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Covid-19 : évaluation des stratégies contre la pandémie
Gabriel Lacoste · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 28 January, 2021 - 03:30 · 10 minutes
Par Gabriel Lacoste
Le 5 janvier 2021, le Journal de Montréal diffuse la nouvelle suivante :
Submergés par des cas de Covid-19 qui battent des records depuis plusieurs semaines, les services d’urgence de Los Angeles ont commencé à rationner l’oxygène et les lits.
Le réflexe de la majorité ? « Il faut respecter les mesures. »
Pourtant… Voici, chronologiquement, l’histoire des infections en Californie :
- du 3 au 25 novembre 2020 : croissance modérée des infections.
- le 14 novembre 2020 : l’État de la Californie décrète un couvre-feu.
- du 25 novembre au 2 décembre 2020 : les infections atteignent un plateau.
- le 3 décembre 2020 : l’État de la Californie ordonne un confinement dans les zones les plus touchées.
- du 3 au 21 décembre 2020 : les infections explosent.
- du 21 décembre 2020 au 14 janvier 2021 : deuxième plateau.
- après le 14 janvier : baisse des infections.
Un esprit observateur peut en conclure que les restrictions gouvernementales ne fonctionnent pas. En effet, même s’il existe un temps d’incubation de sept jours avant d’en voir les effets, entre le 3 et le 21 décembre, il y a 18 jours. Ensuite, aucune mesure gouvernementale ne peut expliquer la baisse du 14 janvier. Une autre variable est donc clairement en jeu. Manifestement, le couvre-feu du 14 novembre n’a pas empêché le drame des hôpitaux.
Ce dernier ne suffit pas à justifier les mesures, il faut démontrer leur efficacité. Or, le cas de la Californie nous donne des raisons d’en douter. De telles observations, il y en a d’autres :
- Durant le printemps et maintenant depuis le 10 janvier, la Suède a réussi à courber les infections sans jamais ordonner de restrictions comparables aux autres pays européens.
- À partir du 4 novembre, les infections en Espagne ont baissé de façon comparable à la France, en suivant sensiblement la stratégie modérée de la Suède. Elles sont reparties à la hausse depuis le 6 janvier ; mais en général, les pays d’Europe suivent tous une évolution en trois vagues.
- Le Japon et la Corée du Sud n’ont pas adopté nos restrictions, ni éradiqué le virus et ne vivent aucun drame sanitaire.
Ce sont les « cygnes noirs » de la pandémie ; c’est-à-dire ces faits qui falsifient nos hypothèses . Que devons-nous en penser ?
Les stratégies disponibles
Nos choix sont confus. Ils ne se résument pas à « tout ce que le gouvernement nous demande » ou « vivre comme avant ». En fait, les stratégies suivantes peuvent être distinguées, avec un code couleur indiquant leur sévérité :
Éradication du virus par des moyens non-pharmaceutiques
Tuer le virus avec des restrictions, ça se fait ? Un groupe de chercheurs hautement évalué par les médias le pense. Leurs études s’appuient sur les cas de l’Australie, de la Chine et de la Nouvelle-Zélande . Si eux l’ont fait, nous pouvons le faire.
Le « risque » associé à cette stratégie n’est pourtant jamais questionné. Tenter de tuer le virus, échouer, s’acharner à essayer plus fort, échouer de nouveau, se justifier devant des médias qui s’impatientent, etc. est dangereux.
Une étude détaillée de la stratégie chinoise , publiée dans Science , nous permet d’illustrer les limites de ce raisonnement. Ils ont retracé les contacts de 1178 personnes avec 15 000 autres, ils les ont testés, puis les personnes infectées ont été contraintes à l’isolement en milieu hospitalier.
De façon surprenante, les mesures de confinement ont augmenté les infections au domicile, alors qu’il est, de loin, le principal facteur de contagion (7,2 % de risque vs 0,9 % pour nos amis). Des chercheurs ont suggéré que durant les confinements les plus stricts,une telle dynamique peut avoir causé les clusters dans les établissements pour personnes âgées .
