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      Pénurie de masques, de gel : pas de panique, l’État gère…

      news.movim.eu / Contrepoints · Tuesday, 3 March, 2020 - 03:45 · 4 minutes

    Par Margot Arold.

    Plus de masques, ni chirugicaux, ni FFP2. Et aujourd’hui, plus de gel hydroalcoolique non plus .

    Ces pénuries ont bien vite été attribuées aux clients saisis de panique, de psychose. Si cela a certes eu un impact, là n’est pas la cause principale de la pénurie. L’État a constitué des stocks, vidant le marché de son offre.

    Certains distributeurs expliquent d’ailleurs que l’État a bloqué leurs stocks, les empêchant de répondre à la demande des pharmacies.

    Pas besoin de masques… et puis si

    Le 26 janvier, Agnès Buzyn alors ministre de la Santé, se voulait très rassurante et estimait les masques de protection inutiles :

    « Aujourd’hui, il n’y a aucune indication à acheter des masques pour la population française, nous avons des dizaines de millions de masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. »

    « Dizaines de millions » de masques qui ont fondu comme neige au soleil.

    La semaine dernière, exactement un mois après, le nouveau ministre de la Santé expliquait : « avoir décidé de déstocker 15 millions de masques anti-projections dans les stocks constitués par l’État pour qu’ils soient distribués dans les pharmacies et les hôpitaux aux professionnels de santé et aux personnes à risque ».

    On connait depuis plusieurs semaines l’importance de la protection respiratoire, et le ministère attend la semaine du 1er mars pour « déstocker » 15 millions de masques. L’État français toujours si prompt à intervenir sur les prix, n’a pas cassé les prix en larguant sur le marché ses millions de masques pour le bien-être collectif si cher à sa politique. Notre État-nounou serait-il donc plus Tatie Danielle que Mary Poppins ?

    Pénurie de chloroquine

    De la même façon, la pénurie s’est portée rapidement sur la chloroquine, ce médicament anti-paludisme qui semble avoir une certaine efficacité contre le virus, du moins selon les chercheurs chinois qui en testent l’efficacité.

    Curieusement, impossible de se procurer de la chloroquine dans les pharmacies françaises depuis que cette information a filtré. La raison ? Ce ne sont pas les clients, peu informés à ce moment-là, qui se sont rués sur les boîtes disponibles. Mais l’État a, là encore, constitué des stocks.

    Comme simple patient, comme simple individu, vous n’aurez plus accès à ces protections ni à ces traitements : l’État les a capturés pour mieux les redistribuer quand il le jugera nécessaire.

    Distribués, oui mais pas pour tout le monde…

    Dans Libération , le président de l’Union des Professionnels de santé, Christophe Wilcke, explique que lorsque les masques seront disponibles ils ne seront pas vendus à la population :

    « Mercredi à midi, tous les pharmaciens ont reçu un message de l’Ordre des pharmaciens indiquant que nous allions recevoir, via les grossistes répartiteurs, un stock d’État de masques de protection.

    Et puis à 20 h 56, un deuxième message indiquait que ce stock devait être réservé aux professionnels de santé contre un bon de l’assurance maladie, et qu’il n’était pas envisagé à ce stade de distribuer le stock à la population. »

    Ainsi, il n’est plus possible pour un patient dans un circuit médical libéral (c’est-à-dire passant par son médecin traitant au lieu de l’hôpital) ou à un médecin libéral en personne d’avoir librement accès à une protection ou à un traitement. Tout dépend désormais de l’État et de sa gestion de la crise sanitaire.

    Il ne laisse pas les mains libres à ceux qui, sur le terrain, sont en première ligne et  compétents pour prendre des décisions. Il faut attendre les consignes, et maintenant, attendre aussi le matériel de protection.

    Les médecins libéraux mal servis

    Si les hôpitaux seront les premiers servis, les médecins libéraux, eux, auront le plaisir de réclamer et de remplir moult formulaires administratifs pour obtenir un masque :

    « De plus, en parallèle, les médecins généralistes seront dotés, la semaine prochaine, de masques chirurgicaux issus de ce stock pour la prise en charge de patients suspects de Covid-19, poursuivent les services du ministère. Cette mise à disposition sera réalisée via les pharmacies d’officine à l’aide d’un bon de retrait fourni par la Caisse nationale d’assurance maladie.»

    N’aurait-il pas été plus simple et plus rapide de mettre ce matériel à disposition des médecins, gratuitement et sur présentation de la carte professionnelle, plutôt que d’élaborer une énième strate bureaucratique à un moment où personne n’a besoin de plus complexité ?

    L’État va choisir où, quand et comment distribuer ses stocks. Cette manière centralisée de gérer les problèmes du terrain risque d’être une fois de plus délétère pour les Français : mais cette fois, Il ne s´agit plus de mal gérer l’école, l’entretien des routes et des ponts, ou la SNCF. On parle de la santé des individus, de leur vie.

    Après avoir siphonné le marché du matériel de protection, l’État se sert le premier, distribue à sa façon, et au rythme qu’il estime justifié.

    Les masques livrés dans certains hôpitaux ces dernières années laissent dubitatifs : leur date de péremption affiche… décembre 2007. Ca promet.

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      Leader libérateur : attention danger !

      news.movim.eu / Contrepoints · Tuesday, 3 March, 2020 - 03:30 · 5 minutes

    leader

    Par Bernard Marie Chiquet, fondateur d’ iGi Partners .

