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      Tesla explose en bourse : Fast and Furious

      Sébastien Thiboumery • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 15 January, 2021 • 2 minutes

    Tesla

    Par Sébastien Thiboumery.

    Tesla a vendu près de 500 000 voitures en 2020. Avec une capitalisation boursière proche de 800 milliards de dollars, cela équivaut à environ 1 600 000 dollars par voiture vendue, contre 9000 dollars pour GM. La valeur boursière attribuée à une voiture Tesla est donc 180 fois plus élevée qu’une voiture de GM.

    Il faut savoir faire preuve d’une grande agilité mentale pour tenter de justifier une valorisation aussi déraisonnable. C’est ce que tente pourtant de faire Bank of America (BOFA) dans une note de recherche du 11 janvier, en augmentant son objectif de cours sur Tesla à 900 dollars, le cours actuel étant d’environ 850 dollars.

    Le broker américain pense que Tesla doit traiter à 23 x EV/Sales 1 et 118 x EV/EBITDA 2 , ce qui est largement supérieur à un fabricant automobile tel que BMW (9 x EV/EBITDA) et une entreprise technologique comme Apple (28 x EV/EBITDA).

    Le raisonnement de BOFA est le suivant. L’augmentation du cours de bourse fournit à Tesla un accès bon marché au capital. Le constructeur a récemment levé 5 milliards de dollars en septembre 2020 suite à une opération de split et 5 milliards supplémentaires en décembre (BOFA est chargé de l’opération).

    Cet argent que l’entreprise n’a pas à rembourser lui permet de financer sa croissance en investissant et augmentant ses capacités de production, devant générer des revenus et des profits incrémentaux, provoquant par là même une augmentation du multiple boursier (le marché attribuant en général une prime lorsque la croissance bénéficiaire accélère), et donc une hausse du cours de bourse.

    Au moyen du storytelling : la vision et la croissance, Tesla jouit ainsi d’un accès au capital sans répondre aux mêmes exigences de rentabilité que ses pairs. Les investisseurs embrassent la vision du fondateur charismatique Elon Musk, devenu l’homme le plus riche du monde , pensant qu’il va révolutionner l’industrie automobile et transformer le stockage d’énergie, et lui fournissent donc régulièrement de l’argent frais permettant de financer des projets risqués tels qu’ envoyer des fusées dans l’espace .

    Un véritable cercle vertueux s’est mis en place et dont l’origine est la hausse du cours de bourse. Mais attention, car l’inverse est également vrai. Une spirale baissière peut tout aussi bien alimenter un cercle vicieux. Et après un parcours boursier exceptionnel (+700 % en un an), une sortie de route n’est pas à exclure. Alors attachez vos ceintures.

    1. EV/Sales : Valeur d’entreprise/Ventes.
    2. EV/EBITDA : Valeur d’entreprise/ Profit brut de l’entreprise, ou encore son chiffre d’affaires moins ses charges d’exploitation.
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      The Last of Us Part II, véritable jeu-vidéo de société

      Corentin Luce • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 15 January, 2021 • 6 minutes

    Last part of us

    Par Corentin Luce.

    « L’art est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre ».

    Auguste Rodin vient peut-être de définir ce que l’on entend par être humain. Ou plutôt ce qui le distingue et le distinguera sans doute à jamais de l’animal et des machines, aussi sophistiquées soient-elles.

    Dans le flot incessant de productions cinématographiques et vidéoludiques fades, rompues au risque zéro, certaines œuvres réussissent tant bien que mal à s’extraire des injonctions court-termistes d’industries ayant les yeux rivés sur les documents comptables. Ces œuvres réussissent alors, pour les plus brillantes d’entre elles, à transcender le temps et l’espace, en provoquant presque toujours de très violents débats.

    L’art, c’est transgresser

    En 1830, lorsque Hernani , pièce qui fonda le drame romantique, fut achevée et présentée au public, celle-ci donna lieu à de violents débats, dès sa première représentation à la Comédie française ; en 1913, lors de sa deuxième représentation, le chef-d’œuvre de Stravinsky, obligé de se réfugier dans les coulisses, fut rebaptisé par la fièvre populaire « le massacre du printemps ».

    Toutes ces œuvres avant-gardistes ont, chacune à leur manière, transgressé dans la forme ou sur le fond, provoquant l’ire des foules et autres puristes. L’essence de l’art, son geste lui-même, est un cri rebelle, « une protestation contre la terrible inclémence de la vie » pour reprendre les mots d’Aldous Huxley.

    Voilà plus de six mois que The Last of Us Part II est sorti, suite directe d’un premier opus ovationné en 2013 retraçant l’épopée sanglante à travers une Amérique post-apocalyptique d’une jeune fille, Ellie et d’un homme bourru, Joel.

    Dès sa sortie, en juin 2019, les polémiques se sont multipliées : review bombing , menaces de mort sur l’actrice incarnant Abby, insultes antisémites à l’encontre de Neil Druckmann. Quelques mois auparavant, les leaks , le crunch , de même que la sexualité de plusieurs personnages avaient enflammé la toile…

    Deux messages principaux forts qui font écho à l’actualité

    • « Quiconque n’affronte pas son passé, se condamne à l’horreur »

    Le meilleur exemple concerne le personnage principal, Joel. Ce dernier, en refusant de sacrifier Ellie pour un vaccin, montre qu’il n’a jamais fait le deuil de sa fille biologique. Il la remplace simplement par Ellie. En refusant d’affronter son passé, il se condamne à l’horreur.

    Dans sa quête aveugle de vengeance, Ellie succombera aux mêmes démons. Elle ne comprendra qu’à la toute fin que son salut ne viendra pas de la vengeance mais de l’acceptation du deuil.

    La « concurrence victimaire », spécificité contemporaine directement importée des combats pour l’égalité civique aux États-Unis, fait florès : au nom d’un passé qu’elles ne sont plus capables d’analyser, toutes les communautés se condamnent à l’horreur. L’émancipation, notion centrale pour le libéralisme, n’est alors plus possible. Les  passions tristes ont gagné.

    • « Si tu regardes longtemps dans l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi » (Nietzsche).

    À l’heure où la violence, sous toutes ces formes, connaît une recrudescence inédite et rythme nos quotidiens, un énième rappel sur ses conséquences n’est pas de trop. Ultime avertissement d’une démocratie libérale qu’il est urgent de ne pas laisser sombrer.

    C’est en effet le second message du jeu : lorsque l’on arpente les chemins tortueux de la vengeance, le cycle de la violence s’abat sur le malheureux dans une dynamique expiatoire infinie. Il n’y a pas d’œil pour œil, et toute symétrie apparente dans la justice est une illusion précaire. Il n’y a donc pas, sur l’autel ardant de Thémis, de véritable équilibre au jeu de la balance. Juste le courage d’un condamné pour conserver intact le peu de choses précieuses qui demeure.

