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      Nouvelles limites de la liberté d’expression : le progrès à reculons

      Jérémie Bongiovanni · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 26 December, 2020 - 04:25 · 8 minutes

    liberté d

    Par Jérémie Bongiovanni.
    Un article du Podcast Liber-thé

    La liberté d’expression est une composante indispensable du progrès, car elle permet une constante remise en question du statu quo. Ses pourfendeurs, qui souhaitent aujourd’hui la limiter en interdisant l’offense, se revendiquent eux-mêmes du camp progressiste. Qu’en est-il en réalité ? Comment définir les limites de la liberté d’expression ?

    La liberté d’expression comme conquête historique

    Au cours des deux derniers siècles, la liberté d’expression a permis le progrès dans de nombreux domaines. En politique, les régimes monarchiques et autoritaires ont tout d’abord été critiqués puis évincés. En sciences, l’hégémonie du clergé a été remise en question et rationalisée, permettant des révolutions coperniciennes, l’expression n’est pas galvaudée.

    Dans la société, la domination de communautés ethniques a été thématisée et la dignité de chaque être humain a été reconnue. C’est ainsi que l’esclavage fut notamment aboli.

    C’est un truisme que de décrire ces progrès comme résultats de la liberté d’expression. Les remises en question qu’elle a permis ont rendu notre monde plus compréhensible et meilleur. C’est bien en raison de cette perspective du progrès, lui-même dépendant de la libre expression, que nous chérissons cette dernière.

    La censure a-t-elle été abolie ?

    Nous nous voyons bien souvent comme supérieurs aux sociétés antérieures. Nous nous convainquons que notre liberté d’expression est aussi libre qu’elle puisse l’être et que la censure appartient au passé. Nous pensons qu’elle a uniquement été le fait des rois et du clergé et qu’elle a disparu avec eux, pour laisser place à la modernité et au progrès. Nous croyons que la censure est exclusivement liée à des institutions qui centralisent le pouvoir et qui procèdent de manière autoritaire, car la censure y est explicite, organisée et légitimée. Notre observation est pourtant incomplète.

    Dans nos sociétés démocratiques la censure ne s’annonce pas comme telle. Elle se déguise sous le poids du nombre et de la conscience collective – comme l’avaient annoncé Alexis de Tocqueville puis John Stuart Mill. Ainsi le nombre, comme jadis nos gouvernements et l’Église, nous empêche de nous exprimer sans contrainte. La mobilisation d’exemples récents nous permet d’illustrer cette censure moderne.

    En 2019, le New York Times décide de ne plus publier de caricatures dans son édition internationale après un dessin jugé antisémite . C’est ainsi que sous la pression d’un emportement du public, la publication de dessins qui incarne la liberté d’expression a été interrompue.

    L’été dernier, l’éditeur des romans d’Agatha Christie a annoncé rebaptiser le roman policier Dix petits nègres en Ils étaient dix . Dans ce cas, nous préférons modifier la réalité, l’adapter, plutôt que de l’accepter et de la comprendre. Le mot négritude a en effet été à la base du combat d’Aimé Césaire contre le colonialisme ; bannir ces termes c’est faire table rase du passé.

    Cette peur d’offenser régit désormais l’expression publique et conduit à l’intériorisation de la censure, c’est en cela que celle-ci est loin d’être abolie. Nous le voyons dans les deux exemples précédents, la liberté d’expression n’est pas limitée par une institution autoritaire, mais par les masses d’individus qui forment la société . Cette nouvelle censure, qui ne dit pas son nom, menace alors par sa conquête de nos consciences.

    Les conséquences de ces limites à la liberté d’expression

    Nos deux exemples démontrent l’existence de limites à la liberté d’expression dans notre société. Les groupes qui imposent ces limites souhaitent ainsi lutter contre l’antisémitisme ou le racisme. Mais cet objectif peut-il être ainsi atteint ?

    Cette pratique qui veut effacer les mots et les avis choquants souhaite rendre la société plus vertueuse. Seulement, on ne fait jamais complètement taire une opinion. Si on la comprime, elle s’échappe du côté et siffle de manière stridente. Ainsi, en interdisant à un complotiste d’exprimer ses théories, on ne fait qu’accroître sa passion pour sa vision du monde et le rejet organisé qu’il est persuadé de discerner.