    Comme a pu l’écrire David Marquet , auteur du fameux livre Turn the ship around ,  « on n’a jamais vu quelqu’un faire quelque chose de formidable parce qu’on lui avait demandé de le faire » . Pour y parvenir, il convient de permettre à chacun d’exprimer sans frein ses talents et d’assumer ses responsabilités. Et ce qui est vrai pour chaque collaborateur l’est tout autant pour le patron et le manager.

    Pour autant, alors que les tenants de l’entreprise libérée appellent de leurs vœux l’émergence d’un manager héroïque, celui que Isaac Getz appelle le « leader libérateur », il me semble essentiel de mettre la lumière sur une conception du management et de l’organisation qui n’est pas sans comporter quelques dangers pour l’entreprise.

    Indéniablement, l’entreprise doit se réinventer. Pour ce faire, elle doit pouvoir s’appuyer sur un management régénéré, libéré du carcan de l’organisation conventionnelle et, surtout, investi d’un rôle, d’une ambition et d’une envergure inédits. Un management à l’énergie libérée. Un management au service du collectif et du self-management. Un management au service du leadership de chacun plutôt qu’au détriment des autres.

    Renverser le leader libérateur

    La tentation est forte pour beaucoup de patrons de céder aux attraits du management tel que présenté par Frédéric Laloux ou Isaac Getz, les deux figures de proue respectivement de l’entreprise opale et de l’entreprise libérée. Conçu comme un leader libérateur, le patron, porté par son expertise et ses intuitions, est celui que l’on suit, celui qui sait ce qui est bon pour l’organisation et ses collaborateurs. Chacun lui accorde pleinement sa confiance.

    Le message adressé au patron est simple et clair : « transforme-toi et l’entreprise se transformera » , à l’image de l’intuition qui le guide. Libre de tout cadre, de tout contre-pouvoir, tout repose sur son intuition et son talent supposés. Ce leader libérateur devient une sorte de « super-manager » qui n’est, parfois, pas loin de prendre les traits d’un gourou.

    Or, opter pour un management héroïque c’est immanquablement mettre en péril l’existence même de l’entreprise en liant son évolution à la présence de cette figure “héroïque”. Une situation qui ainsi pu être observée dans des entreprises comme Poult ou Harley Davidson . D’incarnation de l’entreprise libérée par l’entremise de leurs patrons, celles-ci se sont vues doublement ébranlées par leurs départs et un retour à l’organisation conventionnelle.

    Le management héroïque est un vrai danger parce qu’il repose sur une double erreur. Pour changer et se réinventer, l’organisation ne peut se passer d’un cadre qui offre des règles claires et explicites à tous. Ensuite, la transmutation qu’implique l’abandon du modèle conventionnel, ne peut être portée et ne concerner que le patron ou le management. Le leader libérateur reste une figure illusoire et seule une organisation qui offre à tous autonomie et responsabilités, des garde-fous évidents, permet de tendre vers une entreprise vraiment libérée. Une entreprise qui saura déraciner les victimes et renverser les héros.

    Vers un management constitutionnel

    Si vouloir faire du patron un leader libérateur est une erreur et préfigure souvent un retour douloureux vers l’organisation conventionnelle, l’intention n’en demeure pas moins intéressante. Mais si le patron doit impérativement être l’instigateur et le moteur de cette organisation qui se réinvente, il ne peut en être l’unique inspiration. Il doit non seulement se mettre au service du collectif, de la raison d’être de l’entreprise mais aussi aider à l’émergence d’une organisation destinée à lui survivre. En somme, il n’est ni héros, ni irremplaçable.

    Alors qu’avec leur leader libérateur, les tenants de l’entreprise libérée font le lit d’un leadership basé sur une illusion et une dépendance au patron libérateur, l’holacratie, fondée sur une Constitution et le management constitutionnel qui en résulte, offre à tous un cadre “autorisateur” et protecteur d’où peut émerger puissance et leadership véritable.

    Construite sur un corpus de règles et de processus explicites et connus de tous, le management constitutionnel de type holacratie donne vie à une organisation où nul n’empiète désormais sur l’autorité ou le rôle de l’autre. Elle invite chacun, l’organisation, au Powershift – un changement de posture dans l’exercice du pouvoir tant des managers que des collaborateurs – plutôt qu’à faire naître un leader libérateur. Appuyée sur une Constitution , elle est source d’un leadership véritable où chacun peut espérer tendre, à son rythme, vers le self-management. Le patron et le manager y ont un rôle majeur. Ils ont vocation à définir et affecter les rôles, prioriser. Ils sont aussi ceux qui modèlent cette nouvelle façon d’exercer le pouvoir induite par les règles constitutionnelles, qui peuvent ainsi accompagner et guider les collaborateurs pour que chacun  progresse à son rythme vers le self-management .

    Alors que dans un cas tout repose sur le développement personnel d’un leader « éclairé », créant ainsi une nouvelle forme de dépendance, dans l’autre, tout est basé sur un système, un management et un self-management constitutionnels c’est-à-dire selon des mécanismes connus, compris et appliqués par tous : dirigeant(s), managers et employés. Car, quand bien même le développement personnel du patron demeure une des clés de réussite du processus de transmutation, opter pour un modèle constitutionnel de type holacratie c’est faire le choix de transformer l’exercice du pouvoir, au profit de chacun et du collectif, qui plus est, de manière durable.