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      École autrichienne d’économie : les fondements philosophiques

      Guillaume Moukala Same · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 04:10 · 5 minutes

    Par Guillaume Moukala Same.

    En économie, l’ école autrichienne se distingue par sa conviction qu’il existe des lois économiques « exactes » et « universelles », dont le caractère véritable peut être démontré par l’unique recours à la logique.

    Cette approche peu conventionnelle a valu aux Autrichiens d’être accusés de dogmatisme ou traités de vulgaires idéologues. Nous cherchons ici à démontrer qu’à l’inverse, c’est bien la volonté d’élever l’économie au statut de science, en s’inspirant notamment de la méthode géométrique, qui motive les penseurs de l’école autrichienne.

    Ce programme ambitieux—trop ambitieux peut-être ?— a aussi ses limites. Nous démontrerons toutefois que l’approche autrichienne ne se limite pas à la théorie pure et que l’étude des faits historiques a aussi sa place.

    Les fondements philosophiques de l’école autrichienne d’économie

    La science s’attelle à chercher ce qui existe, ce qui est , indépendamment de notre faculté de le percevoir. Si la réalité n’existait pas de manière objective, c’est-à-dire en dehors de notre conscience, alors la science ne serait, par définition, pas possible.

    Pour utiliser les mots de Philippe K. Dick, la réalité est « ce qui continue d’exister quand on cesse d’y croire » .

    La recherche scientifique consiste donc à élaborer des méthodes pour saisir la réalité du mieux que les capacités de l’entendement humain le permettent. Et ainsi nous pouvons dire que l’adéquation entre l’intelligence et le réel qui en résulte, c’est-à-dire le réel saisi par la pensée, c’est ce que nous pouvons appeler la vérité—ou connaissance objective.

    Mais alors, quelles sont la (ou les) méthode(s) qui permettent d’aboutir à la vérité ? Pour simplifier, il existe deux écoles : pour la première, la connaissance objective s’acquiert par l’observation ; pour la seconde, celle-ci s’acquiert avant tout par la pensée.

    Nous voyons déjà se dessiner l’opposition principale qui divise les philosophes depuis l’Antiquité : celle entre empiristes et rationalistes . Comme nous allons le voir, les économistes autrichiens se positionnent du côté des rationalistes.

    L’originalité et la prouesse des économistes autrichiens est d’avoir appliqué aux sciences sociales la « méthode géométrique », originellement développée par Euclide dans ses Éléments . Cette méthode consiste à partir d’un postulat de départ tenu pour vrai, un axiome , pour en déduire toutes les conséquences logiques et ainsi aboutir à une théorie complète. Si A est vrai, alors tout ce qui en découle logiquement est nécessairement vrai.

    À partir du XVIe siècle, cette méthode a commencé à être appliquée au domaine philosophique. C’est la méthode utilisée par Descartes dans ses Méditations , Leibniz dans la Théodicée et surtout, par Spinoza dans L’Éthique (dont le titre complet, L’Éthique démontrée suivant l’ordre géométrique , est très révélateur). Spinoza est celui qui est allé le plus loin dans l’application de cette méthodologie aux questions philosophiques.

    Il déduit de la nécessaire existence de Dieu (le postulat 1 ) tout un système philosophique qui conduit —selon lui— à la liberté et la béatitude.

    Cette méthode est très utile car elle permet d’accéder à ce que Leibniz appelle des « vérités éternelles » , c’est-à-dire des vérités « qui sont absolument nécessaires, en sorte que l’opposé implique contradiction » et dont on ne saurait nier « la nécessité logique, métaphysique ou géométrique, sans pouvoir être mené à des absurdités 2 ».

    Ainsi, il devient possible de bâtir des systèmes qui présentent une vision cohérente, rationnelle et objective des problèmes philosophiques. En empruntant la méthode géométrique, la philosophie peut donc être érigée en science. C’est exactement ce qu’ont cherché à accomplir les économistes autrichiens, en appliquant cette méthode aux sciences sociales—ou sciences de l’agir humain .

    Mais avant d’introduire le concept d’action humaine, il nous faut nous attarder un peu plus longtemps sur la nature de ces vérités éternelles. Nous avons déjà souligné que celles-ci, grâce à un raisonnement logico-déductif ayant pour point de départ un axiome, c’est-à-dire une proposition tenue pour vrai, sans démonstration, car évidente en soi. Mais comment savoir si une proposition est évidente en soi ?

    Sur ce point, il existe un léger désaccord entre deux camps.

    Il y a ceux qui pensent, comme Kant, Mises ou Hoppe, qu’une proposition est évidente en soi car on ne peut pas nier sa vérité sans se contredire ; c’est-à-dire qu’en essayant de la nier, on admettrait en fait implicitement sa vérité 3 .

    Par exemple : « il existe une vérité absolue » ou « le langage existe » sont des axiomes évidents puisqu’affirmer qu’il n’y a pas de vérité absolue, c’est prétendre énoncer… une vérité absolue. Quant au langage, toute tentative d’argumenter contre son existence nécessite l’utilisation… du langage.

    Et il y a ceux qui pensent qu’une proposition est évidente en soi car c’est un fait directement percevable —comme Aristote ou Rothbard . Pour ces derniers, un concept axiomatique est tout simplement une vérité première, directement accessible, perçue ou vécue sans qu’il n’y ait besoin de l’analyser plus en profondeur.

    Mises et Rothbard sont donc en désaccord sur ce point très spécifique. Mais comme dirait ce dernier, « en un sens, ces questions sont une perte de temps 4 » puisque ce qui compte c’est d’être d’accord sur l’essentiel : que le concept axiomatique d’action humaine est bien évident en soi.

    À suivre.

    1. Si un raisonnement philosophique qui part du principe que Dieu existe peut paraître obsolète aujourd’hui, le Dieu spinoziste n’a rien à voir avec le Dieu chrétien. Chez Spinoza, il serait plus juste de comprendre Dieu au sens de la Nature ou, pour utiliser un terme objectiviste (la philosophie d’Ayn Rand), l’existence.
    2. Leibniz dans la Théodicée , 1710.
    3. Hoppe, H.H., 1995. Economic science and the Austrian method. Ludwig von Mises Institute.
    4. Rothbard, Murray N. In Defense of Extreme Apriorism . Southern Economic Journal (1957): 314-320.
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      Twitter devait-il bannir Donald Trump ? Le débat entre libéraux

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 04:00 · 6 minutes

    Par Frédéric Mas.

