les écritures ni ailleurs, ne nous permet de dater précisément, fût-ce à un an près, cet événement. Néanmoins, si cette date n’est que pure convention, elle ne doit rien au hasard : avant de devenir la date de naissance symbolique du Christ 1 , le 25 décembre c’était le dies natalis solis invicti , le jour de naissance de Sol Invictus, le soleil invaincu devenu sous le règne d’Aurélien la divinité principale de l’empire.

    Désormais autorisée et même activement soutenue par le pouvoir impérial, la jeune Église n’avait de cesse que concurrencer les cultes païens ; c’est probablement 2 pour cette raison que le dies natalis de Sol Invictus est devenu le dies natalis du Christ ; le Natale italien.

    Mais si la date de Noël s’impose si facilement dans l’empire, ce n’est pas tant grâce au dieu de synthèse d’Aurélien 3 car le 25 décembre, dans le calendrier julien 4 , c’est le lendemain du solstice d’hiver, le moment où les jours recommencent à rallonger, un événement déjà fêté depuis la nuit des temps dans de nombreuses cultures et notamment celles de l’Europe pré-chrétienne comme les celtes et les peuples germaniques qui célébraient ce même jour la fête de Yule. Notre Noël dérive ainsi très probablement du neue helle germanique, la « nouvelle lumière », le moment où le Soleil gagne sur les ténèbres, la promesse d’une nouvelle année, de nouvelles récoltes, la vie qui poursuit son cours.

    Noël est une extraordinaire collection de symboles païens. L’habitude de se réunir en famille autour d’un bon repas, les chants et les histoires que l’on raconte aux enfants sont des traditions bien antérieures à la christianisation de l’Europe.

    Ce sapin qui trône dans votre salon a très probablement des origines celtiques ; c’était autrefois un épicéa que nos lointains ancêtres décoraient de pommes, de blé, de guirlandes de gui et couronnes de houx.

    De même, bien avant qu’elle ne devienne un dessert, on avait coutume, ici comme en Scandinavie, de faire brûler une grosse bûche durant toute la veillée du solstice d’hiver.

    Enfin, bien sûr, on ne peut pas évoquer Noël sans parler de ce sympathique barbu qui, pour on ne sait quelle obscure raison, s’obstine à gâter nos têtes blondes.

    De qui Père Noël est-il le nom ?

    On ne sait pas qui il est celui-là. La seule chose dont on soit à peu près sûr, c’est qu’il est le résultat de la fusion, opérée au début du XIXe siècle aux États-Unis 5 , entre le Father Christmas anglais et Saint Nicolas européen.

    Le premier, s’il a donné son nom à notre Père Noël, n’a eu que très tardivement pour fonction d’offrir des cadeaux aux enfants ; il est apparu au début du XVIIe siècle, vieux bonhomme bien nourri et vêtu d’une houppelande verte, et n’était rien de plus qu’une personnification de l’esprit festif de Noël.

    Les origines de Saint Nicolas, en revanche, sont mieux connues : c’est Nicolas de Myre, un évêque de l’actuelle Turquie, qui fut convoqué par l’Église pour devenir le protecteur des enfants et, accessoirement, le distributeur officiel de cadeaux du 6 décembre. Son nom, Sinter Klaas en vieil hollandais, est devenu Santa Claus aux États-Unis avant de fusionner complètement avec Father Christmas .

    Or voilà : si, lors de la christianisation des peuples germaniques et scandinaves, l’Église a ressenti le besoin d’invoquer Nicolas de Myre, ce n’est sans doute pas sans raison. C’est certainement qu’il y avait, là aussi, une tradition païenne à christianiser ; une tradition qui impliquait qu’un personnage aussi invisible que mythique distribue des cadeaux aux enfants. Nous entrons ici dans le domaine de la conjecture et, n’ayant aucune prétention en matière historique, je vais me contenter de vous raconter un conte ; un conte de Noël, cela va de soi.

