Le site de Cadarache, à
Saint-Paul-lez-Duranceen France, où est implanté le projet ITER. © ITER Organization, EJF Riche
Dernières actualités sur la fusion nucléaire
- 06/10/2020 Le MIT pense avoir un réacteur fonctionnel, appelé SPARC
La Chine a le mystérieux HL-2M Tokamak, la France son ITER et bientôt, les États-Unis auront leur SPARC . En 2035, ce réacteur à fusion nucléaire pourrait fournir dix fois l’énergie nécessaire à son alimentation. Le 6 octobre 2020, un consortium de chercheurs en collaboration avec le MIT ont détaillé son fonctionnement dans sept études scientifiques. Plus « compact » que l’ITER et donc moins cher, il devrait être construit à partir de juin 2021.
Dossier initialement publié le 23/06/2020
ITER , c’est une expérience, une preuve de concept, un laboratoire qui n’a pas vocation à devenir une centrale. Et pour l’équiper, ce sont plus de trente pays (ceux de l’Union Européenne, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis) qui mettent la main à la pâte et à la poche en fournissant des fonds, du matériel et des infrastructures. Mais surtout, ce sont certains des plus grands cerveaux de la physique fondamentale et de l’ingénierie mondiale qui s’alignent derrière un seul objectif commun : cuisiner un petit Soleil , rien que ça !
La signature de l’Accord ITER à Paris, au Palais de l’Élysée, le 21 novembre 2006. © ITER Organization
Les étoiles, dont notre astre préféré, ont toutes la particularité d’être des immenses centrales nucléaires, fonctionnant en permanence. Une bonne partie de leur existence se résume à une série de réactions de fusion, extrêmement énergétiques, que l’humain rêve de domestiquer depuis des lustres. Mais ce n’est pas demain que nous parviendrons à exploiter cette énergie sur place, et en attendant d’y parvenir (pourquoi pas avec une sphère de Dyson ), la seule solution reste de r ecréer le processus de fusion à petite échelle pour en maîtriser les mécanismes.
La recette de cuisine d’un bébé soleil
Et même en petit format, le défi technique est immense. Pour y parvenir, ITER se base sur une découverte qui date de 1950, née dans l’imagination débridée des physiciens russes Igor Tamm et Andreï Sakharov sur une idée originale du physicien Oleg Lavrentiev . C’est à ce trio que l’on doit un engin baptisé tokamak , dont le réacteur d’ITER est le représentant le plus célèbre à ce jour. La technologie a fait un bond de géant depuis mais le principe reste le même.
Une représentation simplifiée du tokamak d’ITER, un immense puzzle de plus de dix millions de pièces. © ITER Organization
1) Commencer avec un zeste d’isotopes d’hydrogène
Pour amorcer une fusion nucléaire, il faut en premier lieu… des atomes à faire fusionner. Dans le cas d’ITER, il s’agit d’un mélange de gaz : du deutérium et du tritium (D-T) , deux isotopes de l’hydrogène. Mais rapprocher les noyaux de ces atomes pour les faire fusionner n’est pas chose aisée : en l’absence de leurs électrons, ils sont tous chargés positivement et se repoussent entre eux comme deux aimants. Pour les faire fusionner, il faut que les deux objets se percutent à une vitesse phénoménale. Et pour atteindre une telle vitesse, il n’existe qu’une solution : la température. En effet, à cette petite échelle, aucun objet n’est figé : ils “vibrent” sur place, et c’est d’ailleurs en mesurant l’intensité moyenne de cette agitation que l’on estime la température à notre échelle.
Une représentation de l’agitation thermique d’une molécule. ©Greg L., WikiCommons
2) Une cuisson thermostat 150 millions
Lorsqu’on atteint des températures de plusieurs millions de degré comme c’est le cas dans une étoile ou une structure qui sert à la recréer, ces vibrations vont devenir très brutales. A tel point que si deux particules se percutent, le choc est si violent que les liens inextricables qui maintiennent les noyaux ensemble volent en éclats. Les deux peuvent alors fusionner pour ne faire qu’un : on parle de fusion nucléaire . Mais encore faut-il que les atomes aient la place pour se livrer à ce vaste chamboule-tout nanométrique. Il faut donc trouver un substrat suffisamment peu dense pour permettre ce phénomène : un plasma .