    Dans un billet en date du 12 janvier dernier paru sur le site Marginal Revolution , l’économiste Tyler Cowen revient sur l’éjection de Donald Trump de Twitter. Non seulement il approuve la politique de modération du célèbre réseau, mais il pose plusieurs questions à ceux qui se scandalisent de cette « censure ». Certaines d’entre elles s’adressent aux libéraux et aux libertariens :

    « Robert Nozick a appelé à la création d’un archipel d’organisations politiques, chacune fixant ses propres règles de manière autonome. L’action de Twitter n’est-elle pas tout à fait conforme à cette vision ? L’équilibre libertarien optimal est-il vraiment celui qui ajoute une réglementation gouvernementale centralisée des codes de parole des plateformes technologiques ?  Si oui, cela vous incite-t-il à rejeter les doctrines libertariennes de manière plus générale ? »

    Tyler Cowen fait ici référence à un passage du livre du philosophe libertarien Robert Nozick Anarchie, État et Utopie (1974). Dans le dernier chapitre, Nozick propose un modèle libertarien idéal, dans lequel l’individu rationnel choisit parmi une multitude d’associations politiques celle la plus conforme à ses propres aspirations, sur le modèle de n’importe quel marché concurrentiel :

    « Si une association m’offre moins que ce qu’elle gagnerait à ma présence, une autre association qui apprécie aussi ma présence aura tout intérêt à m’offrir quelque chose de plus que la première […] afin que je la rejoigne elle plutôt que la première. De même pour une troisième association en comparaison avec la seconde, etc. Il ne peut y avoir de collusion entre les différentes associations en vue de réduire mon versement, puisque je peux imaginer n’importe quel nombre d’autres candidats sur le marché pour que je les rejoigne, aussi les associations feront-elles monter les enchères pour que je m’affilie à elles. »

    Le modèle de théories proposé par le philosophe et logicien en s’appliquant au monde devient un « canevas » de groupes et d’associations :

    « Dans notre monde véritable, ce qui correspond au modèle des mondes possibles est un vaste éventail diversifié de communautés que les gens peuvent pénétrer s’ils y sont admis, abandonner s’ils le désirent, façonner selon leurs désirs ; c’est une société dans laquelle l’expérimentation utopique peut être essayée, différents styles de vie vécus, et des visions différentes du bien peuvent être recherchées individuellement ou en groupe. »

    Pour Cowen, la souveraineté de Twitter sur ses terres numériques s’apparente à celle d’une de ces multiples associations volontaires à laquelle s’agrègent les individus en fonction de leurs convenances. Demander à l’État d’intervenir pour mettre de l’ordre dans les réseaux sociaux reviendrait à consolider son monopole coercitif au détriment de la liberté individuelle.

    La gauche de la gauche ne s’y est pas trompée, quand elle compare les plateformes technologiques à de nouvelles féodalités que l’État central doit briser pour transformer les services proposés en droits offerts aux citoyens 1 .

    Les géants de la tech libertariens ?

    Seulement, il est possible de formuler trois réserves -libérales- à la position de Tyler Cowen.

    Le modèle d’utopie proposé par Nozick est-il le plus pertinent pour décrire l’écosystème des réseaux sociaux et des plateformes réellement existant ? L’oligopole des GAFA n’est pas le produit d’un marché de concurrence pure et parfaite. Sa position dominante ne s’explique pas uniquement, contrairement à une légende qu’elle entretient sur ses propres origines, par la qualité intrinsèque de ses biens et de ses services.

    Les géants de la tech se sont toujours appuyés sur les commandes de l’État américain, avec lequel ils ont développé une relation symbiotique, en particulier en matière de surveillance, depuis le début pour prospérer et asseoir leur pouvoir 2 .

    S’ajoute à cela la tendance monopolistique des géants du secteur, qui pour garder la main dans un système économique reposant sur l’information, ont fait pression sur les États pour durcir les conditions d’accès aux droits de propriété intellectuelle 3 . Comme le note l’économiste italien Ugo Pagano, avec les droits de propriété intellectuelle :

    « le monopole n’est plus seulement fondé sur un pouvoir de marché dû à la concentration de compétences dans les machines et le management ; il devient également un monopole légal sur les connaissances 4 . »

    La cartellisation d’une partie du débat public par les GAFA n’est-il pas une menace directe sur sa bonne tenue, et donc le bon fonctionnement de la démocratie libérale ? Réapparait ici une différence essentielle entre la position libérale classique et celle libertarienne.

    Si la parcellisation du monde politique et du débat public ne pose théoriquement aucun problème au libertarien, ses effets sur le gouvernement représentatif interroge le libéral plus classique.

    Le débat public en démocratie libérale

    Qui tient les rênes du débat public oriente la discussion et la délibération politique qui font vivre les institutions démocratiques modernes. Est-ce aux réseaux sociaux d’en modérer les termes ou d’en formater le contenu ? La question s’est posée dès 2016, quand l’essentiel du débat sur l’élection présidentielle américaine s’est déplacé des médias traditionnels vers les plateformes technologiques, les réseaux et les forums du net.

    Faudra-t-il une loi antitrust pour protéger le bon fonctionnement de la démocratie représentative ou plus simplement réviser la règlementation pour permettre l’émergence de concurrents face aux géants d’aujourd’hui ? Les avis divergent sur la solution à apporter à un phénomène économique sans précédent dans l’Histoire. C’est d’ailleurs cette nouveauté absolue qui prend au dépourvu libéraux et libertariens sur la question.

    Enfin, l’inquiétude concernant le renforcement de la position centrale de l’État est légitime, mais est-elle vraiment compatible avec la propre conception « libertarienne » proposée par Tyler Cowen lui-même ? Tyler Cowen a créé la polémique parmi les libéraux en proposant sa propre version du libertarianisme, le State Capacity Libertarianism .

    Elle offre selon lui une porte de sortie aux apories contemporaines du libéralisme en réhabilitant le rôle d’un État fort dans la défense et la promotion du capitalisme. S’inquiéter de voir l’État prendre un rôle d’arbitre dans le domaine des GAFA tout en lui donnant un rôle central dans l’édification totale du système économique capitaliste n’est-il pas un peu contradictoire, ou du moins myope ?

    Dans le cas libertarien, la liberté d’expression est donc subordonnée à la propriété privée. Dans celui libéral classique, la liberté d’expression est un bien public à protéger pour faire vivre la démocratie libérale.

    Alors, l’économie de l’information est-il un eldorado libertarien ou le paradis des nouveaux monopoleurs ? Le débat ne fait que commencer.

    1. Sur le sujet, voir par exemple Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique , La découverte, 2020 ou Shoshana Zuboff, L’âge d’or du capitalisme de surveillance , Zulma Essais, 2019.
    2. Felix Treguer, L’utopie déchue : une contre-histoire d’Internet , éditions Fayard, 2019.
    3. La propriété intellectuelle est au centre des critiques formulées par les libertariens. Voir par exemple Comment rémunérer les productions intellectuelles dans un marché libre ? in Contrepoints .
    4. Cité par Cédric Durant, op.cit., p. 163.
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      Le retour de la folie hydrogène

      Michel Gay · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 03:50 · 6 minutes

    Par Michel Gay.

    Puisque la folie de l’hydrogène (H2) revient à la mode avec le plan de relance du gouvernement de septembre 2020 lui accordant 7 milliards d’euros d’ici 2030, voici quelques rappels qui risquent de refroidir les ardeurs.

    Une civilisation hydrogène ?

    Depuis cette annonce, les chasseurs de subventions se lèchent les babines devant ce pactole qu’il s’agit maintenant de s’accaparer au mieux avec des études et des projets pompes-à-fric plus mirifiques les uns que les autres pour faire croire que la France se dirige vers une future « civilisation hydrogène ».

    À l’horizon 2035, le Réseau de transport d’électricité (RTE) envisagerait de remplacer par de l’H2 vert une partie seulement de l’H2 industriel (environ 40 %) déjà produit et utilisé dans la chimie. Celui-ci est aujourd’hui obtenu à partir du gaz naturel méthane par la technique du vaporeformage pour le raffinage du pétrole et la fabrication d’engrais principalement.