    Un jeu vidéo de société

    Ces chefs-d’œuvre transgressifs cités plus haut ont également ceci d’intéressant qu’ils sont un miroir tendu à la société.

    The Last of Us Part II est un véritable phénomène de société. Un jeu-vidéo de société, en somme. Son accueil et les réactions épidermiques de la presse et des joueurs ont tant à nous offrir pour analyser nos sociétés biberonnées au buzz et à l’expression démesurée du Moi. L’œuvre vidéoludique qui retranscrit les dérives de notre humanité voit dans le même temps ces mêmes dérives décuplées dans la réalité dès sa sortie. Ironie de l’histoire, sans doute. Mais comment expliquer ce déferlement de haine ?

    La responsabilité incombe en premier lieu et quasi-exclusivement aux joueurs. Attribuer une note ridicule à une œuvre au bout de 2-3 heures de jeu est symptomatique de citoyens biberonnés et capricieux. Illustration paroxystique de sociétés au bord du gouffre, où le dialogue, le vrai dialogue, mot-clé en démocratie libérale, ne sert plus que dans des livres poussiéreux.

    Les réseaux qui n’ont de sociaux que leur nom, tant ceux-ci semblent nous diviser, font figure de déversoir vulgaire à ciel ouvert pour quiconque a une pulsion à exprimer. Société du spectacle oblige, on fait la part belle à l’instantanéité ridicule et à l’injonction du sentimentalisme. La modernité digère difficilement la complexité et la raison.

    Le client est roi et si l’objet de consommation venait à ne pas ressembler au desiderata des masses, celles-ci réagissent instinctivement et s’époumonent pour le crier haut et fort dans une surenchère victimaire permanente. Les réseaux sociaux ou la course aux provocations les plus extrêmes.

    Ce déferlement de haine doit aussi nous interroger sur certaines pratiques commerciales. Les campagnes de communication tout au long de The Last of Us Part II ont été pour le moins discutables, au point de mentir sur plusieurs points.

    Dans le même temps, cette suite pose aussi des questions concernant les médias et le système des privilèges, c’est-à-dire la possibilité pour les influenceurs de recevoir le jeu avant tout le monde pour le tester. Toutes les équipes de Naughty Dog l’ont dit, le jeu divisera, alors pourquoi n’a-t-on pas retrouvé cette hétérogénéité dans les tests réalisés par le presse et les médias ?

    Une suite hors norme

    The Last of Us Part II est assurément entré au Panthéon des œuvres vidéoludiques.

    Jamais un jeu-vidéo ne nous aura fait ressentir autant d’émotions manette en main. Pour finir le jeu, à l’image d’Ellie, complètement épuisé, hébété, tétanisé. Les jeux-vidéos font rarement le choix de laisser le joueur en proie à des sentiments non résolus et contradictoires . Le pousser à se questionner sur la légitimité des actions du personnage qu’il contrôle et auquel il s’identifie est une chose salvatrice.

    À l’image du parcours initiatique traumatisant qu’Ellie et Abby traversent tant bien que mal, le chemin du joueur pour dépasser ce flot incontrôlé d’émotions contradictoires est ardu. Peu de joueurs méritent véritablement de voir leur écran de menu s’éclaircir, la marée basse se mêlant au somptueux crépuscule.

    Conclusion

    « Il n’y pas de lumière sans ombre ».

    Louis Aragon s’est peut-être trompé : il n’est pas question de reflet mais de causalité.

    The Last of Us Part II ou comment raconter l’humanité en proie à l’abîme, en utilisant la violence non comme spectacle, mais comme fenêtre à travers laquelle la lumière prend véritablement son sens.

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      La destitution de Trump ne doit pas devenir un procès politique

      Frédéric Mas • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 14 January, 2021 • 6 minutes

    Trump fraudes

    Par Frédéric Mas.

    Pour la seconde fois de son mandat de président des Etats-Unis, Donald Trump fait face à une procédure de destitution (impeachment) portée par la majorité de la chambre des représentants réunie ce mercredi 13 janvier.

    Les démocrates ont été rejoints par une partie de la droite républicaine pour condamner les messages ambigus du président en exercice après l’assaut contre le Capitole et demander sa condamnation, et cela à moins d’une semaine de la prise de poste de son successeur Joe Biden .

    Si la faute de Donald Trump est très réelle, l’organisation d’un procès postérieur à son mandat risque fort de se transformer en procès moral de l’héritage politique de Trump en général.

    Plutôt que d’apaiser les tensions idéologiques et culturelles qui traversent le pays, il risque de charrier son lot de purges idéologiques au nom de la « détrumpification » et de facto mettre en péril l’esprit de la démocratie américaine. Il se pourrait cependant que le premier amendement sur la liberté d’expression lui sauve la mise, au grand dam de ceux qui veulent faire de sa punition un exemple politique.

    Le fait accuse, le résultat n’excuse rien

    Donald Trump a fait face à une première tentative de destitution qui n’avait pas abouti en 2019 pour abus de pouvoir et obstruction du Congrès. Accusé de collusion avec une puissance étrangère afin d’interférer dans le bon déroulement de l’élection présidentielle, le sénat l’avait acquitté en février 2020.

    Trump avait été accusé de chercher à impliquer l’Ukraine dans la campagne afin de salir la réputation de son adversaire démocrate d’alors, devenu entre temps le 46e président des Etats-Unis.

    La seconde procédure de destitution initiée mercredi se fait cette fois-ci pour « incitation à l’insurrection ». Alors qu’aucun représentant républicain n’avait voté en faveur de la destitution de Trump la première fois, 10 membres du parti de droite ont rejoint le camp démocrate, unanime pour initier la procédure judiciaire. La remise en cause de la régularité de l’élection présidentielle par Donald Trump s’est vite transformée en un procès violent adressé à la légitimité des institutions.

    Les positions publiques de l’ancien président au moment de l’émeute de Washington ont motivé la décision des élus. Dans une réunion publique, Donald Trump a ainsi déclaré : « Je sais que tout le monde ici va bientôt marcher vers le bâtiment du Capitole pour faire entendre vos voix pacifiquement et patriotiquement » . Il a ensuite ajouté : « Si vous ne vous battez pas comme un diable, vous n’aurez plus de pays. »

    A plusieurs reprises, il a encouragé ses supporters à ne pas laisser faire les choses et à s’opposer à une élection « volée ». Au moment de la prise d’assaut du Capitole, Trump a même Twitter : « Ce sont les choses et les événements qui se produisent lorsqu’une victoire électorale sacrée est dépouillée de façon si peu cérémonieuse et si vicieuse. »

    Ça sera maintenant aux membres du Congrès de déterminer si ces propos plus qu’ambigus ont joué un rôle dans la désacralisation du temple de la démocratie qu’est le Capitole.

