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      Vaccination : la lenteur n’est pas un problème de logistique

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 14 January, 2021 - 03:50 · 16 minutes

    vaccination

    Par Aurélien Rouquet.
    Un article de The Conversation

    Est-ce que le début chaotique de la campagne de vaccination française contre la Covid-19 s’explique principalement par des problèmes logistiques ? Par le fait que le gouvernement n’aurait pas prévu les moyens et ressources logistiques nécessaires ? Pas vraiment.

    Les problèmes initiaux tiennent plutôt à la stratégie retenue, dont on va voir que mécaniquement, elle induisait une logistique complexe et une vaccination plus lente à démarrer.

    Ce qui est donc ici en cause, c’est ainsi le fait qu’en amont, le gouvernement n’a pas intégré suffisamment les contraintes logistiques, et qu’en aval, il n’a pas réussi à expliquer au grand public pourquoi la logistique vaccinale démarrait plus lentement que chez nos voisins, et notamment en Allemagne. Bref, ce n’est pas tant un problème logistique, qu’un problème de stratégie et de marketing !

    Premier temps : la conception de la stratégie de vaccination

    Pour le comprendre, il faut repartir du point de départ, qui est l’élaboration de la stratégie vaccinale. Au cours de la deuxième moitié de l’année 2020, la Haute Autorité de Santé charge un groupe de travail de formuler des recommandations. Composé de plusieurs médecins et d’un sociologue, celui-ci passe en revue la littérature médicale pour élaborer sa stratégie .

    Alors que l’on sait par définition que les quantités de doses seront initialement limitées, l’enjeu principal est de déterminer qui vacciner en priorité. Pour cela, les experts se fondent sur deux critères de priorisation : « le risque de faire une forme grave de la Covid-19 et le risque d’exposition au virus ». Cela les conduit à proposer une stratégie fondée sur cinq phases successives.

    La première doit selon eux cibler les résidents et personnels des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ce qui représente environ un million de personnes. La seconde phase prévoit ensuite d’étendre la vaccination aux plus de 75 ans, aux personnes de 65 à 74 ans, ainsi qu’à certains soignants.

    Enfin, trois autres phases sont prévues afin d’étendre peu à peu la vaccination, qui devrait se conclure avec le public le moins à risque : les plus de 18 ans sans comorbidité. De manière générale, ce phasage répond à un objectif explicitement formulé par les experts, qui est de se servir de la vaccination d’abord pour diminuer les formes graves et faire baisser la pression sur les hospitalisations.

    À ce stade, on peut noter qu’aucune considération logistique ne semble avoir été prise en compte par les experts, qui s’appuient sur une stricte vision médicale. Le terme n’est ainsi mentionné qu’une fois, et encore, pour souligner que des clusters ont pu se développer dans des « services logistiques ». Les experts ont cependant intégré dans leur stratégie le rapport difficile des Français à la vaccination, et insistent sur la « nécessité d’une information claire et accessible ».

    Deuxième temps : la logistique après la stratégie

    Partant des recommandations de la Haute Autorité de Santé, le gouvernement va alors travailler à la mise en place de la logistique qui permet de soutenir la stratégie définie. Quel est ici l’enjeu ? Amener le vaccin dans les milliers d’Ehpad qui sont disséminés partout en France, car on ne peut évidemment pas demander aux résidents de se déplacer dans des centres de vaccination.

    Pour les approvisionner, deux flux sont alors prévus, qui s’appuient sur les circuits logistiques traditionnels. Environ 25 % des Ehpad sont approvisionnés par une centaine de pharmacies d’hôpitaux dont elles dépendent. Il est donc décidé de charger ces pharmacies hospitalières d’organiser la livraison des vaccins. Pour cela, il est prévu de doter celles-ci, quand elles n’en possèdent pas, de congélateurs pour stocker le seul vaccin disponible : celui de Pfizer/BioNtech qui doit être conservé à – 70 °C.