    Lorsque nous interdisons une blague sur les Juifs, sur les homosexuels, sur une minorité ethnique ou sur tout autre groupe, nous faisons deux erreurs. Premièrement, notre société qui se veut l’héritière des Lumières devrait contrer ces avis avec la raison. Deuxièmement, nous ne pouvons pas définir l’offense comme limite de la liberté d’expression, nous y reviendrons plus loin.

    Interdire les discours contemporains parfois choquants, modifier les titres de livres écrits il y a plusieurs décennies, détruire les statues , c’est vouloir créer une société non pas plus vertueuse mais aseptisée et amnésique.

    Dans la dystopie Le meilleur des mondes , le personnage principal découvre soudain la Bible et un livre de Shakespeare, dissimulés par le gouvernement. Ce dernier souhaite ainsi préserver les citoyens des valeurs véhiculées par ces deux ouvrages, car elles sont contraires à celles de la civilisation établie. Le protagoniste se passionne alors pour leur lecture et reproche à sa civilisation de se débarrasser de tout ce qui est désagréable au lieu d’apprendre à s’en accommoder. C’est bien le mal de nos sociétés contemporaines.

    À celui qui remet en question le fait que la Terre soit ronde il faut opposer la raison pour expliquer et le convaincre du contraire. Aussi triste que cela puisse être, rien d’autre, même pas la censure, ne le fera changer d’avis. Si celui que l’on tente de convaincre est foncièrement obstiné et refuse de donner du crédit à nos arguments, alors nous ne pouvons rien faire, si ce n’est lui laisser du temps et convaincre les autres. Mais une société qui se définit comme éclairée ne peut se priver d’un processus de discussion contradictoire !

    Si elle le fait, alors elle est, elle-même, qui se veut inclusive et diverse, la cause des effets qu’elle souhaite combattre. Elle génère l’exclusion, l’injustice, la haine et la violence. L’exclusion, car elle marginalise des avis qui selon son propre arbitraire ne méritent pas d’être entendus et débattus. L’injustice, car ce muselage de citoyens par leurs semblables ne résulte que de la domination du nombre et pas de la raison. Et enfin la violence comme résultante de l’injustice. Ces limites à la liberté d’expression et leurs conséquences font in fine régresser nos sociétés.

    Ceux qui limitent la liberté d’expression se définissent pourtant comme progressistes . Mais il n’en est rien. Nous l’avons vu, le progrès humain a jusqu’ici été permis par l’offense, que ce soit de l’État, de l’Église ou des normes morales. Le progrès dont se revendiquent les censeurs modernes est en réalité celui de l’obscurantisme.

    Du droit d’offenser

    Ce que notre civilisation définit comme vérité n’est finalement qu’un consensus. Pour l’atteindre il faut échanger, discuter, sans arrêt se remettre en question et parfois choquer ou être choqué. Nous ne pouvons pas accepter d’avoir des tabous et de ne pas pouvoir en parler. Accepter qu’on ne peut pas tout dire c’est entrer dans la relativité arbitraire choisie par les ennemis de la démocratie et de la pluralité des idées.

    En Chine, il est interdit de critiquer le gouvernement ce qui nous paraît être la caractéristique d’une civilisation primitive. Qu’en est-il de nos propres tabous ? La négation de l’Holocauste est bien interdite sous nos latitudes. Où doit-on définir une juste limite à la liberté d’expression ? Ambitieux projet.

    Selon la Cour européenne des droits de l’Homme la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique. »

    Cette compréhension de la liberté d’expression que nos sociétés ont jadis choisie, disparaît progressivement sous les griffes d’une législation qui tente de juguler cette liberté et qui interdit le blasphème – comme c’est le cas en Suisse – ou des avis selon elle choquants, souvent dits « de haine ».

    Quelles limites à la liberté d’expression ?

    Peut-on tout dire de tout ? Question difficile. Chaque personne doit avoir un honneur et un nom protégés. Au-delà, les limites ne peuvent qu’être propres à chacun. Elles doivent cependant aller de pair avec la civilité et l’empathie.