Ce terme repris à tort et à travers par la science-fiction désigne le 4e état de la matière, où les électrons des atomes sont arrachés à leur noyau et se promènent librement dans un désordre complet. Pour obtenir ce plasma, on introduit le gaz de tritium et deutérium dans une chambre à vide avant de l’ioniser avec un courant électrique, le tout à une température infernale de 150 à 300 millions de degrés dans le cas d’ITER.
Un plasma dans le tokamak coréen KSTAR. A plus de 100 millions de degrés, le plasma ne rayonne plus dans le domaine visible : c’est dans la zone en apparence vide au centre du « donut » que la température est la plus élevée. © National Fusion Research Institute Korea
3) Une cocotte magnétique high-tech
Un chiffre qui pourrait paraître absurde, tant il semble démesuré selon notre référentiel humain. Pour l’atteindre, les équipes d’ITER se reposent en partie sur les variations du champ magnétique créées par les électro-aimants (voir plus bas) : c’est le phénomène d’induction, que l’on utilise dans l’industrie dans des postes de soudure à haute performance ou dans nos maisons, par exemple dans des plaques de cuisson. Sans entrer dans le détail, c’est cette induction qui est au cœur de la première phase de chauffage que l’on appelle chauffage ohmique . Les ingénieurs bombardent ensuite le plasma, alors autour des 100 millions de degrés Celsius, avec des particules à haute énergie et des ondes électromagnétiques à haute fréquence pour atteindre la température finale et la maintenir.
Et en plus d’atteindre cette température et de la maintenir, il faut trouver une enceinte assez résistante pour encaisser l’assaut des particules surchauffées. Autant dire tout de suite que ni votre radiateur, ni votre poêle, ni votre four n’en sont capables; à vrai dire, la science d’aujourd’hui ne connaît toujours pas de matériau qui puisse supporter une telle fournaise. Même le tungstène ou le graphite, deux des éléments avec les plus hauts points de fusion connus, sont extrêmement loin de suffire et fondent respectivement à 3422°C et 3827°C (à la pression atmosphérique)…
Mais alors, comment faire ? Le projet est-il suspendu à la découverte d’un super-matériau, capable de résister à une température plus de dix fois supérieure à celle du soleil ? Fort heureusement, non. La solution est même d’une évidence confondante : si aucun matériau ne peut supporter cette température, il suffit… de ne pas utiliser de matériau physique du tout ! Ou plus précisément, de s’assurer qu’il ne soit jamais, sous aucun prétexte, en contact avec le plasma. Pour ce faire, il faut jouer sur ses propriétés physiques. Souvenez vous : dans cet état, les électrons ont été arrachés à leur noyau et tous les éléments présentent donc une charge électrique, positive ou négative… que les chercheurs soviétiques ont eu l’idée de manipuler avec de gigantesques électro-aimants . Cette solution fonctionne tellement bien qu’elle a survécu à des décennies de recherche pour s’imposer au sein d’ITER. Grâce à eux, les ingénieurs parviennent à confiner le plasma à une distance raisonnable des parois de la chambre, ce qui lui évite d’être réduite à néant en un instant.
Les dix-huit bobines de champ toroïdal, qui garderont le plasma soigneusement confiné. © ITER Organization
4) Une recette détonante
A ce stade, les principales conditions sont réunies et la fusion peut avoir lieu. Une fois qu’un atome de deutérium et de tritium se percutent, ils vont fusionner en un atome d’hélium qui va demeurer prisonnier du plasma, où il va entretenir la réaction. Mais cet atome d’hélium est un peu particulier : alors qu’il est censé posséder deux neutrons, il a hérité du neutron du deutérium et des deux du tritium. Vous l’aurez compris, il possède un neutron en trop : cela le rend instable, et il va donc s’en débarrasser instantanément en l’éjectant.
Sauf que ce processus va aboutir à un atome d’hélium plus léger d’un neutron (soit trois milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes de kilogramme !) que la masse du couple D-T. Cette différence, minuscule en apparence, va pourtant avoir une conséquence absolument cruciale, en rapport direct avec la célebrissime équation E=mc². En langage non mathématique, elle exprime simplement le fait qu’une énergie dépend du produit de la masse, et de la vitesse de la lumière au carré.
Schéma du principe de la fusion nucléaire du couple deutérium/tritium. © ITER Organization
Pour notre neutron, cela signifie que malgré sa légèreté, il sera éjecté avec une énergie gigantesque par rapport à sa masse, comme un véritable boulet de canon nanométrique qui va partir s’écraser à pleine vitesse sur les parois du réacteur. Cet impact va être exploité de deux manières. La première, c’est pour produire le tritium indispensable à la fusion. Les parois internes de la chambre sont recouvertes de modules chargés de lithium, qui va se transformer en un atome de tritium et un atome d’hélium en absorbant le neutron éjecté. En théorie, on peut ainsi extraire ce tritium et le réinjecter dans le circuit pour rendre la fusion autosuffisante en tritium . Cette éventualité devra toutefois être confirmée.