    Par ailleurs, 75 % des Ehpad sont approvisionnés par une pharmacie référente. Sachant qu’il est matériellement impossible de doter ces milliers de pharmacies des fameux congélateurs, l’État choisit alors logiquement de passer par des dépositaires. Six plateformes logistiques sont prévues pour centraliser les stocks et toucher toute la France.

    Ces plateformes, qui disposeront elles aussi de congélateurs en vue de stocker les vaccins de Pfizer/BioNtech, auront ensuite la charge dans un second temps d’approvisionner par le biais de tournées les pharmacies référentes situées dans leur zone, qui elles-mêmes pourront enfin approvisionner les Ehpad.

    vaccination Legifrance.gouv.fr

    Pour ce qui est du calendrier, le gouvernement, alors qu’une incertitude existe sur la date de validation par l’Agence européenne du médicament du vaccin Pfizer/BioNTech, qui doit intervenir entre fin décembre et début janvier, prévoit un démarrage réel de la campagne début janvier.

    Troisième temps : le lent déploiement de la logistique de vaccination

    Cependant, sous la pression de l’Allemagne, l’Europe autorise le déploiement de la vaccination avec une semaine d’avance, dès le 21 décembre, et la présidente de la Commission européenne lance officiellement la campagne européenne le 27 décembre. Ces annonces prennent alors un peu de court la France, qui n’est alors pas tout à fait prête : comme l’a révélé Mediapart , les congélateurs, s’ils ont été livrés avant Noël, ne sont pas encore tous installés et qualifiés.

    De plus, cette période des fêtes n’est évidemment pas très propice pour lancer les vaccinations dans les Ehpad. Entre Noël et le jour de l’An, alors que le nombre de vaccinés augmente rapidement chez la plupart de nos voisins européens, le compteur reste ainsi bloqué à quelques centaines en France. Alors qu’ils ont commencé en même temps que nous, ce retard sur nos voisins suscite l’incompréhension et conduit beaucoup de commentateurs à pointer du doigt la logistique.

    La cause de ce retard à l’allumage tient d’une part, comme on vient de le souligner, à l’accélération du calendrier européen, qui prend de court la France. Mais comme on va le voir, elle s’explique d’autre part aussi et surtout par le fait que nos voisins ont choisi d’autres stratégies vaccinales, qui ont induit des logistiques distinctes !

    vaccination Extrait d’un document de programmation du ministère de la Santé en date du 23 décembre.
    Document Mediapart

    Ainsi de l’Allemagne, qui dans une première phase, a prévu à la fois de toucher les résidents et personnels des Ehpad, comme la France, mais aussi le public à risque : les personnes très âgées, les personnels soignants et les personnes atteintes de pathologies à risque. Pour cela, au côté d’une logistique ciblant ses Ehpad, dont on peut supposer qu’elle suit peu ou prou les mêmes étapes que la logistique mise en place en France, l’Allemagne a dès l’origine prévu le déploiement de « vaccinodromes ». Par nature, ce second schéma logistique permet aux Allemands de très vite augmenter le nombre de personnes vaccinées.

    Avec ces vaccinodromes, on supprime d’abord certains maillons qui sont nécessaires pour atteindre les Ehpad. Ce sont en effet ici les personnes qui viennent au vaccin, et on comprend que le temps d’écoulement entre le moment où un vaccin entre dans la chaîne logistique, et le moment où il atteint le patient est ici plus court.

    Par ailleurs, pour vacciner en Ehpad, la difficulté est de déterminer avant l’expédition depuis les lieux de stockage, combien il faut exactement envoyer de doses de vaccins dans chaque Ehpad, ce qui est loin d’être simple.

    Il faut en effet obtenir en amont le consentement des résidents, ce qui suppose de se coordonner avec les médecins des Ehpad (sachant que tous les Ehpad n’en ont pas), d’interagir éventuellement avec la famille de ces résidents (cas des résidents ayant Alzheimer, pour lequel il faut parler à la tutelle, etc.), dans une période des fêtes qui est peu propice (absence éventuelle de certains soignants en vacances, difficulté à joindre les familles de certains résidents sous tutelle, etc.).