    Une procédure inédite

    Donald Trump n’est pas seulement le premier président à faire face à deux tentatives de destitution. Si la seconde procédure aboutit, alors elle pourrait se dérouler après son mandat, ce qui serait du jamais vu. Les spécialistes débattent encore sur la possibilité d’un tel scénario.

    Le risque d’un procès post-mandature est de voir le nouveau pouvoir politique s’instituer en procureur de tout le bilan politique de Trump, et par extension d’une droite américaine qu’ils ont intérêt à voir divisée et surtout loin des affaires publiques, et cela pour longtemps.

    En d’autres termes, le risque est fort d’étendre la faute de Trump pour en faire une tache morale collective destinée à diaboliser l’ensemble des adversaires du nouveau progressisme dominant, et cela sans nuance aucune, au détriment de la liberté de conscience, d’expression et du pluralisme démocratique. Déjà, les médias , les éditorialistes et les réseaux sociaux appellent à l’invisibilisation de tout ce qui se rapporte de près ou de loin à Trump et à ses idées.

    La procédure judiciaire, en se transformant en un Barnum politique anti-Trump, risque ainsi de fragiliser une démocratie américaine dont le bon fonctionnement repose sur le dialogue et le consensus portés populaires sur ses institutions libérales.

    Pour reprendre une distinction inspirée du philosophe John Rawls , s’il peut être rationnel de chercher à destituer Trump, c’est-à-dire ici conforme aux intérêts de l’équipe nouvellement élue, cela pourrait ne pas être raisonnable, c’est-à-dire acceptable publiquement par la droite défaite.

    Et si la droite n’accepte pas la défaite dans les mêmes termes politiques et constitutionnelles que la gauche, la guerre civile dans les têtes n’est pas près de s’éteindre, et le fonctionnement régulier des institutions entravé. C’est le retour au fameux esprit de « factions » que les Fondateurs de la République américaine ont cherché à conjurer en adoptant les principes du gouvernement représentatif.

    Trump protégé par le premier amendement ?

    Le premier amendement de la constitution pourrait toutefois dédouaner Donald Trump et renvoyer l’ensemble du problème à la case départ.

    Comme le rappelle Jacob Sullum dans Reason , même le discours incitant à l’action illégale est protégé comme participant de la liberté d’expression depuis un arrêt de la Cour Suprême de 1969 Brandeburg v. Ohio :

    « Contrairement à Clarence Brandenburg, le membre du Klan dont la Cour suprême a jugé les poursuites anticonstitutionnelles, Trump ne préconisait pas d’enfreindre la loi, même en termes généraux. À première vue, son discours n’appelait qu’à une protestation pacifique. ».

    Sullum ajoute :

    « Lorsque Trump a envoyé ses partisans en colère au Capitole dans le cadre d’une mission vouée à l’échec pour empêcher Biden de prendre ses fonctions en exprimant leur mécontentement face à cette perspective, la violence était prévisible. Mais cela ne suffit pas pour satisfaire les standards posés par la juridsprudence Brandeburg ».

    Si c’est le cas, l’ouverture de la procédure de destitution du président sortant est vouée à l’échec, et sa disparition du paysage politique tant désirée par le camp démocrate peu probable.

    La procédure de destitution de Donald Trump risque fort de se transformer en stress test pour la démocratie américaine. Sera-t-elle assez solide pour éviter que l’exigence démocratique de justice ne dégénère en guerre ouverte contre la liberté d’expression ?

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      Hidalgo, la candidate qui transforme l’or en plomb

      Aurélien Véron • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 14 January, 2021 • 4 minutes

    Anne Hidalgo

    Par Aurélien Véron.

    Elle déclarait l’été dernier trop aimer Paris pour envisager de se présenter à la présidentielle de 2022. Manifestement, cette passion a perdu de son éclat au cours de l’automne. Peut-être en a-t-elle assez de ces Parisiens si sales selon ses propres mots. En tout cas, Anne Hidalgo se prépare à abandonner la capitale pour décoller à la conquête de la France. Envol d’une fusée ou d’un pétard mouillé ?

    Imaginons un instant Anne Hidalgo à l’Elysée. Les finances de la France gérées comme celles de Paris placeraient rapidement notre pays sous la tutelle du FMI.

    Certes, les Français n’ont jamais attaché une importance décisive à la rigueur budgétaire. Ceci explique qu’aucun budget n’ait atteint l’équilibre depuis 1974. Anne Hidalgo nous promet, elle, de basculer dans la 4 ème dimension de la dette. Elle qui n’a jamais compté, ni négocié les gros contrats. Naturellement ! Elle est désintéressée… avec l’argent du contribuable.

    Des budgets qui explosent avec Hidalgo

    Depuis la réfection des Halles à 1 milliard (5 fois plus que les 200 millions annoncés au départ), combien de chantiers ratés ? Résiliation du contrat Autolib, pénalités de 263 millions d’euros versées à Unibail dans le dossier de la Tour Triangle , 240 millions requis par Smovengo pour ne pas liquider la société des nouveaux Velib’, et c’est sans parler des 280 millions de subventions annuelles aux associations amies. Imaginez les sueurs froides à Bercy en cas de victoire Hidalgo.

    La répression, ce n’est pas non plus sa priorité. Ses adjoints manifestent régulièrement contre les forces de l’ordre. A Paris, la future police municipale, acquise de longue lutte, sera désarmée au cas où ces futurs agents s’engageraient sur la voie ô combien périlleuse de la protection des Parisiens. Ainsi, ils se cantonneront à la verbalisation des artisans et des livreurs mal garés.

    Il faut dire qu’Anne Hidalgo a plus de compassion pour un sans-papiers accro au crack que pour les familles parisiennes frappées par le malheur. Salles de shoot, squats, centres d’accueil des migrants pullulent. Tandis que les familles, comme celles qui ont tout perdu rue de Trévise n’ont à ce jour reçu aucune aide de la mairie, pas le moindre geste depuis 2 ans.

    Autant dire qu’installée au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré, Anne Hidalgo transformerait vite Place Beauvau en squat écolo avec guichet de conseil et d’analyse de stupéfiants pour Rave Party à l’accueil.

    Mixité sociale et oubli des classes moyennes

    La mixité sociale prétendue constitue le pilier d’une stratégie de remplacement des familles des classes moyennes par des couches très populaires : préemptions (préalables à l’éviction des locataires en place) et bétonisation à marche forcée. Le tour de magie Hidalgo, c’est de vendre du vert pour finir avec du béton partout et des décharges en bas de chez soi.