La fusion, pour quoi faire ?
Malgré les incertitudes et la difficulté du projet, le moins que l’on puisse dire, c’est que les arguments en faveur de ce procédé ne manquent pas. En premier lieu, il y a son rendement environ quatre millions de fois supérieur à celui de la combustion du charbon et quatre fois supérieur à celui de la fission nucléaire , un avantage qui parle de lui-même. Et le carburant lui-même est bien moins problématique, et c’est d’ailleurs l’un des enjeux majeurs de la fusion en termes de développement durable. Aujourd’hui, les réacteurs nucléaires fonctionnent avec de l’ uranium-235 et du plutonium-239. Ces deux métaux sont radioactifs, c’est-à-dire qu’ils sont instables et cherchent à se stabiliser en se débarrassant de particules, différentes selon le type de radioactivité. C’est cette propriété qui est utilisée pour produire de grandes quantités d’énergie, en brisant les liaisons de ces atomes… et qui est aussi responsable de ses effets néfastes. Ils sont donc dangereux avant et pendant le processus, et le demeurent longtemps après leur utilisation sous forme de déchets radioactifs.
Contrairement à la fission, la fusion ne génère pas de déchets à vie longue et à haute activité. © Dirk Rabe – Pixabay
Mais le carburant nécessaire à la fusion n’est pas dangereux en tant que tel, pas plus que l’hélium complètement inerte produit par la réaction. La fusion nucléaire ne produit donc pas de déchets dits “ de haute activité et à vie longue ” , ce qui permet de recycler ou de réutiliser les rares déchets à moyen terme. De plus, à l’inverse de ces matériaux rares, on peut produire le fameux couple D-T à partir de matériaux disponibles en abondance partout sur la planète : le deutérium peut être facilement extrait de l’eau, et le tritium n’existe qu’en quantités infimes sur Terre, mais peut être produit directement au sein du réacteur (voir plus bas) ou à partir d’une très faible quantité de lithium, présent lui-aussi dans l’eau de mer. Ce qui réduit d’autant le risque de pénurie, ou de tensions géopolitiques liées à l’acquisition de minerais très convoités.
La majorité du combustibles et des réactifs nécessaires à la fusion est présente en abondance dans l’eau de mer. © Elias Sch. – Pixabay
Enfin, la fusion présente un dernier avantage majeur. Dans le cas de la fission, l’un des principaux risques est celui d’un emballement de la réaction : lorsqu’elle n’est plus contrôlée, elle dégénère très vite, causant une réaction en chaîne aux effets dévastateurs. C’est ce qui est arrivé à Tchernobyl, et c’est ce même effet qui est exploité pour créer de l’armement nucléaire comme des bombes. Dans le cas de la fusion, le tableau est très différent. Les conditions requises sont si particulières et difficilement atteignables qu’aucun emballement n’est possible, d’après un large consensus : dans les quelques secondes à peine suivant l’arrêt du réacteur , le combustible est épuisé, les conditions nécessaires ne sont plus présentes et la réaction retombe comme un soufflé . Cela a deux conséquences très importantes. En premier lieu, il est plus ou moins impossible d’imaginer un accident nucléaire de type Tchernobyl ou Fukushima . Et deuxièmement, cela rend cette technologie difficilement exploitable d’un point de vue militaire en tant que tel. A l’heure actuelle, la bombe à hydrogène (bombe H) est la seule arme dont le potentiel destructeur repose sur une réaction nucléaire, mais celle-ci date des années 50 et nécessite un premier étage correspondant à celui d’une bombe classique. En l’état actuel de nos connaissances, nous ne sommes toujours pas capables de produire une arme dite à « fusion pure « de nouvelle génération, plus puissante de plusieurs ordres de grandeur et surtout beaucoup plus facile à produire que les bombes classiques ou à hydrogène. Tout comme la production d’énergie à partir de la fusion nucléaire, il n’existe aucune garantie que cette technologie soit maîtrisée un jour : en 2020, le concept reste théorique et c’est tant mieux !
Personne aujourd’hui n’est capable de construire une bombe dite à « fusion pure » … et c’est tant mieux. – © WikiImages – Pixabay
Pourquoi la fusion n’est-elle pas déjà disponible à grande échelle ?