    Tout ceci s’acquiert avec l’éducation en amont, qui requiert l’implication de chaque individu, plutôt que la condamnation en aval, qui se contente d’imposer des lois et de se réfugier derrière le pouvoir de répression de l’État, son aveu de faiblesse.

    Le média Liber-thé a organisé un concours pour les étudiants sur la thématique « Existe-t-il des limites à la liberté d’expression ? » Retrouvez les textes des gagnants sur le site.

    Participer au concours jusqu’au 5 janvier 2021 pour gagner le livre Le socialisme de l’excellence , de Jean-Marc Daniel.

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      L’Europe s’accorde pour supprimer les contenus terroristes sur Internet en une heure

      Julien Lausson · news.movim.eu / Numerama · Friday, 11 December, 2020 - 17:03

    La Commission, le Parlement et le Conseil ont trouvé un accord politique pour aboutir à un nouveau cadre contre la propagande terroriste sur Internet. Le principal axe consiste à obtenir le retrait des contenus en moins d'une heure. [Lire la suite]

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      Hydroxychloroquine et haine contre la France : la « Cour suprême » de Facebook fait ses débuts

      Julien Lausson · news.movim.eu / Numerama · Wednesday, 2 December, 2020 - 10:09

    La cour de surveillance de Facebook, qui agira comme une « cour suprême », a choisi ses premiers dossiers à traiter. Sur les six cas qu'elle va examiner pendant 90 jours, deux concernent la France. [Lire la suite]

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      La Défenseure des droits en remet une couche contre les restrictions de vidéos de policiers

      Julien Lausson · news.movim.eu / Numerama · Wednesday, 18 November, 2020 - 10:19

    gendarmes mobiles

    Après un premier avis émis le 5 novembre, la Défenseure des droits relance de nouvelles critiques contre la proposition de loi sur la sécurité globale. [Lire la suite]

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      Collages féministes : se réapproprier l’espace public

      Zoe Meyer · news.movim.eu / LeVentSeLeve · Monday, 9 November, 2020 - 18:04 · 10 minutes

    D’où vient l’idée audacieuse de concilier féminisme et réappropriation de l’espace public ? Nous vous proposons d’en savoir davantage sur l’histoire de ces femmes qui couvrent nos murs pour donner la parole à celles qui n’en ont plus et pour apostropher les passants des grandes villes. Qui sont les Colleuses ? Le collage a-t-il toujours été l’arme de cette partie de la société, invisible et inaudible ?


    Dans les placards de l’histoire

    Dans une article de France Culture, l’historienne spécialiste de l’histoire des femmes, Christine Bard, remonte le temps jusqu’à l’Ancien Régime. À cette période, les femmes ne sont pas nombreuses à placarder nos faubourgs pour se plaindre du supplice de la nage et autres infamies perpétrées par la gent masculine. Durant l’Ancien Régime, les placards, terme original pour les collages, étaient utilisés pour publiciser les avis officiels. Ils pouvaient aussi être utilisés par les opposants au pouvoir.

    Il faut attendre la Révolution Française pour découvrir un placard signé d’une main féminine. Olympes de Gouges est la première femme à les utiliser pour se présenter comme « défenseur officieux de Louis Capet » lors du procès de Louis XIV en 1792. En voici un extrait : « Je m’offre après le courageux Malesherbes pour être défenseur de Louis. Laissons à part mon sexe, l’héroïsme et la générosité sont aussi le partage des femmes, et la Révolution en offre plus d’un exemple. Mais je suis franche et loyale républicaine, sans tache et sans reproche. Je crois Louis fautif, comme roi ; mais dépouillé de ce titre, proscrit, il cesse d’être coupable aux yeux de la République. »

    Finalement, en France, les affiches restent plutôt rares jusqu’à la Commune de Paris où est à l’œuvre l’Union des femmes pour la défense de Paris. Les quelques affiches de la période sont composées de texte denses contrairement à leur pendants modernes qui favorisent des mots percutants et des images vives.