    L’enjeu est pourtant crucial, car il ne faut surtout pas décongeler trop de doses, au risque de les perdre et alors qu’on en possède un nombre limité ! À l’inverse, un tel problème ne se pose évidemment pas dans le cadre d’un vaccinodrome. En effet, s’il y a des anti-vaccins, il y a aussi de très nombreuses personnes désirant être vaccinées, et la demande dans ces lieux est pour l’instant très supérieure au nombre de doses disponibles, comme l’illustrent les queues que l’on peut constater un peu partout dans le monde.

    Il y a d’autant moins de risque de perdre des doses, que les vaccins sont soit stockés sur place dans les congélateurs, soit livrés plusieurs fois par semaine depuis un stock qui n’est pas très loin, et qu’on peut dans ces structures bien plus facilement ajuster la quantité nécessaire à la demande. Au bilan, la logistique qui sous-tend un vaccinodrome est donc bien plus rapide à démarrer !

    Quatrième temps : un déficit de pédagogie logistique

    Alors que ce retard au démarrage peut notamment s’expliquer par l’accélération du calendrier et le choix stratégique qui a été fait de cibler d’abord les seules Ehpad, face aux critiques qui se multiplient, le gouvernement tente entre Noël et le jour de l’An de défendre sa stratégie. Il explique que son objectif consistant à cibler en priorité les résidents des Ehpad se justifie par le fait que les résidents représentent 30 % des morts.

    Cependant, une telle explication ne peut pas suffire pour faire comprendre le retard au démarrage. Pour y parvenir, il faut entrer dans les détails logistiques, et suivre le long déroulé que je viens de présenter plus haut. Ce long déroulé reste peu compatible avec le temps médiatique, les critiques des différents partis politiques qui tous s’engouffrent dans la brèche, et surtout avec les cartes qui circulent sur Twitter et comparent le nombre de personnes vaccinées dans les différents pays avec la France qui n’aurait vacciné jusqu’à présent que Mauricette.

    La communication est d’autant plus difficile que dans les médias, personne ne connaît grand-chose à la logistique, et qu’au sein du gouvernement, nul n’est capable de venir donner de telles explications. Pire, le monsieur Vaccin du gouvernement a même reconnu dans une interview accordée à LCI qu’il ne connaissait rien à la logistique !

    Cinquième temps : une révision de la stratégie vaccinale

    Alors qu’à la suite du cas des masques, puis des tests, la logistique étatique derrière la gestion de l’épidémie a fait l’objet de nombreuses critiques, et que la confiance dans les capacités logistiques de l’État reste bien faible, la bataille de la communication apparaît comme clairement perdue. Le gouvernement n’a alors d’autre choix que de remettre en cause toute sa stratégie vaccinale et de chercher par tous les moyens à faire augmenter rapidement le nombre de personnes vaccinées.

    Pour cela, le ministre de la Santé Olivier Véran étend dès le 31 décembre la vaccination aux soignants de plus de 50 ans, puis le 5 janvier annonce qu’elle sera bientôt ouverte à toutes les personnes de plus de 75 ans. Alors qu’il avait exprimé ses réserves sur les vaccinodromes, au vu du désir fort de vaccin d’une partie de la population, il annonce également l’ouverture de centres de vaccinations.

    Sur le plan opérationnel, il est demandé aux hôpitaux pivots qui disposent de congélateurs de mettre rapidement sur pied des centres de vaccination pour pouvoir commencer à vacciner les soignants de plus de 50 ans. Progressivement, ces centres et d’autres qui sont mis en place en lien avec des collectivités locales se déploient un peu partout dans toute la France. Cela permet ainsi dès la première semaine de janvier de faire augmenter le nombre de personnes vaccinés. Le vendredi 8 janvier, ce sont ainsi selon le site Vaccin Tracker 34 305 personnes qui ont été vaccinées en une journée.

    Construire la stratégie de vaccination avec la logistique

    Que retenir finalement de cette séquence et quelles leçons le gouvernement doit-il en tirer ? Que dans cette crise, les éléments et contraintes logistiques sont déterminants et doivent être pris en compte en amont (formulation des stratégies) et en aval (communication).