    Son usage éventuel comme énergie dans la mobilité pour succéder au pétrole et au gaz n’est pas prévu avant 2050 au mieux.

    Certes, pour le service rendu en termes d’autonomie (supérieure à 600 km) et de rapidité de ravitaillement (quelques minutes), le gaz hydrogène (H2) dit vert  pourrait être le meilleur moyen écologique d’électrifier les transports via une pile à combustible (PAC).

    L’hydrogène est une énergie qui apparaît merveilleuse et futuriste pour succéder aux carburants fossiles (pétrole, gaz, charbon) dans la mobilité et le chauffage depuis… plus d’un siècle !

    En effet, l’hydrogène vert est extrait de l’eau (H2O) avec de l’électricité. En pratique, 11 litres d’eau (ou 11 kg) sont nécessaires pour produire 1 kg d’hydrogène qui permet de parcourir environ 100 km avec une PAC dans une voiture moyenne. L’eau ne manque pas en Europe, et l’électricité verte peut être produite grâce au vent et au soleil intermittents ainsi qu’à l’uranium , tous disponibles pour des millénaires.

    Après avoir brûlé le gaz hydrogène pour se chauffer, ou l’avoir retransformé en électricité dans une PAC, il se recombine avec l’oxygène de l’air pour redonner… de l’eau. Extraordinaire !

    Quoi de plus simple, de plus propre et de plus écologique ?

    Ce serait donc une énergie non polluante disponible en quantité inépuisable.

    Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ?

    D’où vient l’hydrogène ?

    L’hydrogène n’est pas une source d’énergie disponible à l’état naturel sur Terre, sauf sous forme diffuse et inexploitable .

    Pour des raisons de coûts, ce gaz est aujourd’hui extrait industriellement du pétrole, du charbon, et surtout du gaz naturel (méthane) qu’il est censé remplacer.

    Bien entendu, le gaz hydrogène n’est un vecteur d’énergie formidable que s’il est extrait… de l’eau !

    Pour produire l’hydrogène vert nécessaire chaque année pour succéder, même partiellement, au pétrole et au gaz dans les transports, la seule solution viable actuellement parmi de nombreux procédés, est selon RTE l’électrolyse de l’eau qui nécessite de produire en amont une électricité décarbonée, abondante, et bon marché.

    Mais ce procédé entraîne une perte de 50 % d’énergie pour obtenir de l’hydrogène à 700 fois la pression atmosphérique (700 bars), et jusqu’à 60 % pour obtenir de l’hydrogène liquide (à moins 253°C), à partir de l’électricité initiale.

    Puis une nouvelle perte de 50 % intervient pour transformer l’H2 en électricité dans une PAC.

    Le rendement global de la production d’électricité initiale jusqu’à l’énergie mécanique fournie « aux roues » en y incluant les pertes diverses (transports, stockages,…) est donc inférieur à 25 % (il y a plus de 75 % de pertes).

    Pour 100 kWh d’électricité produite, le « système hydrogène » en restitue moins de 25 kWh.

    Le coût de l’électricité à la sortie d’une PAC est donc au minimum quatre fois plus élevé que le prix de l’électricité à l’entrée. Sans compter l’amortissement du coût important des électrolyseurs et de la PAC qui peut doubler le prix de vente alors que, dans les mêmes conditions, le « système batterie » en restitue 75 kWh.

    Pour remplacer l’importation annuelle des 50 millions de tonnes de pétrole pour la mobilité en France par de l’hydrogène vert obtenu par électrolyse, il sera nécessaire de produire 600 térawattheures (TWh) d’électricité, en plus des 500 TWh produits annuellement aujourd’hui sur le territoire national, dont 400 TWh par le parc nucléaire.

    Il faudrait donc au minimum doubler le parc nucléaire qui est la seule source d’énergie capable de fournir massivement l’électricité nécessaire à cette électrolyse si le pétrole, le gaz et le charbon font défaut.

    Dans les véhicules ?

    L’hydrogène liquide a été abandonné pour les voitures particulières après diverses tentatives car il est difficile à conserver à moins 253°C (fuites importantes par bouillonnement permanent dans un contenant isolant et volumineux).

    Pour parcourir plus de 600 km en véhicule, le meilleur compromis aujourd’hui est le réservoir d’hydrogène comprimé à 700 bars, associé à une PAC et une petite batterie tampon d’une quinzaine de kilowattheures (kWh), comme dans la Nexo de Hyundai par exemple, dont le prix de vente est d’environ 70 000 euros. Un tel réservoir occupe un volume de 35 litres et pèse 18 kg par kg d’hydrogène contenu.

    Pour la mobilité, un kg d’hydrogène équivaut à environ 7,5 litres d’essence en énergie mécanique aux roues.

    En effet, le rendement de l’énergie mécanique fournie aux roues par l’hydrogène, depuis le réservoir via une PAC, est deux fois supérieur (environ 50 %) à celui de l’essence dans un moteur à explosion (environ 25 %).

    Donc, un kg d’hydrogène contenant 33 kWh « chaleur » fournit la même quantité d’énergie mécanique aux roues (17 kWh) pour mouvoir le véhicule via l’électricité produite par la PAC que 7,5 litres d’essence contenant 68 kWh « chaleur » via le moteur à explosion.

    Il en résulte que le réservoir d’une voiture contenant 10 kg d’hydrogène (permettant de parcourir environ 800 km avec une consommation de 1,2 kg d’hydrogène par 100 km ) représente un volume de 350 litres et pèse 180 kg. Il est donc près de six fois plus gros que le réservoir d’essence (350 litres au lieu de 60 litres) et trois fois plus lourd (180 kg au lieu de 60 kg).

    Mais d’autres inconvénients sont plus ennuyeux, voire rédhibitoires.

    L’hydrogène est difficile à utiliser, coûteux et dangereux

    L’usage du gaz hydrogène en tant qu’énergie est quasiment inexistant au niveau mondial (1 % pour les fusées) car il est difficile à manier, conditionner, transporter, stocker…

    Il est aussi coûteux à exploiter et son pouvoir explosif élevé le rend très dangereux .

    L’économie hydrogène vert en tant que vecteur énergétique ne délivre à l’utilisateur final que 10 à 25 % de l’énergie initialement produite. Il faudra vraiment avoir un besoin impératif d’hydrogène décarboné pour gaspiller autant d’énergie et donc d’argent pour se déplacer et se chauffer.

    Dans ces conditions, en dehors d’opérations publicitaires ciblées et de projets expérimentaux parfois bidons subventionnés par les contribuables, l’hydrogène ne succèdera ni au pétrole ni au gaz naturel (méthane) tant que ces derniers seront disponibles, c’est-à-dire pendant encore un siècle au moins.

    La France s’engagera-t-elle dans cette impasse énergétique et cette gabegie financière ?

    En tant qu’énergie pour succéder aux énergies fossiles, et malgré son aspect séduisant, le gaz hydrogène vert issu de l’électricité renouvelable et nucléaire est une folle solution d’avenir qui le restera longtemps si les Français et les Européens ne veulent pas se ruiner.

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      Bilan INSEE de la mortalité en France en 2020

      Nathalie MP Meyer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 03:40 · 7 minutes

    Par Nathalie MP Meyer.