    Il en résulte l’exclusion progressive des catégories intermédiaires , trop riches pour bénéficier des logements sociaux de plus en plus nombreux (à 6 ou 13€ mensuels du m2) mais pas assez pour payer le prix d’un marché dont le rétrécissement dû aux préemptions entretient la pression sur les loyers (entre 30 à 40€ du m2).

    Résultat de cette déconstruction sociale méthodique quartier par quartier, Paris perd 11.000 habitants chaque année dont 3.500 enfants, et ferme par conséquent de nombreuses classes chaque année.

    Avec Hidalgo, l’ « urbanisme tactique »

    Mais son arme fatale pour décourager ceux que son premier adjoint n’hésite pas à qualifier de « bourgeois réacs », c’est « l’urbanisme tactique ». Laisser tags et affiches sauvages proliférer au milieu des rues jonchées de déchets. Remplacer le mobilier urbain élégant et patiné avec les années par des poutres, des palettes et autres blocs de récupération posés à l’avenant, installer des places minérales, parsemer les belles avenues de plots jaunes et de murets en béton.

    Ajouter à cela des pissotières en plastique ouvertes aux regards, fuyant sur les trottoirs, et installer partout des bacs dont les plantes non arrosées se meurent pour servir de dépotoirs. Ne doutons pas de la transformation du pays en bidonville géant avec ces recettes infaillibles de Paris Ville Fleurie.

    Hidalgo présidente, la décroissance ne sera pas loin. Les Français devront changer brutalement leurs habitudes au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Comme à Paris, elle développera les activités citoyennes, inclusives et durables pour éveiller la conscience des citoyens à l’égard des injustices sociales et climatiques.

    Partout en France se multiplieront ateliers de masques cousus main ou de recyclage des vieux grille-pain, et micro-potagers urbains dans les carrés boueux qu’elle décline sur les trottoirs aux pieds des arbres. Voilà la révolution participative en marche !

    Vous pensez que celle qui a transformé la Ville Lumière en capitale mondiale de la palette a peu de chance de séduire les Français ? Vous croyez vraiment que sa phobie des voitures et des nouvelles technologies, que son incapacité à mener un chantier correctement à son terme rendent sa victoire improbable ? N’excluez pas pour autant d’investir dans un cierge. Dans notre contexte politique hautement inflammable, même l’hypothèse la plus saugrenue peut se réaliser.

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      Macron, président d’une France pauvre mais verte

      Claude Robert • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 14 January, 2021 • 7 minutes

    France

    Par Claude Robert.

    Macron, ou l’air pur des sommets

    Tandis que la France souffre d’une sévère crise sociale et industrielle, Emmanuel Macron veut « faire converger les enjeux climatiques et la préservation des écosystèmes » lors du troisième One Planet Summit dont il est lui-même à l’initiative.

    Il serait presque malvenu de rappeler quelques principes moraux de base. Il paraîtrait pourtant immoral d’imposer des contraintes de dépollution à des pays en voie de développement. Il est en effet relativement aisé de comprendre que ces pays pauvres font face à des priorités autrement plus urgentes : assurer une vie décente à leur population en termes de santé, d’alimentation, d’instruction, de sécurité, en un mot, de niveau de vie. La moindre des choses consiste à leur donner du temps et des moyens pour les aider dans leur lutte contre la pauvreté.

    Plus prosaïquement, pour reprendre un exemple de la vie courante, on ne va décemment pas ennuyer un SDF dans la rue sous couvert qu’il pollue le trottoir. On ne peut pas non plus décemment exiger que les personnes en situation précaire qui ont du mal à joindre les deux bouts roulent avec des voitures propres dernier cri. Les obliger serait tout simplement immoral car antisocial.

    Exactement de la même façon, on ne comprendrait pas qu’un pays en voie d’appauvrissement et en proie à de sérieux problèmes se consacre en premier lieu à la lutte contre un prétendu réchauffement climatique et qu’il s’auto-inflige de nouvelles contraintes.

    Alors que dire si ce pays lui-même se rêve en parangon de la discipline écologique et souhaite montrer la voie ? Par quel renversement des valeurs l’Hexagone se débrouille-t-il pour jouer le héraut de la « préservation des écosystèmes » lors de ce dernier One Planet Summit du 11 janvier, sommet dont il est lui-même à l’initiative ( Le Monde du 11 janvier 2021) ?

    Notre pays n’aurait-il pas des problèmes autrement plus pressants à résoudre ?

    Ce décalage quasi schizophrénique entre la situation de la France et le rôle que tente de lui faire jouer son président sur le plan international forcément interpelle.

    Des chiffres qui devraient faire peur

    La France d’aujourd’hui, c’est toujours 1 % de la population mondiale, ce n’est hélas plus que 3 % de l’industrie mondiale contre 7 % il n’y a même pas 30 ans, et c’est accessoirement 15 % des transferts sociaux de la planète ! On se doute qu’une telle configuration n’est en aucune façon soutenable, et finira par nous retomber dessus tel un méchant boomerang.

    Angela Merkel n’a pas oublié de brandir ce genre de comparaison pour alerter il y a quelques années ses concitoyens, alors même que notre voisin qui avait à peu près la même part du marché industriel mondial que la nôtre a vu celle-ci progresser depuis, et affiche des ratios beaucoup moins déséquilibrés !

    Un tel gouffre entre niveau de vie et ressources en déclin est bien évidemment explosif et se paie au prix :

    • d’un recul régulier de la richesse par habitant, ce fameux PIB per capita (en parité de pouvoir d’achat). Ne rêvons plus, la France se trouve actuellement reléguée à la 26ème place (source IMF/WEO octobre 2020) et recule régulièrement ;
    • d’une augmentation concomitante de la dette de l’État , dette dont une partie sert paradoxalement à financer le traitement de la douleur que le déclin économique génère, au préjudice des réformes qui elles seules seraient en mesure de stopper celui-ci, mais qui ne sont pas engagées ;
    • d’un accroissement de la pression fiscale , sa diminution devenant mécaniquement impossible compte tenu du coût du traitement social du chômage et du poids des intérêts de la dette.

    La France, une absence totale de réforme de fond

    Les maux dont souffre la France sont parfaitement identifiés et tiennent à deux boulets dictés par une gouvernance hyper étatique : un excès de prélèvements obligatoires et un excès de réglementations. Il ne fait pas bon d’entreprendre en France, ni de risquer du capital. Les entreprises y sont moins rentables qu’ailleurs en Europe. Elles recrutent moins et se développent moins, ce qui alimente chômage et précarité.

    Il y a longtemps qu’économistes et experts appellent de leurs vœux une réforme de l’État , mais en vain. Malgré des promesses tonitruantes du gouvernement Macron, la simplification du mille-feuilles réglementaire et une baisse des impôts généralisée, y compris pour les entreprises, se font toujours attendre.