    Ainsi, ce dont est coupable le gouvernement, c’est d’avoir pensé sa stratégie vaccinale d’abord, puis d’avoir organisé ensuite la logistique de cette stratégie. Cela a été une erreur car, comme je viens de l’expliquer, cela a conduit à opter pour la stratégie qui était la plus complexe logistiquement à mettre en place. Cette stratégie induisait nécessairement un démarrage lent, alors pourtant que de nombreux Français qui croient aux vaccins n’attendent qu’une chose : que cela aille vite. En termes d’image, un tel choix était ainsi mauvais politiquement.

    Covidtracker.fr

    L’erreur a été d’autant plus remarquée que le gouvernement, alors pourtant que la lenteur du départ était parfaitement prévisible, n’a pas réussi à communiquer sur le sujet. La faute au fait qu’en dépit du rôle clef de la logistique dans cette crise, le gouvernement n’a pas jugé bon de mettre en avant une personne chargée de la logistique capable d’en faire la pédagogie auprès du grand public (on peut cependant noter que le gouvernement a nommé à la suite de cette crise un nouveau responsable de la logistique de la vaccination ).

    La performance logistique, un impact sanitaire

    Mais sur le fond ce qui reste pour moi le principal problème de cette logique séquentielle (1) élaboration de la stratégie vaccinale puis 2) mise en place de la logistique, tient au fait qu’elle a conduit le gouvernement à ne pas considérer dans sa stratégie le critère de la « performance logistique », alors pourtant que ce critère me semble clef sur le plan sanitaire.

    Dans un contexte où les doses de vaccin sont reçues au compte-gouttes et au fil de l’eau, du fait des capacités de production limitées, l’enjeu sur le plan médical est non seulement de déterminer qui en priorité doit recevoir les vaccins, mais aussi d’être capable d’administrer le plus vite, sans perdre de doses, les vaccins dès qu’ils sont reçus !

    Plus vite on transforme les doses réceptionnées en personnes vaccinées, plus vite on pourra en effet évidemment faire reculer l’épidémie, diminuer les hospitalisations, les morts, etc., faire repartir l’économie et profiter enfin à nouveau des bars, restaurants, théâtres et cinémas !

    Pour cela, il s’agit d’une part sur le plan logistique de perdre le minimum de doses de vaccins, et d’avoir d’autre part une stratégie vaccinale en flux tendus qui permette que le temps d’écoulement entre le moment où l’on reçoit les doses et le moment où elles sont injectées soit le plus court possible. La stratégie développée par la Haute Autorité de Santé aurait ainsi clairement du prendre en compte ces aspects qui ont été totalement oubliés…

    S’ils avaient été intégrés, une conclusion logique aurait alors été qu’il fallait dès le départ, en plus du flux à destination des Ehpad, mettre en place des vaccinodromes pour pouvoir au plus vite utiliser les doses disponibles. Car au vu du temps nécessaire pour démarrer la campagne dans les Ehpad, il y avait bien suffisamment de doses en stock pour dans le même temps commencer à vacciner d’autres segments de la population. Ainsi, rien ne légitimait que les doses dorment dans les congélateurs sur des plateformes !

    De plus, s’appuyer d’entrée de jeu sur deux circuits logistiques aurait permis d’avoir plus d’agilité logistique. Or une telle agilité parait ici cruciale, au vu des incertitudes qui existent tant sur les approvisionnements (quels vaccins vont finalement être autorisés et quand ? Combien de doses les fabricants vont-ils pouvoir livrer ?), que sur les bonnes pratiques en termes de vaccination (faut-il deux doses espacées de 3 semaines ? De six semaines ? Une seule dose ? faut-il utiliser le flacon pour faire six doses au lieu des cinq prévues ?).

    Quelle évaluation ?

    Pour conclure, si l’on sort du temps présent et qu’on se projette dans les prochains mois, un enjeu va être d’évaluer collectivement et sereinement la stratégie vaccinale française. Pour cela, il est clair qu’il faut absolument aller au-delà du seul indicateur simple actuellement utilisé consistant à compter le nombre de personnes vaccinées.