    Affiches féministes, so british

    Cependant, il suffit de traverser la Manche pour trouver les premières affiches féministes dès la fin du XIXème siècle, en Angleterre. Ces affiches s’inscrivent notamment dans le mouvement d’émancipation vestimentaire lancé à cette époque. L’Aglaia , le journal du « syndicat pour la robe artistique et saine », arbore alors des illustrations où l’on peut voir des femmes vêtues de robes sans corset.  D’autres mouvements semblables vont voir le jour ailleurs en Europe « pour le port d’une robe différente ». C’est le cas notamment en Allemagne et en Autriche [1] .

    L’Angleterre ce n’est tout de même pas si loin ! Pourquoi une telle inertie dans l’hexagone ? La fabrication de telles affiches nécessite des moyens financiers et matériels auxquels seuls les mouvements féministes modérés peuvent prétendre.

    Ce sont les suffragettes européennes qui vont être à l’origine d’une deuxième vague dans les collages féministes.

    Ce sont les suffragettes européennes qui vont être à l’origine d’une deuxième vague dans les collages féministes. Là encore, nos homologues britanniques se placent en championnes d’après l’historienne. Elles sont à l’origine d’un grand nombre de nouveautés dans le domaine. Cela tient notamment au fait que les suffragettes anglaises disposent de leurs propres ressources qu’elles puisent dans les écoles des Beaux-Arts par exemple. Elles mettent en place un code couleur (vert violet et blanc) et étalent fièrement leurs bannières dans les manifestations, tandis qu’en France, ces mêmes manifestations restent occasionnelles et plutôt modestes.

    Genèse des affiches féministes en France

    Mais en Europe, l’année 1914, qui marque l’entrée dans la Première guerre mondiale, est un nouveau ralentissement des activités féministes. En France notamment, l’heure est à l’union sacrée. Les thématiques féministes sont passées sous silence, tandis qu’on emprunte plus volontiers le ton de la glorification de la société française et du patriotisme.

    Il faut attendre les années 1930 pour que soit durablement perturbée la chape française. Entre 1934 et 1936, les manifestations des suffragettes se multiplient et font parler d’elles. On peut par exemple mentionner l’affiche marquante de la journaliste suffragiste Louise Weiss : « La Française doit voter ». Des lettres rouges sur fond blanc, un beau contraste pour un message succinct, simple et sans équivoque.

    https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0000937068/v0001.simple.selectedTab=record© Ville de Paris / Bibliothèque Marguerite Durand

    Plus tard, la Seconde guerre mondiale fera une nouvelle fois taire les courants féministes, quels qu’ils soient, en France occupée et ailleurs. Ce constat fait, une petite précision s’impose. Que dire de l’affiche « We can do it », signée J. Howard Miller, une affiche encore aujourd’hui utilisée par de nombreux mouvements féministes ? Un rappel sur son histoire s’impose, par l’historienne Christine Bard : « Cette affiche, qui connaît actuellement une deuxième vie extraordinaire, sous le signe du féminisme, n’était pas féministe. Elle exaltait l’effort de guerre féminin. La propagande de guerre est trompeuse car elle valorise la force, le courage, la virilité des femmes… dans la mesure où leur contribution est jugée nécessaire, le temps de remporter la victoire ; ensuite, tout doit rentrer dans l’ordre. »

    De retour dans la France des années cinquante, c’est l’année 1956 qui marque le début de la Maternité heureuse, devenant en 1960 le Planning familial. Cette création est un moment charnière. Cette association bien structurée se dote des moyens nécessaires pour produire une myriade d’affiches sur les thème de l’accès à la contraception et à l’avortement.

    La fin des années soixante, c’est aussi l’avènement du Mouvement de libération des femmes (MLF). Ce dernier s’accompagne de l’éclosion d’une multitude de groupes de militantes. Celles-ci, même lorsqu’elles manquent de moyens, s’adonnent à des créations multiples. « Les femmes artistes sont à cette époque de plus en plus nombreuses. Une affiche célèbre est réalisée par exemple par Claire Bretécher. Le graffiti a aussi beaucoup de succès. Il est bien dans l’esprit libertaire du féminisme radical. D’innombrables événements culturels féministes sont annoncés par voie d’affiche : concerts, lectures, théâtre, fêtes… Et bien sûr, les manifestations, en particulier celle du 8 mars. On trouve aussi des revendications féministes ailleurs qu’au MLF, dans les syndicats surtout (CGT, CFDT…) : le monde du travail est un autre champ de luttes pour les femmes, ce dont témoignent des affiches », explique Christine Bard pour France Culture.