Ma conclusion ? C’est le traçage des cas contact et l’isolement contraint des personnes exposées qui a fonctionné en Chine, pas le confinement généralisé. Or, cette stratégie ne peut être répétée que si le ratio infectés/population ne dépasse pas un certain seuil , que nous avons dépassé. Voilà pourquoi citer la Chine, la Nouvelle-Zélande et l’Australie comme modèles mérite le scepticisme.
Les stratégies d’atténuation non-pharmaceutiques
L’étude la plus citée pour démontrer l’efficacité des interventions non-pharmaceutiques compare les infections dans un monde alternatif où rien n’est fait avec le monde réel, pour conclure que des millions de vies ont été sauvées. Elle contient de nombreux problèmes de méthode . Elle s’oppose aussi à des études qui préfèrent calculer les corrélations entre les taux de mortalité et différentes variables, pour en conclure que la sévérité des mesures n’a pas d’impact observable ( ici et ici ).
L’amalgame « interventions non-pharmaceutiques » embrouille la réflexion. Ce n’est peut-être qu’une partie de nos changements de comportements qui est responsable de la majeure partie de la diminution des infections. Les défenseurs de cette stratégie vont donc évaluer la contribution d’interventions séparément ( ici et ici ), pour montrer que les politiques les plus brutales ajoutent peu d’efficacité face à celles qui encadrent simplement la vie normale.
Les cas hautement controversés de la Suède , puis maintenant de l’Espagne , ainsi que de différents États américains, mais aussi du Japon et de la Corée du Sud constituent les contre-exemples empiriques déployés contre la stratégie sévère dominante. La Suède a connu une deuxième vague particulièrement intense, mais ses infections baissent et le pays a donc réussi deux fois à les courber. L’Espagne a réussi à le faire après le temps des fêtes. Les cas sont maintenant en hausse, mais la situation va peut-être se re-stabiliser sans resserrement. Cela reste à voir.
Jay Bhattacharya et John Ioannidis ont produit récemment une étude sur cette question . Ils ont observé que les populations européennes ont modifié leurs comportements au printemps avant que leur gouvernement le leur ordonne. Donc, la menace d’amendes et l’intervention policière comptent peu. Ensuite, il y a un impact observable entre le taux de reproduction, au début de la crise, puis après les changements de comportements initiés par les populations. Cependant, la sévérité gouvernementale n’aurait contribué que pour 5-10 % de cette réduction, ce que les auteurs estiment « ne pas être significatif ».
Cette étude porte sur le printemps. Pour en avoir une meilleure idée, il faudra voir comment l’Espagne et la Suède performeront d’ici à la fin de cet hiver.
La protection focalisée
Pouvons-nous construire une bulle autour des personnes à risque pendant que le reste de la population s’expose ? Les politiciens et les experts de la méthode fortes disent que non . Deux arguments sont invoqués. Premièrement, l’observation nous montre que les infections passent rapidement des jeunes aux populations fragiles . Ensuite, il est difficile de distinguer les groupes .
Pourtant, intuitivement, cette stratégie m’apparaît être la stratégie naturelle des populations informées en situation de liberté . Une personne à risque et son environnement vont la déployer indépendamment des directives gouvernementales, car ils y sont motivés à titre personnel. Ils vont porter méticuleusement des équipements de protection, respecter les deux mètres de distance physique, installer une trajectoire libre d’infection, etc. Le rôle de l’État se réduit alors à la simplifier. Cette hypothèse mérite d’être testée plus rigoureusement.
En fait, les succès de la Suède et de l’Espagne s’expliquent peut-être par le fait que les personnes fragiles et leur environnement s’adaptent spontanément à la situation, lorsqu’elles sont adéquatement informées, indépendamment des directives de leur gouvernement. Combiné aux facteurs saisonniers , il se peut même que cela fonde scientifiquement la structure en trois vagues de la pandémie.