    Il y a bien longtemps, avant que l’Europe ne devienne chrétienne, les mortels comme les dieux d’Ásgard avaient coutume de célébrer dignement la nuit du solstice d’hiver, la fête de Yule. C’est cette nuit qu’Odin, « père de Yule », choisissait pour traverser le Bifröst et, chevauchant Sleipnir, son fier destrier à huit pattes, il parcourait le ciel en chassant 6 .

    Naturellement, les prouesses de l’animal – qui pouvait voler et parcourir d’immenses distances en un rien de temps – avaient vite fait de l’épuiser ; il fallait donc le nourrir. Sachant cela, les enfants avaient pris l’habitude de remplir leurs chausses de carottes et de blé à l’attention de Sleipnir et de les déposer près de l’âtre avant d’aller se coucher. Toujours selon la légende, Odin, sensible à cette délicate attention, ne manquait jamais de les remercier en remplaçant ces victuailles par des friandises et des cadeaux.

    Qu’avons-nous là ? Un vénérable barbu (« longue barbe » est un des nombreux noms d’Odin), manifestement d’origine nordique (vous admettrez avec moi que le traineau de notre Père Noël et sa houppelande y font penser au moins un peu), qui chevauche un cheval (comme Saint Nicolas) à huit pattes (comme les huit rennes du Père Noël) qui a la faculté de voler et qui passe la nuit de Noël à distribuer des cadeaux (comme le Père Noël) aux enfants qui ont eu la gentillesse de nourrir sa monture (comme Saint Nicolas). Le moins que l’on puisse dire c’est que notre sympathique petit papa Noël entretient quelques similitudes frappantes avec le maître d’Ásgard.

    L’esprit de Noël

    Quoi qu’il en soit – et ça c’est une certitude – cette habitude qui veut que nous offrions des cadeaux à nos enfants le jour du solstice d’hiver n’a rien d’une déformation mercantiliste de Noël ; elle lui est, de loin, antérieure.

    Ce faisant, à l’image de nos sapins et de nos bûches de Noël, nous ne faisons que perpétuer les traditions séculaires de notre vieille Europe. Pensez-y quand vos monstres surexcités ouvriront leurs cadeaux : même si vous n’êtes pas chrétien, même si vous ne vénérez aucun dieu, ce que vous célèbrerez ce soir-là, en famille et au travers de la joie de vos enfants, c’est la vie qui continue.

    Joyeux Noël à toutes et à tous !

    NB : Celles et ceux qui utilisent un autre calendrier que celui de Rome – notamment nos amis orthodoxes – voudront bien me pardonner : ce texte est déjà trop long.

    Article initialement publié en décembre 2017.


    Sur le web

    1. Pour ce qui est de l’année, Denys le Petit s’est sans doute trompé de quelques années – même Benoît XVI l’admet volontiers.
    2. Il n’existe aucune certitude à ce propos ; bien que probable, cette interprétation reste sujette à débats.
    3. Sol Invictus a été créé de toutes pièces en reprenant des attributs d’Apollon et du dieu indo-iranien Mithra à qui il doit notamment sa date de naissance.
    4. Dans notre calendrier actuel, le solstice d’hiver a habituellement lieu entre le 21 et le 22 décembre.
    5. Profitons-en pour tordre le coup à une idée reçue : ce n’est pas Coca-Cola qui a inventé le Père Noël ni même la couleur rouge de sa houppelande. La firme d’Atlanta, dans sa campagne publicitaire de 1931, n’a fait qu’utiliser à son profit une iconographie déjà existante en privilégiant la couleur qui l’arrangeait le mieux.
    6. J’évoque Odin, Ásgard et le Bifröst sans vraiment vous en dire plus : si vous ne connaissez pas ces choses-là, demandez à n’importe quel gamin de 10 ans et il vous l’expliquera. Par ailleurs, si vous demandez comment un gamin à peine vieux d’une décennie peut connaître aussi bien la mythologie scandinave, c’est très simple : c’est grâce aux comics de Marvel et à Hollywood qui les a remis au goût du jour ces dernières années (ravages du capitalisme, édition culturelle).