    Ce n’est pas une statistique qui captivait les foules ou moi-même ces dernières années, mais avec la pandémie de Covid-19 et ses déclinaisons médiatiques obsédantes en nombre de contaminations, hospitalisations, réanimations et morts, l’étude du nombre de décès en France en 2020 comparativement aux années précédentes est pratiquement devenue aujourd’hui un incontournable de l’analyse politique au même titre que le suivi des comptes publics ou du chômage pour rendre compte de la situation socio-économique du pays.

    Cela me semble d’autant plus justifié que les confinements et autres couvre-feux, synonymes de mise à l’arrêt plus ou moins totale des activités économiques, sportives et culturelles, qui ne sont pas sans produire leur lot de pauvreté, chômage et déclassement social et/ou psychique dans la population, ainsi que la dangereuse fuite en avant dans le « quoi qu’il en coûte » qui les accompagne, ont été décidés par le fait que la maladie est non seulement contagieuse, mais, dans bien des cas, mortelle.

    D’où l’importance d’avoir une image exacte de cette surmortalité dont on cherche à se protéger. Or c’est précisément ce que l’INSEE vient de nous fournir dans son rapport ( ici et ici ) sur les décès en France en 2020 publié vendredi 15 janvier dernier.

    Avant d’entrer plus avant dans la lecture dudit rapport, quelques remarques :

    · Il s’agit d’un bilan provisoire qui sera légèrement revu à la hausse car les décès de fin d’année n’ont pas encore été tous transmis par les mairies à l’Institut de la statistique.
    · Gardons également à l’esprit qu’avec l’accroissement et le vieillissement de la population, il est naturel que le nombre de décès augmente tendanciellement chaque année (+0,6 % entre 2019 et 2018 par exemple).
    · Notons enfin que l’INSEE recense les décès toutes causes confondues. Ce sont les écarts entre les années qui permettent d’évaluer l’impact de telle ou telle cause sur la mortalité finale.

    Le graphique ci-dessous récapitule le nombre de décès quotidiens en France en 2003 (jaune) puis de 2015 (marron) à 2020 (rouge) et en moyenne sur 2015-2019 (noir). L’INSEE a indiqué en outre les causes des principaux pics observés, à savoir les épidémies de grippe saisonnière et les canicules. On remarque nettement l’impact bref mais foudroyant de la canicule de l’été 2003 et on note également un petit pic de cette nature en 2019 puis en 2020.

    L’Institut a également borné les périodes de confinement de l’année 2020 (printemps et automne) et on voit qu’elles coïncident avec des pics de surmortalité attribuables à la pandémie de Covid-19 significativement hauts en nombres quotidiens (par rapport aux décès de la même période des années précédentes) et larges en durée :

    Au total, le nombre de décès s’est monté à 667 400 en 2020, soit presque 54 000 de plus que l’année précédente, ce qui représente une croissance de 9 % par rapport à 2019 se répartissant entre 8 % pour les femmes et 10 % pour les hommes. Du jamais vu dans les périodes récentes :

    C’est cependant moins que les 66 000 décès attribués au Covid-19 en 2020 par Santé publique France, et ceci pour deux raisons principales :

    · La grippe saisonnière n’a pas eu d’incidence particulière sur la mortalité au début de l’année 2020, contrairement aux années précédentes. On observe des pics significatifs en février 2015, janvier 2017 et mars 2018. L’épidémie de grippe 2018-2019 qui culmine en février 2019 se situe en dessous des années précédentes et celle de 2020 encore en dessous de la mortalité de 2019. De ce fait, on compte 7500 décès en moins en janvier et février 2020 par rapport à la même période de 2019.

    · Les confinements semblent avoir eu un effet « protecteur » sur les jeunes de moins de 25 ans. Leur mortalité est inférieure de 6 % en 2020 par rapport à 2019, notamment du fait d’un moindre nombre d’accidents de la circulation à partir de mars 2020.

    À propos de l’évolution des décès selon la tranche d’âge, justement, l’INSEE considère qu’en 2020, la surmortalité des moins de 65 ans est négligeable : en plus de la sous-mortalité des moins de 25 ans (-6 % comme on vient de le voir), il convient de noter que la tranche des 25-49 ans a enregistré un recul de mortalité de 1 % par rapport à l’année précédente et celle des 50-64 ans une petite augmentation de 2 %.

    En revanche, la surmortalité des 65 ans et plus a atteint 10 % sur l’année pour toutes les classes d’âges concernées (65-74 ans, 75-84 ans et 85 ans et plus) mais a augmenté avec l’âge pendant les vagues de Covid :

    « Au cours des deux vagues de Covid-19 du printemps et de l’automne, l’excédent de mortalité des personnes de 65 ans et plus a été d’autant plus important que les personnes étaient plus âgées. Ce n’est pas le cas sur l’ensemble de l’année 2020 (10 % pour les 65-74 ans comme pour les 75-84 ans et les 85 ans et plus). »

    Sur le plan de la répartition géographique, la façade Est de la France a été la plus touchée par l’excédent de mortalité, notamment les régions Île-de-France (+ 18 %), Auvergne-Rhône-Alpes (+ 14 %) et Grand-Est (+ 13 %). Dans ces trois régions, six départements ont dépassé les 20 % de surmortalité en 2020. On peut leur rajouter Mayotte qui culmine à +24 % :

    Muni de tous ces éléments factuels détaillés dans les publications de l’INSEE, chacun peut tenter de se forger son idée sur la gravité de la pandémie et sur la nécessité de prolonger, accentuer ou au contraire alléger voire lever les mesures de restriction de déplacement et d’activité en vigueur actuellement.

    Je pense pour ma part que le Covid-19 n’a rien d’une « petite grippette » comme on l’entend dire assez souvent. Ce qui est déplorable dans la façon dont le gouvernement a pris en main cette pandémie, ce n’est pas tant qu’il ait voulu prendre des mesures de limitation de la circulation du virus – tous les pays l’ont fait d’une façon ou d’une autre et on lui aurait évidemment reproché de ne pas le faire – que le mélange asphyxiant de mensonges, approximations, incompétences, insuffisances hospitalières criantes et autoritarisme qu’il a pulvérisé et continue de pulvériser sur les citoyens jusqu’à l’absurde .

    Mais attendu que l’on commence à bien prendre la mesure des destructions massives liées aux confinements, attendu que le risque de mortalité est concentré sur les personnes les plus âgées, attendu que les vaccins arrivent et sont déployés en priorité chez ces personnes et attendu que leur montée en puissance permettra aussi de prendre de court les virus variants – il me semble qu’il ne serait pas farfelu d’envisager prochainement non pas un troisième confinement mais un allégement progressif des contraintes, une reprise des activités mises à l’arrêt et la fin de l’état d’urgence sanitaire.

    Sauf que nous sommes en France : après avoir instauré un couvre-feu avancé à 18 heures dans toute le pays sans savoir le moins du monde si cette mesure mise en place dix jours auparavant dans une vingtaine de départements était bénéfique ou non, le gouvernement semble décidé à prolonger la fermeture des stations de ski pendant les vacances de février et l’on constate sans surprise qu’il a bien du mal à faire décoller la campagne de vaccination.

    Mais là, on ne parle plus vraiment de la pandémie de Covid-19. On parle de la France et du poids toujours croissant de son État pourtant célèbre pour ses ratés retentissants, ce qui ne l’empêche pas de considérer que la responsabilité individuelle des personnes est quantité négligeable voire dommageable – à la grande satisfaction de la vaste majorité des dirigeants et des citoyens, il faut bien le dire.

