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École autrichienne d’économie : les fondements philosophiques
Guillaume Moukala Same · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 04:10 · 5 minutes
Par Guillaume Moukala Same.
En économie, l’ école autrichienne se distingue par sa conviction qu’il existe des lois économiques « exactes » et « universelles », dont le caractère véritable peut être démontré par l’unique recours à la logique.
Cette approche peu conventionnelle a valu aux Autrichiens d’être accusés de dogmatisme ou traités de vulgaires idéologues. Nous cherchons ici à démontrer qu’à l’inverse, c’est bien la volonté d’élever l’économie au statut de science, en s’inspirant notamment de la méthode géométrique, qui motive les penseurs de l’école autrichienne.
Ce programme ambitieux—trop ambitieux peut-être ?— a aussi ses limites. Nous démontrerons toutefois que l’approche autrichienne ne se limite pas à la théorie pure et que l’étude des faits historiques a aussi sa place.
Les fondements philosophiques de l’école autrichienne d’économie
La science s’attelle à chercher ce qui existe, ce qui est , indépendamment de notre faculté de le percevoir. Si la réalité n’existait pas de manière objective, c’est-à-dire en dehors de notre conscience, alors la science ne serait, par définition, pas possible.
Pour utiliser les mots de Philippe K. Dick, la réalité est « ce qui continue d’exister quand on cesse d’y croire » .
La recherche scientifique consiste donc à élaborer des méthodes pour saisir la réalité du mieux que les capacités de l’entendement humain le permettent. Et ainsi nous pouvons dire que l’adéquation entre l’intelligence et le réel qui en résulte, c’est-à-dire le réel saisi par la pensée, c’est ce que nous pouvons appeler la vérité—ou connaissance objective.
Mais alors, quelles sont la (ou les) méthode(s) qui permettent d’aboutir à la vérité ? Pour simplifier, il existe deux écoles : pour la première, la connaissance objective s’acquiert par l’observation ; pour la seconde, celle-ci s’acquiert avant tout par la pensée.
Nous voyons déjà se dessiner l’opposition principale qui divise les philosophes depuis l’Antiquité : celle entre empiristes et rationalistes . Comme nous allons le voir, les économistes autrichiens se positionnent du côté des rationalistes.
L’originalité et la prouesse des économistes autrichiens est d’avoir appliqué aux sciences sociales la « méthode géométrique », originellement développée par Euclide dans ses Éléments . Cette méthode consiste à partir d’un postulat de départ tenu pour vrai, un axiome , pour en déduire toutes les conséquences logiques et ainsi aboutir à une théorie complète. Si A est vrai, alors tout ce qui en découle logiquement est nécessairement vrai.
À partir du XVIe siècle, cette méthode a commencé à être appliquée au domaine philosophique. C’est la méthode utilisée par Descartes dans ses Méditations , Leibniz dans la Théodicée et surtout, par Spinoza dans L’Éthique (dont le titre complet, L’Éthique démontrée suivant l’ordre géométrique , est très révélateur). Spinoza est celui qui est allé le plus loin dans l’application de cette méthodologie aux questions philosophiques.
Il déduit de la nécessaire existence de Dieu (le postulat 1 ) tout un système philosophique qui conduit —selon lui— à la liberté et la béatitude.
Cette méthode est très utile car elle permet d’accéder à ce que Leibniz appelle des « vérités éternelles » , c’est-à-dire des vérités « qui sont absolument nécessaires, en sorte que l’opposé implique contradiction » et dont on ne saurait nier « la nécessité logique, métaphysique ou géométrique, sans pouvoir être mené à des absurdités 2 ».
Ainsi, il devient possible de bâtir des systèmes qui présentent une vision cohérente, rationnelle et objective des problèmes philosophiques. En empruntant la méthode géométrique, la philosophie peut donc être érigée en science. C’est exactement ce qu’ont cherché à accomplir les économistes autrichiens, en appliquant cette méthode aux sciences sociales—ou sciences de l’agir humain .
Mais avant d’introduire le concept d’action humaine, il nous faut nous attarder un peu plus longtemps sur la nature de ces vérités éternelles. Nous avons déjà souligné que celles-ci, grâce à un raisonnement logico-déductif ayant pour point de départ un axiome, c’est-à-dire une proposition tenue pour vrai, sans démonstration, car évidente en soi. Mais comment savoir si une proposition est évidente en soi ?
Sur ce point, il existe un léger désaccord entre deux camps.
Il y a ceux qui pensent, comme Kant, Mises ou Hoppe, qu’une proposition est évidente en soi car on ne peut pas nier sa vérité sans se contredire ; c’est-à-dire qu’en essayant de la nier, on admettrait en fait implicitement sa vérité 3 .
Par exemple : « il existe une vérité absolue » ou « le langage existe » sont des axiomes évidents puisqu’affirmer qu’il n’y a pas de vérité absolue, c’est prétendre énoncer… une vérité absolue. Quant au langage, toute tentative d’argumenter contre son existence nécessite l’utilisation… du langage.
Et il y a ceux qui pensent qu’une proposition est évidente en soi car c’est un fait directement percevable —comme Aristote ou Rothbard . Pour ces derniers, un concept axiomatique est tout simplement une vérité première, directement accessible, perçue ou vécue sans qu’il n’y ait besoin de l’analyser plus en profondeur.
Mises et Rothbard sont donc en désaccord sur ce point très spécifique. Mais comme dirait ce dernier, « en un sens, ces questions sont une perte de temps 4 » puisque ce qui compte c’est d’être d’accord sur l’essentiel : que le concept axiomatique d’action humaine est bien évident en soi.
À suivre.
- Si un raisonnement philosophique qui part du principe que Dieu existe peut paraître obsolète aujourd’hui, le Dieu spinoziste n’a rien à voir avec le Dieu chrétien. Chez Spinoza, il serait plus juste de comprendre Dieu au sens de la Nature ou, pour utiliser un terme objectiviste (la philosophie d’Ayn Rand), l’existence. ↩
- Leibniz dans la Théodicée , 1710. ↩
- Hoppe, H.H., 1995. Economic science and the Austrian method. Ludwig von Mises Institute. ↩
- Rothbard, Murray N. In Defense of Extreme Apriorism . Southern Economic Journal (1957): 314-320. ↩