    La réformette du droit du travail représente certes un progrès mais ne peut rien face au déluge de contraintes et de taxes étatiques. Quant au prélèvement à la source , il apparaît au contraire comme une monumentale provocation de la part d’un président qui n’a strictement rien entrepris pour libérer l’économie mais qui verrouille un peu plus la collecte des impôts afin d’assurer la poursuite de cette hyper gouvernance étatique qui nous ruine à petit feu.

    La France, un État aussi boursoufflé que peu réactif

    À ces difficultés économiques déjà anciennes et qui se sont particulièrement aggravées depuis la présidence Hollande s’ajoute une crise morale d’un genre nouveau, dans laquelle le gouvernement Macron possède une part non négligeable de responsabilité. Que ce soit en matière de sécurité , vis-à-vis des actes de terrorisme et de vandalisme , ou en matière de prévention contre la pandémie , force est de constater que l’État français ne brille ni par son efficacité ni par sa transparence.

    Le manque de masques, de tests , et à présent de vaccins, le tout sur fond de polémiques et d’accusations de mensonges officiels, résume parfaitement le niveau d’incurie actuel. Les mesures de confinement partiel ou total décrétées trop tardivement et sans discernement afin de compenser un manque patent d’organisation, ont généré une récession qui accélère même le recul du pays !

    La France, un président au destin de sauveur de la planète

    Comme Hollande qui osait donner des leçons de bonne gestion à l’Europe tout en générant jusqu’à 1 135 000 nouveaux chômeurs en plein boom post crise bancaire, Macron fait montre d’initiatives tout aussi renversantes à l’international.

    Sur le plan économique, les conseils du président français se résumaient récemment en ces termes : « endettons-nous, et laissez-nous nous endetter encore plus » , celui-ci allant jusqu’à ironiser quant au prétendu « fétichisme de l’excédent budgétaire » allemand ! Toutefois, le combat écologique élyséen semble d’une autre nature car il consiste paradoxalement à vouloir imposer des contraintes additionnelles communes. Rappelons-nous d’ailleurs que la révolte sociale des Gilets jaunes, qui a pris sa source dans la limitation à 80 km/h et l’excès de taxes, s’est soldée par une improbable Convention pour le Climat . Une convention capable, dès sa première réunion, de proposer une limitation de la vitesse sur autoroute et de nouvelles obligations environnementales !

    Comme chacun sait, par les temps qui courent, seuls les pays en parfaite santé financière et sociale sont capables d’encaisser des contraintes supplémentaires. Certainement pas la France qui d’ailleurs ne représente que 1 % des émissions de carbone de la planète ! Quelles sont donc les motivations du président pour s’enticher de la sorte ? Souhaite-t-il cultiver son électorat bobo et altermondialiste ? Faire diversion de l’échec de son mandat ? Se préparer un destin historique mondial ?

    Que le prince Charles, également membre du One Planet Summit , se consacre tant qu’il le souhaite à l’aquarelle et à l’écologie ne pose pas de problème particulier. Mais que le président Macron se découvre un rôle messianique planétaire et semble prêt à y sacrifier une partie des moyens de son pays est autrement plus dangereux. Une telle passion ne peut se faire qu’au préjudice de la gestion domestique et des réformes structurelles tant nécessaires.

    Encore une fois, les chômeurs et les laissés-pour-compte attendront, leur nombre risquant même de se développer plus vite sous l’effet des handicaps que notre président tente d’imposer sous couvert d’écologie !

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      Croissance : ce qu’en dit Bruno Le Maire n’est que littérature

      Nathalie MP Meyer • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 14 January, 2021 • 7 minutes

    croissance

    Par Nathalie MP Meyer.

    Retour aux chiffres, retour aux dures réalités. Selon le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance qui donnait mardi 12 janvier 2021 une conférence de presse à distance, ce sera un vrai défi que d’atteindre la croissance de 6 % qu’il a prévue pour 2021 avec un indéniable « volontarisme » (façon énarco-technocratique de dire « au pif »).

    Loin de moi l’idée de remettre cette assertion en cause, bien au contraire. On sent gros comme une maison que Bruno Le Maire nous prépare à une nouvelle révision pessimiste de ses prévisions, mais il fallait s’y attendre car tout ce qu’il nous a raconté précédemment sur le rebond de la France dans l’enfer du Covid-19 était marqué au sceau d’un optimisme keynésien aussi béat que mal compris.

    Relance et croissance, quoi qu’il en coûte

    Relance par dizaines de milliards, « quoi qu’il en coûte » sans restriction et plongeon consécutif assumé dans un niveau d’endettement dangereusement élevé – tout ceci ne devait en aucun cas susciter l’inquiétude puisque la croissance serait au rendez-vous et aurait tôt fait d’éponger ces petits excès nécessaires. Sans compter que le « principe de responsabilité sur les finances publiques » dont on sait qu’il est comme une seconde nature chez nos fonctionnaires et nos élus ( ici , ici , ici et ici ) nous garantissait que pas un euro ne serait dépensé de travers !

    Mais voilà, la croissance ne se décrète pas et M. Le Maire est inquiet, d’autant que l’on parle maintenant d’ un troisième confinement possible – une mesure de ralentissement de l’activité économique dont il serait d’ailleurs co-décisionnaire si elle devait effectivement être prise.

    Ce qui pose un léger problème : son ministère est-il en charge de favoriser ou de décourager la reprise ? Il serait plutôt question de suivre une voie étroite entre découragement du virus et encouragement de l’activité, nous répond généralement Emmanuel Macron. Mais au point d’Absurdistan où en est arrivé le pays, se pose plus que jamais la question du bien-fondé des mesures d’interdiction qui émaillent notre vie depuis mars.

    Toujours est-il que dans le Projet de loi de finances pour 2021 présenté fin septembre dernier, Bercy avait d’abord fixé les évolutions du PIB en volume à -10 % en 2020 et +8 % en 2021 et voyait la dette publique s’établir à 117,5 % du PIB à fin 2020. Mais avec le second confinement, il a fallu bricoler à la hâte de nouveaux chiffres, d’où une prévision de recul du PIB aggravée à -11 % en 2020 puis un rebond réduit à +6 % en 2021 . Quant à la dette des administrations publiques, elle devrait atteindre aux alentours de 120 % du PIB en date du 31 décembre dernier (l’INSEE n’a pas encore donné sa première évaluation concernant l’année 2020).

    Croissance et vaccination

    Les inquiétudes de M. Le Maire quant à la possibilité d’obtenir ce 6 % de croissance sonneraient cependant plus juste si parallèlement, le gouvernement ne se déchargeait pas de ses responsabilités sur des boucs émissaires pratiques et s’il ne s’évertuait pas à freiner la reprise, voire à pousser ouvertement à la non reprise comme il le fait depuis le début de la pandémie avec des mesures qui deviennent de véritables incitations à rester chez soi au lieu d’aller travailler.