    Les désordres de l’État, le « quoi qu’il en coûte » et la culture opportune du principe de précaution vont nous tuer plus sûrement que le virus. Ça promet.

    Sur le web

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      Doit-on bâtir une cathédrale pour donner un sens à son travail ?

      Philippe Silberzahn · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 03:30 · 9 minutes

    cathédrale

    Par Philippe Silberzahn.

    C’est entendu, notre époque est en recherche de sens , du moins c’est ce qu’on répète à l’envi aussi bien dans les entreprises que dans la société dans son ensemble. L’absence de sens conduit au désengagement et les directions des ressources humaines des grandes entreprises sont lancées dans une grande course pour recréer du sens sous la houlette de dirigeants visionnaires.

    L’idée est qu’une vision ambitieuse, une noble raison d’être, un grand récit, donneront un sens aux âmes en errance. Cette idée est bien traduite par une fable fameuse, celle du tailleur de pierres qui construit une cathédrale, motivé par quelque chose de plus grand que lui.

    Toute séduisante qu’elle soit, cette fable joue pourtant sur des ressorts très contestables et le fait qu’elle soit devenue une référence obligée des séminaires de motivation est regrettable. Non, il n’est pas nécessaire de bâtir une cathédrale pour donner un sens à son travail.

    La fable est connue : un voyageur arrive sur le chantier d’une cathédrale. Il avise un ouvrier et lui demande ce qu’il fait. « Je taille des pierres » répond-il sans enthousiasme. Il avise un second ouvrier et lui pose la même question. « Je construis un mur » répond celui-ci. Enfin, il pose aussi la question à un troisième ouvrier. « Je bâtis une cathédrale ! » répond-il avec enthousiasme.

    Cette fable est une légende urbaine, faussement attribuée à Charles Péguy. Elle est devenue une référence de tous les programmes de motivation et de nombreux coaches. Elle aussi évoquée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik dans son ouvrage Parler d’amour au bord du gouffre qui en fait la lecture suivante :

    « Le caillou dépourvu de sens soumet le malheureux au réel, à l’immédiat qui ne donne rien d’autre à comprendre que le poids du maillet et la souffrance du coup. Alors que celui qui a une cathédrale dans la tête transfigure le caillou, il éprouve un sentiment d’élévation et de beauté que provoque l’image de la cathédrale dont il est déjà fier. »

    Un dualisme irréel

    Étrange pensée dualiste qui veut qu’entre le caillou et la cathédrale il n’y ait rien.

    Que le caillou soit dépourvu de sens, c’est une évidence ; mais ce n’est pas de caillou dont il est question ici, c’est du travail de l’homme sur le caillou. Un ouvrier peut évidemment éprouver « un sentiment d’élévation et de beauté que provoque l’image de la cathédrale dont il est déjà fier » mais est-ce nécessaire pour qu’il donne un sens à son travail ? Rien n’est moins sûr, car pourquoi ce travail ne pourrait-il pas avoir un sens en lui-même ? Pourquoi le sens de notre travail devrait-il nécessairement venir de l’extérieur, comme une sorte de supplément d’âme ?

    Ce sens peut parfaitement venir du travail lui-même : le plaisir du geste, la satisfaction de réussir le découpage de la pierre, de s’améliorer de jour en jour, de maîtriser une technique complexe, d’être reconnu par ses pairs ou ses clients pour la qualité de son travail, le plaisir de travailler au sein d’une équipe et de la voir fonctionner et accomplir un résultat collectif, si bassement matériel qu’il soit jugé par les professeurs de morale.

    J’ai moi-même souvent éprouvé ce sentiment indéfinissable de grande satisfaction dans des tâches par ailleurs assez prosaïques. Et donc, entre le caillou dépourvu de sens et la cathédrale qui peut en fournir un se trouve le travail qui en fournit de par sa nature même. L’homme n’est donc pas condamné à choisir entre la misère du caillou et l’exaltation de la cathédrale.

    D’ailleurs on se rappelle sans doute une citation qui ressemble fort à notre fable. Elle est attribuée à Saint-Exupéry (mais probablement apocryphe) :

    « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. »

    C’est joli mais c’est incompréhensible. Si tu veux construire un bateau, trouve de bons ouvriers et un bon architecte, pas des rêveurs. La naïveté romantique est certainement plaisante, la phrase est jolie, et le poète a le droit de glorifier les rêveurs, mais retrouver ce type de citation dans des écrits de management est pour le moins inquiétant. Celui qui veut construire un bateau serait bien avisé de ne pas s’en inspirer sinon je ne monterais pas dans celui-ci.

    La cathédrale : une hiérarchie de valeurs anti-humaniste

    Il y a une seconde dimension problématique dans la fable de la cathédrale. C’est que bien évidemment on parle d’une cathédrale, et pas d’une boulangerie ou d’un égout.

    Imaginez qu’elle se termine avec un ouvrier qui énonce fièrement : « Moi, Monsieur, je construis un égout ! » Elle tomberait sans doute à plat. On ne peut être fier de construire un égout enfin voyons ! Elle fonctionne parce qu’implicitement, nous avons une hiérarchie de valeurs qui place une cathédrale très haut au-dessus d’autres bâtiments, notamment ceux du monde dit matériel comme une boulangerie, ou pire encore des égouts ou des urinoirs.

    Il y a ici un vilain petit modèle mental sous-jacent d’une hiérarchie des respectabilités : bâtir une cathédrale c’est plus noble que bâtir une boulangerie, et ce parce que le spirituel est supérieur au matériel. Plus que cela, le monde marchand et matériel ne peut aucunement être spirituel, il est donc moralement inférieur.

    Le modèle mental qui sépare les deux, et les hiérarchise, n’est pourtant rien d’autre que cela, un modèle mental, c’est-à-dire une croyance. Elle est légitime, mais elle n’est pas universelle, elle est donc contestable.

    D’ailleurs quiconque le connaît sait que le monde marchand et matériel est très spirituel. Avec son air de fausse évidence, ce qu’on essaie de nous imposer avec cette fable, c’est une façon hiérarchisée et moralisante de voir le monde.

    C’est une vision héritée de l’ancien régime, un régime d’ordre et de castes, de nobles et d’ignobles. Le malheureux ouvrier serait soumis au réel, mais est-ce pire que d’être soumis à l’irréel, à supposer qu’il soit soumis à quelque chose ?

    Misère du constructeur de cathédrale

    La troisième dimension problématique de cette fable c’est qu’on peut œuvrer à la construction d’une cathédrale et pourtant être misérable, notamment si les conditions de travail sont mauvaises.

    Je ne crois pas que les esclaves qui ont construit le pont du Gard, une des merveilles du monde, aient éprouvé un sentiment d’élévation et de beauté dans leur travail, et si ça avait été un édifice religieux ça n’aurait rien changé à leur misère.

    Nombre de mes étudiants sont partis rejoindre des ONG, pleins de nobles ambitions, de belles cathédrales en construction, pour en revenir dégoûtés par ce qu’ils ont vu sur le terrain, et nous connaissons tous des cadres travaillant dans de belles entreprises à la raison d’être évangéliquement irréprochable qui pourtant ne sont pas heureux.

    À l’inverse, Morning Star, l’entreprise citée en exemple par Frédéric Laloux dans son ouvrage Reinventing organizations comme un modèle où l’engagement des collaborateurs est très élevé et la satisfaction au travail très forte, produit… de la purée de tomates.