    Précisément, un enjeu va être de regarder deux indicateurs qui sont familiers de tous les responsables logistiques et autres supply chain managers : les délais et la qualité. Combien de temps en moyenne met la France, une fois que des vaccins ont été livrés par les usines pharmaceutiques dans ses plateformes logistiques, pour vacciner la population ? Quelle est la proportion de doses reçues que l’on perd, parce que l’on n’a pas respecté la chaîne du froid, cassé un flacon, etc. ?

    Il serait dans cet esprit intéressant que les journalistes qui suivent le sujet demandent des comptes au gouvernement, et que les indicateurs correspondants puissent faire l’objet d’une communication. Dans le même ordre d’idée, l’État devrait aussi communiquer sur le nombre de personnes qu’il a vacciné au sein de chacune des tranches prioritaires de population qui avaient été identifiées dans sa stratégie vaccinale.

    Car l’urgence est bien sûr de vacciner d’abord certaines personnes en priorité, urgence qui semble elle aussi avoir été oubliée par la folie médiatique consistant simplement à compter le nombre de personnes vaccinées ! Quoi qu’il arrive, il est clair que l’on va continuer de parler de logistique dans les mois prochains…

    Aurélien Rouquet , Professeur de logistique et supply chain, Neoma Business School

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

    The Conversation

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      Comme prévu, l’état d’urgence sanitaire entre dans le droit commun

      Jonathan Frickert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 24 December, 2020 - 04:30 · 6 minutes

    l’état d’urgence

    Par Jonathan Frickert.

    Ce lundi 21 décembre ne sera malheureusement pas à marquer d’une pierre blanche. À moins d’une semaine du début de la vaccination et alors que le président de la République fêtait ses 43 printemps, le dernier Conseil des ministres de l’année a fait un étrange cadeau de Noël aux Français.

    En vue de préparer la sortie de l’état d’urgence sanitaire le 1er avril prochain, l’exécutif a présenté le projet de loi n°3714 instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires .

    Comme nous l’anticipions depuis plusieurs mois, le gouvernement tente aujourd’hui d’introduire dans le droit commun plusieurs mesures de l’état d’urgence sanitaire, réduisant encore davantage le sort des libertés publiques dans ce pays.

    Le texte part pourtant d’une bonne intention, privilégiant l’incitation et l’anticipation à l’oppression et à la précipitation qui auront marqué cette année 2020.

    Pour pallier cette situation, il pêche toutefois par la rencontre de deux logiques : d’une part, d’un texte global ressort une mesure particulièrement liberticide ; d’autre part, l’entrée dans le droit commun de mesures initialement destinées à rester ponctuelles.

    Des mesures isolées

    Ce texte s’inscrit dans une série de trois lois suivant la même logique et que nous avons dénoncé ici même.

    Début octobre, le projet de loi contre le séparatisme a montré une volonté de l’exécutif de s’attaquer à la liberté scolaire via son article 21, relançant une nouvelle fois la guerre scolaire.

    Un mois plus tard, c’était au tour de la liberté d’information d’être attaquée par le gouvernement avec le projet de loi « sécurité globale », débattu au milieu du mois de novembre, toujours selon la procédure accélérée, introduisant un article 24 objet de nombreuses manifestations depuis un mois.

    Aujourd’hui, c’est bien cet article 1er du texte qui fait polémique.

    L’incitation plutôt que l’obligation

    Pour cause, cet article reprend la promesse élyséenne de non-obligation vaccinale , engagement sans doute destiné à ménager la méfiance des Français envers les vaccins.

    Chose rare pour être saluée, l’incitation a été ainsi été préférée à l’obligation. Elle souffre toutefois d’un problème d’échelle.

    En effet, s’il serait moralement légitime pour une entreprise privée d’accepter ou refuser qui elle souhaite, l’article 1er du texte vise à donner la possibilité au Premier ministre de décider si une personne non vaccinée ou dépistée peut ou non prendre les transports en commun, mais également se rendre dans un établissement privé comme un restaurant, élargissant ainsi les obligations vaccinales déjà en place dans la santé et l’éducation.