    Les collages contre les féminicides

    Fortes de cet héritage, nous voici en août 2019. Marguerite Stern, ancienne FEMEN lance le mouvement des collages contre les féminicides à Marseille. Progressivement, les collectifs florissent dans chaque grande ville, comme Paris où Marguerite Stern va diriger les opérations durant quelques mois. Sur la base de formations en présentiel et de groupes de discussions sur les réseaux sociaux, les Colleuses s’organisent pour repeindre les murs à leurs couleurs.

    À l’aune de la mondialisation du militantisme et des actions d’envergures internationales, on peut se demander : pourquoi les villes et pourquoi la nuit ?

    « Nos sang sur vos murs. Le machisme tue. L’amour ce n’est pas la mort. L’amour ne fait pas de bleus. » En face des pubs McDonalds ou des affiches de luxe, ça déroute autant que ça dérange.

    Pour Camille Lextray, membre de l’initiative volontaire CollagesParis interrogée par France Inter, l’objectif est double. Il s’agit à la fois d’interpeller sans risquer de choquer de potentielles victimes ou leurs proches mais aussi de « faire de la pédagogie dans l’espace public », sur les « violences sexuelles, intrafamiliales, sexistes ». Un rapide retour sur le rapport des femmes à l’espace public s’impose, au sujet duquel Melissa Peifer, anciennement étudiante en histoire contemporaine, propose un éclairage dans son article : « Afficher les revendications féministes sur les murs des villes « .

    Alors qu’Inès, une jeune colleuse à Paris déclare pour France Inter que sortir la nuit à plusieurs lui donne le « sentiment libérateur de se réapproprier l’espace », il faut s’interroger : pourquoi cette rue n’est-elle pas autant la nôtre que celle des hommes ?

    Dès l’âge antique, une iniquité est instaurée entre l’occupation de la rue par les hommes et par les femmes. Dans la Grèce antique, les hommes occupent l’ agora . Celle-ci renvoie d’abord à la réunion de l’ensemble du peuple ou du Conseil d’une cité pour l’exercice de leurs droits politiques. Elle renvoie plus tard à la place publique qui porte le même nom [2] . Les femmes, quant à elles, sont cantonnées à l’oikos , en d’autres termes, l’espace purement privé, le cadre domestique. Plus tard au XVIIIème siècle, Rousseau, dans son Contrat social , exclue les femmes qu’il considère strictement comme des mères et non aucunement comme des citoyennes.

    Les manuels du XIXème destinés à l’éducation des jeunes filles représentent la ville comme un espace d’insécurité où la prudence et la discrétion sont de mise.

    Plus tard, Melissa Peifer nous rapporte que les manuels du XIXème destinés à l’éducation des jeunes filles représentent la ville comme un espace d’insécurité où la prudence, la discrétion et la compagnie d’un homme sont de mise.

    N’en déplaisent à certains, les choses sont loin d’avoir évolué depuis. Dans les années 2000, des auteurs comme Guy di Méo ou Jacqueline Coutras dénoncent « des mécanismes toujours à l’œuvre qui font des villes […] des espaces profondément inégalitaires » et pointent « les politiques publiques […] pour leur tendance à privilégier les besoins des hommes face à ceux des femmes » [3] . En 2018, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) estime qu’un quart des femmes interrogées ont au moins une fois renoncé à quitter leur demeure seules, car elles avaient peur.

    Ces collages tentent de s’opposer à l’invisibilisation des femmes dans l’espace public. En 2014, une enquête de l’ONG Soroptimist estime que seules 2 % des rues françaises sont nommées d’après des femmes. Chaque jour, ces rues que nous traversons, avec plus ou moins d’assurance, nous offrent le récit d’une histoire profondément « androcentrique » [4] . Ainsi d’une part, le collage permettrait de se réapproprier un espace dont on nous a depuis bien longtemps privées.