    On peut être un tailleur de pierres, voire un casseur de cailloux ou un producteur de purée de tomates heureux et épanoui, avec un travail ayant un véritable sens, sans avoir de cathédrale en tête. Construire un mur pour garder des vaches peut avoir autant de sens que construire une cathédrale.

    Il n’y a aucune raison de penser que l’un est nécessairement moralement supérieur à l’autre, même si nous avons été formés et déformés à penser le contraire.

    Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut jamais mobiliser les gens sur un projet ambitieux, sur quelque chose qui les dépasse. Il existe bien sûr des cas où la cathédrale peut être vecteur d’ambition.

    On l’a vu avec l’engagement dans la Résistance ou avec la mobilisation des personnels soignants au plus fort de la crise de la Covid. Sans doute, avoir « une cathédrale dans la tête transfigure le caillou » , mais il est faux de dire que seul l’objectif de la cathédrale donne un sens au travail sur le caillou ou que cette transfiguration est nécessaire pour créer du sens.

    Mais tout le monde n’est pas motivé par la même chose. Certains rejoindront une organisation en raison du noble but qu’elle poursuit, c’est notamment le cas du secteur associatif. Vous vous engagez avec les Restaurants du cœur parce que distribuer des repas à des personnes qui ont faim a un sens pour vous, c’est votre cathédrale.

    D’autres s’épanouiront dans une équipe commerciale où règne une forte émulation et où l’obtention d’un contrat procure joie et fierté, sans que le produit ou service vendu ne soit considéré comme ayant la moindre valeur métaphysique.

    Les légions de responsables de ressources humaines qui se débattent pour créer une noble raison d’être, une cathédrale, en pensant que cela résoudra le problème du désengagement de leurs collaborateurs doivent s’attendre à de cruelles désillusions.

    Retour vers soi-même

    Le sens de notre travail est important mais il n’est pas nécessaire d’aller le chercher à l’extérieur de nous-mêmes par une recherche transcendantale, un supplément d’âme.

    Penser que notre travail ne peut avoir de sens que lorsqu’on bâtit une cathédrale c’est nous condamner à la misère morale car il se construit peu de cathédrales. C’est un impératif épuisant, un idéal inatteignable et donc destructeur.

    C’est voir l’homme comme un simple moyen d’atteindre une fin idéale au lieu de le voir comme une fin. C’est une vision anti-humaniste. Et comme l’humanisme, il faut au contraire opérer un grand retour de l’extérieur vers l’intérieur et permettre à chacun de donner le sens qu’il souhaite à son action, et de cocréer ce sens collectivement, sans considérer comme une nécessité que cela passe par une cathédrale.

    Sur le web

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      Industrie : ce qu’il faut faire d’urgence pour la sauver

      Claude Goudron · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 19 January, 2021 - 04:30 · 4 minutes

    industrie

    Par Claude Goudron.

    Quand s’arrêtera donc la descente aux enfers de notre industrie en très grand danger ?
    Deux signaux devraient nous alerter.

    Le premier est national et concerne la part de l’industrie dans le PIB. Au début des années 2000, comme en Allemagne, la part de l’industrie était de 22 %, et elle est passée à 25,8 % en 2018… En France elle a chuté à 10 %.

    Le second signal me touche personnellement. C’est la situation dans ma région, la Franche-Comté, pourtant reconnue la plus industrialisée de France, et plus particulièrement mon village de 3000 habitants, Giromagny, situé au pied du Ballon d’Alsace, qui m’a accueilli lorsque j’ai voulu développer mon activité dans des locaux plus grands.

    En 1990, il y avait sept entreprises industrielles, dont la mienne, et une de plus de 200 salariés. À ce jour il n’en reste plus qu’une, celle que j’ai créée, ULTRALU, et qui compte 35 employés.

    Comment en sommes-nous arrivés là ?

    Je pense que tout a commencé en 2001 avec Alcatel et son patron Serge Tchuruk qui a défendu une idée qui lui a paru géniale… « Une entreprise sans usines » pour arriver tout naturellement à « une usine sans ouvriers » : après avoir fusionné avec Lucent en 2015 le groupe se fait racheter par Nokia qui, en 2016 en possède 95 % des droits de vote.

    Bien entendu, aidé par les 35 heures et la retraite à 60 ans il ne pouvait en être autrement, un employé français travaillant 30 % de moins que son collègue d’outre-Rhin.

    Pendant que nos amis Allemands jouaient à fond la carte industrie, en France, nous étions persuadés que l’avenir économique de notre pays serait dans le service, oubliant au passage que le plus grand consommateur de service était en fin de compte… l’industrie.

    En effet, depuis les années 1980, l’effectif industrie/service était équivalent, soit chacun 23 % des emplois en France ; en 2016 c’était 10 % pour l’industrie (moins 13 points) mais seulement 30 % pour le service (plus 7 points) ; donc une perte d’emplois de 5 points (source insee.fr).

    Quelles conséquences ?

    Elles sont nombreuses et prévisibles :

    Tout d’abord un chômage structurel augmenté que l’on traîne depuis une quinzaine d’années reste bloqué à +5 points.

    Une grande dépendance sur des produits stratégiques depuis les masques, les tests et les vaccins Covid-19 mais aussi notre sécurité nationale avec par exemple le porte- avions Charles de Gaulle qui, depuis le rachat d’Alstom Power par GE, ne peut entretenir son pont d’envol sans l’accord des Américains.

    Une balance commerciale négative depuis 2004. Nous affichons, pour l’année 2018 le déficit s’èlève à 60 milliards d’euros, tandiq que l’Allemagne affiche un excédent de 228 milliards.

    La perte de plus de 50 % des capacités industrielles du pays a amputé les rentrées fiscales et sociales que l’État a essayé de compenser par une hausse des cotisations et impôts en tout genre (impôts de production principalement) pénalisant encore plus nos entreprises. Ce qu’il a finalement admis, mais sans cesser pour autant d’augmenter ses dépenses, cette fois-ci par de la dette, honteusement sur le dos de nos enfants et petits-enfants.

    Les entreprises, principalement industrielles, pénalisées par une ponction nettement supérieure à leurs concurrents étrangers, ont été obligées de rogner sur leur marge pour se maintenir dans la course, réduisant alors leurs fonds propres, donc leur trésorerie, ce qui les rend vulnérables en temps de crise. Cette vulnérabilité en fait des proies toutes trouvées pour les requins internationaux. Et c’est comme cela que notre tissu industriel disparaît irrésistiblement .

    Beaucoup plus sournois mais très nocif à terme, le déclassement du pays peut mettre en péril sa participation à l’Europe, voire la faire exploser.

    Les mesures urgentes indispensables pour l’industrie

    Elles sont connues, mais aucun décideur n’ose s’y aventurer.

    C’est d’une part un choc de simplification administrative, enclenché par François Hollande mais très vite abandonné, par l’allègement de la réglementation des TPE & PME et d’autre part une baisse importante des charges et impôts afin de revenir au niveau de l’Allemagne, en s’inspirant des réformes Hartz mises en place par le socialiste Schroeder.

    Il faut impérativement et très rapidement diviser par deux les pressions fiscales et sociales sur toutes les entreprises en rapport avec l’industrie. En France, les charges sociales restent deux fois plus élevées qu’en Allemagne sur un salaire de 4000 euros et trois fois plus sur un salaire de 8000 euros.