    Pour le ministre, l’essentiel va en effet dépendre de la rapidité de la campagne de vaccination en France et de la vigueur de la reprise chez nos partenaires européens, notamment l’Allemagne.

    On tombe quelque peu à la renverse devant ces raisons qui permettront lorsque l’échec sera venu de tout mettre sur le dos des Français qui manqueraient de rapidité à se faire vacciner ou sur le dos d’une conjoncture économique morose à laquelle nous n’aurions aucune part mais dont nous serions les malheureuses victimes éplorées.

    Car sur le premier point, qui est en charge de la vaccination ? Qui n’a commencé à y réfléchir qu’à la mi-décembre ? Qui s’est octroyé alors, et comme d’habitude , les services d’un cabinet de conseil extérieur , McKinsey en l’occurrence, au tarif coquet de deux millions d’euros par mois ? Et qui a amplement démontré ensuite que la France, incapable de s’organiser malgré sa pléthore d’élus, de fonctionnaires et de consultants, accusait, à nouveau comme d’habitude, un retard et une lenteur inexcusables par rapport aux autres pays ?

    Quant au second point sur les partenaires européens, que voilà des propos bien audacieux et tout plein de paille et de poutre mal dirigés. Il est vrai que l’Allemagne table sur un rebond de son économie compris entre 3,5 et 4,4 % en 2021 , soit moins que les 6 % français de Bruno Le Maire. Mais quand on sait que le recul du PIB allemand devrait se situer entre -5 et -6 % en 2020 quand nous autres Français seront entre -9 et -11 %, on voit la faible pertinence, pour ne pas dire l’impertinence satisfaite des remarques du ministre.

    Et puis, il ne faudrait pas oublier non plus que depuis qu’il est entendu de compenser les fermetures administratives sur le mode du « quoi qu’il en coûte » , le gouvernement s’ingénie à rendre les arrêts de travail les plus généreux possible. La prise en charge massive du chômage partiel, plus massive et plus avantageuse que dans tout autre pays, avait déjà joué contre une reprise dynamique du travail après le premier confinement, d’où un effondrement du PIB français plus radical qu’ailleurs au premier semestre 2020.

    Les bonnes recommandations de Castex

    Aujourd’hui, les mêmes craintes sont à nouveaux de mise en raison de la mesure annoncée par Jean Castex la semaine dernière avec effet au dimanche 10 janvier dernier qui permet à tout salarié non éligible au télétravail de se mettre en arrêt de maladie immédiat sans aucun jour de carence, pour peu qu’il pense être le siège d’un des nombreux symptômes du Covid-19.

    Pas de visite chez le médecin pour confirmer la chose, juste la consultation d’une liste de symptômes dont on sait qu’ils peuvent s’appliquer aussi à de multiples pathologies parfaitement bénignes (ou au contraire être éventuellement le signe difficile à reconnaître sans avis médical d’une maladie beaucoup plus grave) :

    Voici la liste des symptômes du Covid-19 délivrée par le ministère de la Santé : fièvre, toux sèche, fatigue, courbatures, maux de gorge, diarrhée, conjonctivite, maux de tête, perte de l’odorat ou du goût, éruption cutanée ou décoloration des doigts ou des orteils, difficultés à respirer ou essoufflement, sensation d’oppression ou douleur. (Site de France 3 )

    Le salarié considéré n’est tenu à rien d’autre que de faire un test de dépistage du Covid-19 dans les deux jours suivant sa déclaration sur le site Ameli de la Sécurité sociale puis attendre sagement le résultat. Il lui suffit donc dorénavant de se sentir un peu fatigué le matin (ou d’avoir un petit mal de gorge, etc.) et d’en conclure grâce aux bons soins du gouvernement : « Ça y est, j’ai le Covid », pour obtenir jusqu’à quatre jours d’arrêt maladie pas forcément justifiés.

    Inutile de dire que cette nouvelle disposition visant à « protéger au mieux nos compatriotes » comme dirait Emmanuel Macron, mais qui ressemble à s’y méprendre à une couche d’assistanat supplémentaire étalée sur notre système social déjà obèse, est la porte ouverte à une nouvelle forme d’absentéisme qui aura peu de chance d’aider la croissance à s’envoler.

    Mais ne soyons pas trop dur avec Bruno Le Maire et reconnaissons qu’il peut parfois faire preuve d’une grande lucidité. Malgré ses immenses responsabilités de ministre de l’Économie et malgré ce terrible Coronavirus qui bouscule méchamment tous ses plans sur la comète, il trouve encore le temps d’écrire… ses mémoires… provisoires ! Quelle sublime modestie !

    L’ouvrage, son troisième depuis qu’il est à Bercy (si, si, je vous assure), ne sera en librairies que demain (et sur Amazon également – si, si, je vous assure ), mais d’après le quotidien Le Figaro , voici le portrait qu’il y fait du responsable politique :

    Passer son temps en réunions interminables, discussions creuses, en déjeuners et dîners […] toujours à l’affût de ce qui pourra être dit sur lui, son attention engloutie par le flot continu des informations en ligne, par les rumeurs, par les images, prenant le monde pour son miroir, pérorant, vitupérant […] , jamais serein, jamais en paix, s’accablant lui-même de nouvelles obligations pour ne surtout pas voir que sa vie est vaine, son influence nulle. ( L’ange et la bête : Mémoires provisoires )

    Voilà, c’est officiel, Bruno Le Maire est un responsable politique… considérable !

    Sur le web

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      Pour la Chine, le capitalisme est un outil, rien de plus

      Yves Montenay • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 14 January, 2021 • 13 minutes

    la Chine

    Par Yves Montenay.

    La Chine fascine et effraie à la fois. C’est une grande puissance inquiétante, mais aussi un modèle pour certains. Comme toujours, l’histoire éclaire le présent.

    Un peu d’histoire pour commencer

    Il faut d’abord se souvenir que la Chine sort de plus d’un siècle de soubresauts et d’humiliations puis d’un naufrage presque total sous Mao. Cet empire millénaire qui enseigne à ses enfants une haute image de lui-même cherche à prendre sa revanche. Comme l’Allemagne d’Hitler, la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan, mais avec le poids de 1,4 milliard d’habitants.

    C’est dans ce contexte, pour survivre d’abord, pour prendre sa revanche ensuite que la Chine utilise le capitalisme. Comme un outil, pas par conviction. L’actualité symbolisée par les attaques contre le groupe privé de Jack Ma semble montrer que cet outil peut être jeté maintenant que l’on estime ne plus en avoir besoin.

    Commençons par ces humiliations et ce naufrage.