Les interventions pharmaceutiques
La vaccination a été largement comprise comme la stratégie ultime qui mettra fin à toute cette affaire. Pourtant, rien n’est encore acquis. Des chercheurs s’inquiètent du variant sud-africain , qui résistera peut-être à notre vaccin. Un groupe de travail Israélien redoute que la vaccination puisse favoriser des mutations qui y résisteront. Le variant britannique, qui se transmet de 30 à 70 % plus facilement , serait vulnérable au vaccin. Cependant, il risque de se diffuser au sein de la population bien avant que le vaccin soit disponible, rendant ce dernier inutile.
Et le pire ? La méthode utilisée pour tester l’efficacité du vaccin était insuffisante , car le nombre de personnes de l’échantillon susceptible de développer des formes sévères était trop petit.
De plus, pour évaluer correctement cette stratégie, il faut considérer les souffrances endurées à l’attendre, ainsi que la déstabilisation subséquente de nos sociétés comme étant ses effets secondaires, par opposition à l’acquisition rapide de l’immunité naturelle.
La non-intervention
Elle est l’épouvantail agité par les autorités pour taire la critique. C’est la position la plus controversée. Elle est mise en avant par la mouvance Qanon et aurait été pratiquée par les habitants de Manaus, selon une autre étude .
C’est le calcul des coûts et bénéfices de l’intervention, par rapport à la non-intervention, qui supporte cette approche . Il y a différentes façons de résumer ce calcul :
- Le Covid-19 n’est pas aussi dangereux que les médias nous le présentent.
- Les conséquences des interventions sont et seront beaucoup plus graves que nous le pensons.
- Bien que le Covid-19 soit réellement dangereux, les interventions valorisées pour le combattre échoueront, elles constitueront donc un mal sans bénéfices.
La mouvance Qanon invoque le premier argument. Selon moi, les meilleurs arguments pour la non-intervention sont une combinaison du second et du troisième.
À partir du cas de Manaus, certains extrapolent que 400 000 personnes mourraient en France sans interventions . Est-ce que ces morts en valent la peine, si c’est pour sauver la normalité de la vie des 66 millions autres humains ? La question elle-même est moralement odieuse. L’idée de réduire la vie de personnes à un simple moyen de veiller au bien-être des autres est répugnante.
Il faut nuancer. Dans l’histoire de l’humanité, il y a régulièrement eu des appels à risquer sa vie pour la liberté, la démocratie ou des principes supérieurs. Certains le faisaient volontairement, par sens du devoir. De plus, une personne âgée peut parfois préférer mourir que d’être un fardeau pour ses proches. Les individus ne sont pas seulement motivés par leur propre survie.
Si la menace qui pèse sur la normalité de nos vies jouissait d’une couverture médiatique aussi généreuse que celle du Covid-19, une partie des personnes à risque accepterait peut-être l’éventualité de mourir de ce virus. Elles le feraient par sens du devoir. Le respect n’exige pas de sauver leur vie, mais de leur présenter le dilemme de façon transparente et complète, puis de les impliquer dans la décision.
L’efficacité de la stratégie d’atténuation légère et de la protection focalisée constituent un argument contre cette position. S’il est possible de ralentir la progression du virus et de vacciner les personnes fragiles à temps, tout en préservant l’essentiel de la normalité de la vie et protéger les personnes fragiles, ce choix tragique est un faux dilemme.
Cependant, plus le virus devient contagieux, moins il semble contrôlable et plus les doutes entourent la vaccination, plus la non-intervention devient une stratégie envisageable. Plus la stratégie de mitigation sévère s’éternise, plus elle devient oppressante. Si la stratégie de vaccination qui l’accompagne échoue, les autorités pourraient bien être confrontées à des troubles civils de plus en plus difficiles à contenir.
Je finirai cet article en attirant le lecteur sur mon intention : défendre rigoureusement la stratégie de mitigation légère contre le conspirationnisme ET le radicalisme sanitaire.
Si vous ne l’avez pas compris, relisez-moi plus attentivement.