    Les Colleuses ramènent ces « histoires de couple », ces « histoires d’alcool » et ces « drames familiaux » sur la place publique, tentant alors d’en faire une problématique sociale.

    D’autre part, les collages permettent de dénoncer les violences perpétrées dans le cadre domestique sur la place publique. En d’autres termes, en exposant à la cité ces « histoires de couple », il s’agirait d’imposer ce phénomène comme une problématique sociale et non pas juste un problème domestique pour lequel l’État n’aurait pas grand-chose à faire. De la même façon que certains interrogent la sécuritisation de nombre d’enjeux sur la scène internationale [5] , les Colleuses ramènent ces « histoires de couple », ces « histoires d’alcool » et ces « drames familiaux » sur la place publique, tentant alors d’en faire une problématique sociale face à laquelle les acteurs publics ne peuvent plus se contenter de fermer les yeux. Certains et certaines dénoncent l’aspect dérisoire, presque dérangeant, de ces bouts de papiers. Pourtant, on s’accordera avec Melissa Peifer pour dire que ces lettres noires sur papier blanc A4 ont au moins le mérite d’ouvrir, si ce n’est de forcer, le débat sur une question qu’on rangerait bien sous le tapis. Ensembles, ces lettres noires vous toisent et vous interrogent : combien de Raymonde, combien de Laeticia, combien de nouveaux noms sur vos murs faudra-t-il pour que nous en valions la peine ?


    [1] https://www.franceculture.fr/oeuvre/lart-du-feminisme-les-images-qui-ont-faconne-le-combat-pour-legalite-1857-2017
    [2] Gustave Glotz 1970 , p. 30.
    [3] Di Méo Guy, « Les femmes et la ville. Pour une géographie sociale du genre », Annales de géographie, 2012/2 (n° 684), p. 107-127. DOI : 10.3917/ag.684.0107. URL : https://www.cairn-int.info/revue-annales-de-geographie-2012-2-page-107.htm
    [4] Bourdieu Pierre, la Domination masculine, 1998, Éditions du Seuil, collection Liber
    [5] Holbraard Martin et Morten Axel Pedersen, 2012, « Revolutionary Securitization : An Anthropological Extension of Securitization Theory », International Theory, vol. 4, no 2 : 165-197.

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      Que risque-t-on à diffuser la photo de Samule Paty, professeur assassiné à Conflans ?

      Julien Lausson · news.movim.eu / Numerama · Monday, 26 October, 2020 - 11:43

    Manifestation france liberté

    Le code pénal prévoit diverses dispositions sanctionnant la publication et la diffusion de la photo montrant la dépouille décapitée de Samuel Paty. Y compris lorsqu'il ne s'agit pas d'une apologie du terrorisme. [Lire la suite]

    Voitures, vélos, scooters... : la mobilité de demain se lit sur Vroom ! https://www.numerama.com/vroom/vroom//

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      Facebook bannit la négation de l’Holocauste, mais pas des autres génocides

      Julien Lausson · news.movim.eu / Numerama · Wednesday, 14 October, 2020 - 10:38

    Tombes des victimes du massacre de Srebrenica (survenu en juillet 1995).

    Facebook a annoncé qu'à partir du 12 octobre le négationnisme de l'Holocauste survenu lors de la Seconde Guerre mondiale sera désormais banni sur l'ensemble de sa plateforme. Mais la mesure se limite seulement à ce génocide. [Lire la suite]

    Voitures, vélos, scooters... : la mobilité de demain se lit sur Vroom ! https://www.numerama.com/vroom/vroom//

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      Facebook bannit dorénavant tous les messages niant la Shoah, partout dans le monde

      Julien Lausson · news.movim.eu / Numerama · Tuesday, 13 October, 2020 - 08:29

    Mark Zuckerberg

    Facebook annonce qu'il est maintenant interdit de nier l'existence de l'Holocauste sur sa plateforme. Cette nouvelle règle s'applique dans le monde entier et pas uniquement dans les pays dotés d'une législation ad hoc. [Lire la suite]

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