    Plus d’un siècle de troubles profonds

    La Chine avait été envahie et battue par les Anglais en 1839 lors de la première guerre de l’opium, puis par l’ensemble des Occidentaux, Japonais compris ensuite. Elle était pratiquement devenue une colonie et tous les pays développés qui disposaient de concessions (quartiers sous leur administration)

    En 1911, la république chinoise est proclamée après le règne catastrophique de l’impératrice traditionaliste Cixi , au pouvoir de 1860 à 1908 avant de laisser la place à l’empereur-enfant Puyi.

    Mais le remplacement de l’empire par la république ne résout rien. C’est le temps de l’anarchie et des seigneurs de la guerre qui règnent sur certaines régions. Un capitalisme spontané se met en place notamment à Shanghai. Après Sun Yat-sen, premier président, arrive Tchang Kaï-chek qui doit faire face à la dissidence communiste menée par Mao et à l’invasion japonaise dès 1934… et je simplifie énormément une période complexe et troublée.

    Les Américains vont aider Tchang Kaï-chek à battre les Japonais qui capitulent en 1945. Mais le pays est épuisé et les communistes contrôlent le continent en 1949, tandis que Tchang Kaï-chek et son armée se réfugient à Formose, aujourd’hui Taïwan. L’élite économique de Shanghai se réfugie à Hong Kong, alors colonie britannique libérale et ouverte sur le monde.

    La catastrophe communiste

    Le régime communiste multiplie les erreurs économiques et les répressions. Il commence par l’exécution de 5 millions de propriétaires terriens, mais au lieu de distribuer les terres aux paysans comme promis, il crée l’équivalent des kolkhozes soviétiques. Le résultat est le même : la famine .

    Parallèlement les entreprises privées sont nationalisées.

    Deux crises aggravent la situation :

    • « Le grand bond en avant » de 1958 avec la création de super-kolkhozes sommés d’avoir une production industrielle. C’est un échec, avec 30 millions de personnes mortes de faim.
    • Puis la « révolution culturelle » en 1966, une guerre civile par laquelle Mao reprend le pouvoir qu’il avait perdu à la suite de l’échec du « grand bond en avant ». C’est la casse de ce qui reste de la culture traditionnelle avec la destruction des livres, objets d’art et monuments…

    À la mort de Mao en 1976, le pays est plus misérable que jamais, l’enseignement supérieur a été détruit et un grand nombre de cadres tués ou démis.

    La Chine actuelle : rattrapage et capitalisme

    Deng Xiaoping réforme profondément le pays. Il rétablit d’abord la situation alimentaire en donnant la jouissance, mais non la propriété, de la terre aux paysans. Il ouvre la Chine aux investissements étrangers et autorise un secteur privé national, qui va se développer rapidement, mais en conservant les entreprises publiques.

    Ce secteur privé comprendra des PME aux activités artisanales ou très locales, comme partout ailleurs dans le monde, et des sous-traitants ou des associés (parfois obligatoires) des entreprises étrangères. Ces dernières devaient leur transférer leur technologie en contrepartie de l’autorisation d’implantation.

    Remarquons que le régime prend soin de répéter que le régime est « le socialisme de marché », et non le libéralisme ou le capitalisme. L’OMC vient d’ailleurs de nier à la Chine la qualification d’économie de marché, car elle fausse la concurrence en privilégiant et subventionnant ses entreprises nationales par rapport aux étrangères. Il ne reste donc que le socialisme !

    L’économie chinoise se développe donc, mais en partant de très bas. C’est le rattrapage , comme pour les autres pays de la région. Malgré des taux de croissance très remarqués, le niveau de vie n’est en 2019 que le sixième de celui des États-Unis, avec de très fortes inégalités entre les villes de l’est du pays et les campagnes. Beaucoup de leurs habitants n’y survivent que par les envois des travailleurs migrants qui travaillent en ville mais restent administrativement rattachés à leur village d’origine, et en particulier ne bénéficient pas des droits sociaux des urbains.

    En 2010, la Chine devient la seconde puissance économique mondiale et commence à investir à l’étranger . Elle proclame qu’elle sera bientôt la première.

    La chine en comparaison avec le Japon et Taïwan

    La comparaison entre la Chine et le Japon est parlante. Les deux pays avaient plusieurs siècles de retard sur l’Occident, mais étaient convaincus de leur supériorité sur les barbares que nous étions. Il a fallu la force des armes pour qu’ils acceptent de s’ouvrir, les guerres de l’opium pour la Chine et l’arrivée de la flotte américaine en 1853 pour le Japon. Dans les deux cas il y a ensuite eu de féroces luttes intérieures entre modernistes prenant acte de supériorité occidentale et voulant s’en inspirer, d’une part, et traditionalistes d’autre part.

    Les deux pays ont été ensuite la destination de très importants investissements de la part d’entreprises occidentales. Ces dernières ont bénéficié de la relative alphabétisation de la population, contrairement à celle de l’Afrique. Par contre l’ordre public qui a régné à partir de 1868 au Japon a donné de l’avance à ce pays sur la Chine qui est restée presque toujours anarchique jusqu’à la mort de Mao, donc a décollé un siècle plus tard !

    Encore une fois, le rattrapage de l’Occident n’est pas du tout un miracle. Ce qui interpelle c’est que peu de pays l’aient réussi. Il s’agit principalement du Japon, de Taïwan , de la Corée du Sud , de Singapour et de feu Hong Kong , tous de civilisation chinoise ou très proches… et qui sont des démocraties… et qui n’ont pas bloqué l’apport libéral, dont le capitalisme…

    Je risque une hypothèse : ces pays ont attiré des étrangers non pas seulement par leurs bas salaires comme on dit habituellement, mais par l’ordre public qui y règne bien davantage que dans bien d’autres pays où les salaires sont encore plus bas.

    Cet ordre public doit assurer d’abord la sécurité physique, mais aussi la sécurité juridique, et c’est là que le comportement chinois détonne.

    Un changement de direction avec Xi

    En effet, en Chine, cet ordre juridique est en fait une tolérance très variable dans le temps et selon les entreprises. Et cette tolérance régresse considérablement actuellement.

    Alors que pendant longtemps, on espérait que le développement apporterait la démocratisation , cet espoir a été déçu avec l’arrivée au pouvoir du président Xi, puis avec les réformes constitutionnelles qui ont pérennisé ce pouvoir.

    Il s’agit aujourd’hui d’un pouvoir personnel, qui se consolide en permanence avec le perfectionnement du contrôle social et le retour du parti dans les entreprises, même étrangères .

    Une dernière étape est apparue récemment, avec la répression des témoins du début de la pandémie à Wuhan et avec le blocage des grandes réussites industrielles privées. C’est ce dernier point qui a ému la presse économique qui, jusqu’à présent, accueillait assez passivement les informations sur les multiples répressions.