En parcourant ces arguments, on pourrait se demander pourquoi nous n’avons pas pas déjà effectué la transition vers cette technologie; et la réponse force l’humilité puisqu’à l’heure actuelle, nous n’en sommes tout simplement pas capables ! Rien que pour ITER, la route est encore très longue. Chaque pièce est un véritable bijou d’ingénierie qui peut parfois peser plusieurs centaines de tonnes : les concevoir, les produire et les acheminer demande un temps considérable, et il faut ensuite l’assembler et procéder à toute une batterie de tests pour s’assurer de sa fiabilité… une tâche dont l’ampleur ferait pâlir le plus zélé des stakhanovistes, sachant qu’il faudra assembler la bagatelle de dix millions de pièces ! Autant dire que l’échéance ô combien importante du premier plasma, prévue à l’horizon 2025, pourrait facilement prendre du retard. Et même une fois le tokamak et les systèmes annexes achevés, l’équipe d’ITER ne sera pas au bout de ses peines. En partant du principe que tout fonctionne parfaitement, les premières opérations au deutérium-tritium ne sont pas attendues avant 2035 car, là encore, la montée en puissance progressive de la machine nécessitera une quantité de tests faramineuse. En particulier sur la question du plasma. Car si les mécanismes de la fusion nucléaire sont paradoxalement assez bien connus aujourd’hui, le plasma est un tout autre animal. Certes, la montée en puissance des supercalculateurs nous permet de disposer de modélisations toujours plus précises mais seule une expérimentation de longue haleine permettra de le dompter.
Reste encore la finalité principale, celle de l’extraction de l’énergie produite. C’est un tout autre problème en soi, qui ne sera d’ailleurs pas du tout abordé dans ce cas précis : comme expliqué en haut de page, ITER est avant tout une preuve de concept et n’a pas vocation à devenir une centrale. Les parois de la chambre seront simplement refroidies et l’énergie produite sacrifiée sur l’autel de l’expérimentation. Avant d’accéder à la fusion nucléaire commerciale, il faudra donc lancer un nouveau programme, certainement tout aussi fastidieux, pour récupérer et enfin utiliser cette énergie. C’est l’objet du projet DEMO , prévu… autour de 2060. Et alors, enfin, se posera la question d’un réacteur commercial avec toutes les contraintes que cela implique. C’est une chose de produire de l’énergie, mais pour le réaliser à grande échelle, la question du rendement est absolument primordiale. Il restera donc un dernier pallier à franchir pour passer d’une installation fonctionnelle à une centrale capable de produire de l’énergie en masse et de façon rentable.
A moins que l’un des autres programmes qui travaille sur la fusion ne grille la politesse à ITER, les ingénieurs du projet devront encore plancher sur ces questions pendant plusieurs décennies au bas mot. Pour être honnête, il n’y a même aucune garantie absolue que la fusion soit maîtrisée un jour. Chaque étape représente un défi technologique qui conditionne la suivante et peut mettre tout le processus en péril, dans un contexte où chaque échec se chiffre en semaines, voire en mois et en millions d’euros. S’agit-il d’un grand pari à plusieurs milliards ? Indubitablement. Mais il suffit d’un coup d’œil pour comprendre à quel point le jeu pourrait en valoir la chandelle. Avec la fusion nucléaire, c’est peut-être une partie de notre avenir énergétique qui est en jeu et c’est précisément pour cela que le projet ITER est si fascinant. Nombre d’entre nous seront morts ou très âgés au moment de bénéficier des retombées concrètes de ce programme, mais là n’est pas la question : maîtriser la fusion nucléaire, c’est un enjeu qui dépasse de loin nos quelques générations et pourrait changer la trajectoire de toute notre civilisation.
ANNEXES
Pour ceux qui désireraient plus de lecture ou des informations plus précises que cet article n’a pas abordé, voici une liste de documents de qualité sur ITER et la fusion nucléaire en général.
-L’excellent site d’ITER , qui regorge de détails supplémentaires et de superbes photographies toutes libres de droits
-Quelques informations sur le projet DEMO , qui doit ouvrir la voie à la fusion commerciale si sa faisabilité est confirmée par ITER,
-Un article (très) détaillé sur les méthodes de chauffage du plasma
-La liste des grandes étapes du projet
L'Energie en fusion - BÉCOULET, Alain (Author)
- 200 Pages - 01/23/2019 (Publication Date) - Odile Jacob (Publisher)
Journal du Geek