    Ces mesures ne seraient pas aussi pénalisantes qu’on pourrait le croire pour le budget de l’État. Elles seraient même à terme bénéfiques en application de la courbe de Laffer ou le trop d’impôt tue l’impôt .

    En effet, en divisant par deux les charges sociales, il n’est pas impossible de retrouver à moyen terme le niveau d’industrie dans le PIB des années 2000, entraînant le doublement de l’effectif : charges divisées par deux sur un effectif multiplié par deux égales rentrées identiques.

    Un cercle vertueux s’enclencherait alors avec moins de chômeurs à indemniser, soit environ 15 milliards d’euros sur les 31 milliards dépensés chaque année. Tout bénéfice pour les comptes de l’État.

    Un très bon programme pour un candidat à la présidentielle qui s’afficherait en véritable libéral, c’est-à-dire un candidat sachant tout simplement compter.

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      Carrefour dégringole en bourse, la faute au « souverainisme économique »

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 19 January, 2021 - 04:15 · 3 minutes

    Carrefour

    Par Frédéric Mas.

    Le cours de l’action Carrefour a dégringolé après l’échec du rapprochement avec le groupe québécois Couche-Tard que le gouvernement français a court-circuité pour « préserver la souveraineté alimentaire » du pays.

    Vers 14 heures ce lundi, le titre perdait 6,17 % à 15,60 euros. L’extension du contrôle de l’État sur l’économie nationale au nom de la notion fluctuante d’« intérêt stratégique » ou de « patriotisme économique » n’est pas seulement politiquement irrationnelle, mais économiquement dangereuse.

    Carrefour : la souveraineté alimentaire avant tout

    Lors d’un passage télévisé sur France 5 la semaine dernière, Bruno Le Maire avait déclaré qu’il n’était a priori pas favorable à un rapprochement entre les deux groupes car à ses yeux, Carrefour représentait un « chaînon essentiel dans la sécurité alimentaire des Français, dans la souveraineté alimentaire » .

    Non seulement l’État donne son avis sur la situation de Carrefour, mais il se fait arbitre d’un intérêt général qui se construit en opposition aux principes élémentaires du libre-échange.

    C’est que la crise sanitaire a déclenché la panique au sommet de l’État. Il a même été envisagé en mars dernier de rationner l’approvisionnement alimentaire des Français pour pallier la flambée de l’absentéisme et des commandes non livrées.

    Si les acteurs du secteur de l’alimentation et l’armée ont dû plancher sur cette éventualité, c’est la pénurie réelle de masques, de gel et de test qui a fait sentir aux dirigeants notre dépendance vis-à-vis des importations dans le domaine médical. Mais l’autosuffisance est-elle souhaitable, et dans quelle mesure ?

    Le flou de l’intérêt stratégique

    La notion d’intérêt stratégique est ici suffisamment floue pour légitimer l’interventionnisme étatique bien au-delà de son domaine de compétence, c’est-à-dire des activités régaliennes.

    Comme l’observent les économistes Emmanuel Combe et Sarah Guillou dans un rapport de la Fondapol paru ce dimanche 17 janvier, l’autonomie stratégique régulièrement invoquée par une partie de la classe politique est une version moderne et atténuée de l’autarcie.

    L’encouragement à produire des biens et des services jugés « stratégiques » est couvert par de nombreux textes de lois internationaux, en général assez stricts et limités aux périodes d’exception. Cependant, le risque en cas de flottement sur la définition de « stratégique » est son instrumentalisation par le capitalisme de connivence : « Les entreprises vont tenter d’influencer les décideurs politiques sur la définition de ce qui est stratégique, afin d’être protégées de la concurrence étrangère. »

    C’est ce qu’a fait Donald Trump pour augmenter les droits de douane au nom de la « sécurité nationale », et c’est ce qu’a fait l’État français en resserrant son contrôle sur les investissements directs étrangers sur le sol national. Maintenant l’intérêt stratégique s’étend au secteur alimentaire.

    Comme le notait Eddie Willers dans Contrepoints :

    « Alors qu’il est censé représenter l’intérêt général, l’État ne représente que son propre intérêt. En fonction des circonstances, il peut demander des dividendes lorsque les déficits dérapent, des maintiens d’emplois pour préserver sa cote de popularité dans l’opinion, d’investir dans un projet non rentable pour améliorer son image à l’étranger. Parfois les trois en même temps… »

    Ainsi, profitant de l’État d’urgence sanitaire, le pouvoir politique étend ses filets sur l’économie et ce faisant, la menace directement. Incapable de penser en dehors du cadre de la planification centrale, il menace de fait toutes nos libertés.

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      Santé.fr ou le nouveau raté de l’État providence français

      Jean-Philippe Feldman · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 19 January, 2021 - 04:00 · 3 minutes

    Santé.fr

    Par Jean-Philippe Feldman.

    Alors que le tourisme français est en berne, notre État providence préféré a eu la bonne idée de promouvoir cette charmante ville d’Auxerre pour s’y faire vacciner.

    La mésaventure est arrivée en fin de semaine dernière à l’un de mes proches, une personne âgée (on ne dit plus « vieux » selon le politiquement correct) de plus de 75 ans. Seul hic, cette personne est parisienne et après de nombreuses tentatives infructueuses pour s’y connecter le site déjà proverbial Sante.fr l’a envoyée se faire vacciner à 169 kilomètres de Paris, soit à peu près plus de deux heures de la capitale par la route ou par le train.

    Le désastre de Sante.fr

    Ce cas n’est manifestement pas isolé puisque le journal télévisé de samedi soir sur une chaîne nationale, dont l’antimacronisme n’est pourtant pas la caractéristique la plus notable, contait la même mésaventure arrivée à moult personnes.

    Rappelons que le site Sante.fr a pour objet de trouver le centre de vaccination le plus proche de chez soi et de prendre rendez-vous en ligne. Paris doit être une modeste ville pour ne disposer d’aucun centre de vaccination… À moins que le vaccin bourguignon soit plus efficace arrosé de chablis ? Je vois déjà les heureux élus trinquer à votre bonne santé.fr !

    L’anecdote incite à l’humour, mais elle est aussi révélatrice de gouvernements qui ne maîtrisent rien depuis l’origine de la pandémie . Initialement, on pouvait encore trouver l’excuse ou l’explication de la sidération ou du fait que la sphère publique n’avait comme de bien entendu rien anticipé.

    Mais, depuis lors, tant la centralisation extrême que la bureaucratie galopante ont provoqué ratage sur ratage. Après les masques, les appareils de réanimation, les super-réfrigérateurs, voici l’épisode des prises de rendez-vous pour se faire vacciner… ce qui suppose qu’il y ait des vaccins et rien n’est moins sûr !

    Le boulet de l’État providence

    On aurait envie de faire preuve d’indulgence car si la critique est aisée, l’art est difficile. Mais ce n’est pas une question de personne pour l’essentiel. Ce sont les caractéristiques mêmes de l’« exception française » qui expliquent les atermoiements et en définitif les échecs des gouvernants.

    Avec un système aussi centralisé et bureaucratique qu’est l’État français, de deux choses l’une. Soit les décisions centrales sont en elles-mêmes « bonnes » à l’origine, peut-être par hasard, mais leur exécution pâtit de ce centralisme exacerbé. Soit les décisions centrales sont mauvaises car elles ne prennent pas en compte la « complexité » du monde contemporain.