    La mesure rappelle fortement la proposition de la députée UDI du Nord Valérie Six de mettre en place un « passeport vert » permettant aux personnes vaccinées de se déplacer librement et qui risque de créer deux classes de citoyens.

    En d’autres termes, vous n’êtes pas obligé légalement de vous vacciner, mais si vous ne le faites pas, vos libertés seront largement restreintes, notamment au regard d’établissements publics pour lesquels vous êtes contraint de fiscalement contribuer.

    La polémique a contraint Olivier Véran à reculer sur cette mesure moins de 24 heures après le début des hostilités.

    Or, comme le notait Margot Arold dès mardi dans nos colonnes, c’est bien la globalité du texte qui vise à étendre les prérogatives gouvernementales.

    L’art de l’anticipation

    La crise sanitaire aura été un incroyable effet de loupe sur le mal français où le gouvernement, pénalisé par son appareil administratif, encadrait et réquisitionnait au mépris du bon sens, entraînant une suite de conséquences économiques, sociales et sanitaires encore mal mesurées.

    Face à son impréparation, le gouvernement a également répondu par la restriction de nos libertés les plus élémentaires : liberté de circulation, liberté de travailler, liberté d’enseignement et liberté de culte en tête.

    Ce projet de loi clôt donc une année où les mesures liberticides ont succédé aux réglementations bureaucratiques.

    Dans ce sens, le projet de loi propose de répondre au manque d’anticipation.

    Toutefois, il souffre d’une absence de bilan de ce qui s’est passé permettant de tirer des conséquences. Le projet de loi répond à chaud à quelque chose qu’il aurait fallu analyser à froid.

    Mieux encore, il pêche par une logique bien connue d’entrée dans le droit commun de mesures initialement ponctuelles.

    L’état d’urgence sanitaire : des atteintes pérennes

    C’est donc bien la pérennisation d’un régime liberticide qui est en jeu ici. Une logique que nous anticipions et dénoncions depuis plusieurs mois sur Contrepoints .

    Difficile en effet de ne pas penser à plusieurs mesures destinées elles aussi à être ponctuelles, mais qui finirent dans le droit commun, que ce soit la CRDS dont la durée de vie a été rallongée en mai dernier jusqu’en 2033 , ou encore la loi de sécurité intérieure de 2017 introduisant dans le droit commun plusieurs mesures controversées de l’état d’urgence antiterroriste dont le texte devait permettre de sortir.

    Dans cette logique, le projet de loi présenté lundi propose l’entrée dans le droit commun de plusieurs mesures ayant essaimé durant cette année. Liberté de circuler soumise à obligation de test et de traitement, extension des procédures d’isolement et de quarantaine ainsi que l‘élargissement des cas de violation du secret médical sont ainsi au rendez-vous.

    Comme dans le cas de l’état d’urgence antiterroriste, la France est désormais vouée à vivre dans un état d’urgence sanitaire permanent.

    Un espoir nommé Montpensier

    Si le libéralisme est, comme toutes les pensées, mouvant sur l’échiquier politique, les libéraux occidentaux sont généralement situés au centre de ce dernier, là où les idéologies les plus autoritaires sont aux marges.

    Il est ainsi étonnant, pour ne pas dire insolite, de voir l’inversion qui s’est opérée cette année. Les plus autoritaires sont désormais au centre, LREM et UDI en tête, tandis que les ailes plus radicales apparaissent, par pur opportunisme, plus libérales, à la manière des populistes, montés au créneau dès lundi soir, mais qui n’auraient sans doute guère fait mieux sinon pire.

    Reste à espérer une censure au moins partielle du texte. Le Conseil constitutionnel ne devrait en effet pas manquer d’être saisi, que ce soit par l’opposition ou par le chef de l’État dans un geste d’apaisement d’une gronde qui ne fait que croître.

    Le siège du Conseil constitutionnel est situé rue de Montpensier, qui doit son nom à un frère de Louis-Philippe, un des rois les plus libéraux qu’ait connu la France.

    Reste donc à espérer que l’institution garante de notre état de droit lui redonne enfin ses lettres de noblesse.