    Dans les deux cas, la bureaucratie, le fonctionnarisme, les lourds prélèvements obligatoires, l’écrasement de la société civile font de l’État providence français non pas un modèle, mais un repoussoir.

    Si la pandémie a une vertu, c’est au moins que les discours sur le « système social que le monde entier nous envie » ont presque disparu. Il reste malheureusement celui selon lequel « il faut lui donner des fonds supplémentaires car il a été victime de la rigueur budgétaire ». Faut-il rappeler que le socialisme ne se réforme pas, il se supprime ?

    Jean-Philippe Feldman vient de publier Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron , Odile Jacob, 2020.

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      Anonymat sur les réseaux sociaux : le faux débat

      Yannick Chatelain · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 19 January, 2021 - 03:50 · 6 minutes

    anonymat

    Par Yannick Chatelain.

    « Pour moi l’anonymat pratiqué sur les réseaux sociaux est une régression » déclarait Emmanuel de Wasqueriel , sur France Inter, précisant « qu’une démocratie, c’est avancer à visage découvert… » et « plutôt que de restreindre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, il faudrait obliger à la suppression de l’anonymat » ajoutant ainsi sa voix à un faux débat régulièrement relancé : la fin de l’usage du pseudonyme.

    Pour rappel, cette thématique avait resurgi en octobre 2020  portée par des élus de premier plan dont Xavier Bertrand et Valérie Pécresse suite au tragique assassinat du professeur Samuel Paty .

    La fin des pseudos : la porte ouverte à l’autocensure

    Pour que ce genre de faux débat prenne fin, encore faudrait-il que ceux qui s’expriment sur le sujet intègrent une bonne fois pour toutes que l’anonymat sur les réseaux sociaux n’existe pas, à moins de faire partie de l’élite hacker et de disposer de compétence technologique hors norme rendant le traçage de l’émetteur particulièrement complexe, voire quasi-impossible.

    La liberté d’expression a des limites et elle est d’ores et déjà encadrée en France par la loi. Dans la réalité du net, si une plainte est déposée derrière un pseudonyme, les forces de l’ordre disposent de tous les moyens nécessaires pour remonter à la source. Il serait d’ailleurs à ce titre plus juste de parler de P seudo A nonyme que de pseudonyme et de vulgariser cette appellation. Ce faux débat serait alors peut-être définitivement clos.

    Ceux qui militent pour la levée de ce PseudoAnonymat le font peut-être par ignorance technologique. S’ils se pensent de bonne foi, il ne peut dès lors leur en être tenu rigueur. Ils pourront alors éventuellement repenser leur position antérieure. A contrario si tel n’est pas le cas, si ce combat est mené en connaissance, alors il s’agit d’un argument fallacieux utilisé de façon délibérée pour justifier l’interventionnisme de l’État et un encadrement potentiellement outrancier de la liberté d’expression en postulant la méconnaissance technologique d’une partie de la population.

    La fin de ce PseudoAnonymat serait la porte ouverte à l’autocensure. Le mal serait, in fine , bien pire que le bien supposé apporté à notre démocratie. La fin de ce PseudoAnonymat porterait insidieusement un coup fatal à la libre expression de chacun…

    Que dire alors et qu’écrire ? Hormis exprimer des platitudes insipides s’inscrivant dans telle ou telle pensée dominante pour ne surtout pas prendre le risque de tomber dans ce qui peut rapidement se révéler être une effroyable machine à broyer des vies.

    Le PseudoAnonyme est avant tout une protection de l’usager et de sa libre expression

    Comme évoqué précédemment, l’anonymat sur Internet est parfaitement relatif lorsque les autorités compétentes sont mandatées par les autorités judiciaires pour remonter à l’émetteur. Ces dernières disposent des outils et des savoir-faire et elles le trouvent.

    A contrario un usager lambda contrarié par un propos, une idée, et souhaitant en découdre aura beaucoup plus de difficulté à remonter à la source pour régler ses comptes.

    Dès lors que le propos ne tombe pas sous le coup de la loi, l’usage de pseudonymes – contrairement à ce qu’avance l’historien Emmanuel de Wasqueriel et d’autres qui partagent son avis –  c’est avant tout la garantie pour chacun d’exercer son droit à une libre parole sans crainte de représailles disproportionnées, sans avoir à redouter  – si le propos ne convient pas à d’autres usagers – que la machine à détruire ne s’emballe.

    Il faut garder à l’esprit que sans le garde-fou d’un PseudoAnonyma t , pour un propos qui déplait sans contrevenir à la loi, tout usager s’exposerait à devenir la cible des formes de harcèlement les plus courantes recensées par le blog du hacker , à savoir    :

    Remember Justine Sacco

    Le lynchage en ligne peut toucher tout le monde. Nul n’est à l’abri de voir sa vie ruinée pour quelques mots très maladroits comme le révèle le cas de Justine Sacco dont j’avais fait l’analyse .

    En 2013 et cette professionnelle de la communication avait eu la bien mauvaise idée de tweeter à ses 170 abonnées :

    « Going to Africa. Hope I don’t get AIDS. Just kidding. I’m white ! »

    Il y avait deux façons d’interpréter ce tweet ambigu : soit une dénonciation d’une prise en charge du Sida non équitable en Afrique du Sud selon sa couleur de peau,  soit un racisme des plus arrogants. Le réseau aura interprété le tweet de la jeune femme comme un tweet raciste. Il aura alors suffi de onze heures de vol pour que la jeune femme voie sa vie ruinée , la toile étant remplie de justiciers auto-proclamés qui se font ainsi des bourreaux plus cruels que les cibles qu’ils clouent au pilori de l’internet.

    Pensez-vous qu’il en aurait été de même du destin de cette jeune femme si elle avait tweeté sous un pseudonyme ? Ce tweet aurait tout simplement pu être signalé par les utilisateurs en ayant eu une lecture raciste… des plaintes déposées… et la jeune femme aurait alors, éventuellement, eu à en répondre à la justice de son pays qui aurait alors tranché.

    En tout état de cause elle ne serait pas devenue une cible à abattre ni la victime d’un massacre en bande de lâches organisés. Un massacre intégrant des tweets, eux, sans la moindre ambiguïté et passibles de poursuites.

    Pour conclure ce faux débat de l’anonymat

    Au temps de la cancel culture , les réseaux et les hommes étant ce qu’ils sont, parfois moins sophistiqués que les machines qu’ils inventent et utilisent, le PseudoAnonymat est indispensable pour permettre à chacun de pouvoir s’exprimer librement sur la toile sans risquer des représailles qui peuvent se révéler totalement disproportionnées.

    Ce PseudoAnonymat – s’il est nécessaire de le réécrire – n’empêchant nullement la justice, la vraie –  pas celle d’une meute – de faire son travail s’il y a lieu. S’exprimer librement est un droit constitutionnel reconnu à tout citoyen français. Dans son article 10, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ne précise-t-elle pas :

    « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

    Dans son article 11, cette même déclaration n’insiste-t-elle pas :

    « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

    L’anonymat sur la toile n’étant majoritairement qu’une Arlésienne, longue vie au PseudoAnonymat et fin de ce faux débat.

    « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. » George Orwell