    L’énorme goutte d’eau qui a fait déborder le vase est le blocage, 24 heures avant son lancement, du grand projet d’augmentation de capital lancée en bourse par la société Ant spécialisée dans une sorte de courtage de crédits. Quelques jours plus tard, c’est sa maison-mère, Alibaba , géant mondial des paiements par son application Alipay qui était critiquée.

    La presse réalisa alors que le patron de ce groupe, le célébrissime Jack Ma n’avait plus été vu depuis trois mois alors qu’il est en général médiatiquement très actif. Et qu’il s’était fait notamment remarquer par une critique des banques d’État, jugées très passives en matière de crédit… ce qui avait laissé supposer qu’il s’apprêtait à les concurrencer. Or les banques d’État sont non seulement à la fois le symbole et le moyen d’action de l’État communiste, mais de plus sont dirigées par des « princes rouges » politiquement puissants.

    La presse se souvint alors d’autres affaires un peu brutales. Il y a quelques années une jeune entrepreneuse s’était fait condamner à mort pour avoir court-circuité les banques en se finançant sur un marché financier de gré à gré. D’autres ont suivi, et aujourd’hui le dernier condamné à mort est Lai Xiaomin , patron de la plus grande société chinoise de gestion d’actifs.

    Tout cela a sonné le réveil des grands patrons occidentaux qui continuaient à rêver au « vaste marché chinois » dans lequel il fallait à tout prix s’implanter quel que soit le contexte politique : « les États peuvent se fâcher, mais qu’ils ne bloquent pas les affaires ! À chacun son boulot ».

    On trouve un exemple de cette attitude dans la signature fin décembre 2020 du projet d’accord entre l’Union européenne et la Chine, où cette dernière promet d’ouvrir aux entreprises occidentales l’accès de quelques marchés jusqu’à présent réservés aux entreprises chinoises. Ce projet n’enthousiasme pas les politiques au gouvernement français et au Parlement européen.

    Tout cela, s’ajoutant à l’apparition du virus, n’est pas bon, et la Chine a lancé une offensive médiatique pour redorer son image.

    Une légende dorée et sa critique

    Une série de témoignages chinois, mais aussi d’Occidentaux vivant en Chine, décrivent un pays quasi idéal avec une sécurité totale, un régime aux petits soins pour les populations confinées pour cause de virus, comme le dépôt de repas à leur porte par les comités de quartier, ce qui, au passage, rappelle l’encadrement de la population tel que je l’ai connu dans les pays communistes d’Europe. Les témoins évoquent également les équipements collectifs qui illustrent le soin que l’on prend de la population, comme le métro, les aires de jeux pour enfants…

    Mais cette légende dorée est accueillie avec un scepticisme croissant.

    Nous avons vu que le niveau de vie moyenn était médiocre et très inégal entre les groupes sociaux, ce qui veut dire que ceux en dessous de la moyenne sont encore très bas.

    Et la campagne de promotion de la Chine à l’international a des résultats inégaux. Les sondages tout autour de la planète montrent que l’image du pays s’est fortement dégradée.

    Prenons l’exemple de l’Afrique.

    La coopération entre la Chine et l’Afrique tourne à l’aigre

    La Chine a décidé d’intensifier sa coopération sanitaire avec l’Afrique. Après l’envoi de vaccins insuffisamment testés selon les normes occidentales, elle entreprend la construction d’un immeuble de 40 000 m² destiné à être le siège de l’organisation panafricaine de contrôle et de prévention des maladies. Les mauvaises langues disent que, comme le précédent immeuble offert par la Chine pour le siège de l’Union africaine, cet immeuble est truffé de caméras et de micros.

    Mais surtout sa construction n’a pas attendu son autorisation par l’Union africaine, alors que d’autres pays sont en compétition pour ce siège. Le Maroc a notamment l’appui des États-Unis et de la France. Bref, la Chine s’impose, ce qui n’est pas toujours bien vu, mais de là à refuser une aide…

    On sent également un désenchantement des pays « bénéficiaires » des « routes de la soie », cette pluie d’investissements en infrastructures promises par la Chine. On note des surcoûts vertigineux laissant supposer une importante corruption des gouvernements locaux et de responsables chinois, on voit avec inquiétude arriver le remboursement des dettes et la saisie en cas de défaut des infrastructures ou des mines.

    Mais si les peuples grognent, les gouvernants semblent apprécier les coups de main discrets que les Occidentaux ne peuvent plus donner, sauf à se faire condamner en France aux États-Unis et probablement ailleurs pour « corruption à l’étranger ».

    Conclusion : « plus riche que Xi, tu meurs »

    Tout cela est très loin du capitalisme libéral qui a développé l’Occident, puis les pays l’ayant imité. Ce ne devrait pas être une surprise, car le régime n’a jamais renié le communisme. Rappelons qu’en langage marxiste le socialisme est le stade qui précède communisme et son « avenir radieux » et que l’engrenage de l’histoire est irréversible.

    S’il a évoqué « le socialisme de marché », le gouvernement chinois n’a pas renié son objectif. Le marché était un moyen de réparer les dégâts du maoïsme. Xi s’estime maintenant assez fort pour abandonner ce moyen qui n’avait jamais été mis complètement place, comme vient de le constater l’OMC . L’heure de la revanche a sonné, mais c’est proclamé tellement fort que cela indispose le reste du monde.

    Et puis, jeter « l’outil capitaliste », n’est-ce pas scier la branche sur laquelle on est assis ? Ce sont des capitalistes chinois qui financent et font tourner matériellement le reste de l’économie !

    Enfin, un régime, ce n’est pas une abstraction désincarnée. Il y a des hommes qui veulent le pouvoir, puis qui veulent le conserver. Ces hommes n’ont rien de libéraux ni économiquement, ni politiquement, ni socialement. Il faut les révérer sinon on risque sa carrière et peut-être sa vie. En France on dit « la parole est d’argent mais le silence est d’or » . En Chine on n’évoque même plus la parole, et on se borne à dire « le silence est un ami qui ne trahit pas » . Jack Ma semble l’avoir oublié.

    Et peut-être a-t-il commis une autre maladresse, être plus riche en argent ou en influence, que le chef ! C’est impardonnable ! Fouquet défiant involontairement Louis XIV et bien d’autres l’ont appris à leur dépens.

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      Vaccination : la lenteur n’est pas un problème de logistique

      The Conversation • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 14 January, 2021 • 16 minutes

    vaccination

    Par Aurélien Rouquet.
    Un article de The Conversation

    Est-ce que le début chaotique de la campagne de vaccination française contre la Covid-19 s’explique principalement par des problèmes logistiques ? Par le fait que le gouvernement n’aurait pas prévu les moyens et ressources logistiques nécessaires ? Pas vraiment.

    Les problèmes initiaux tiennent plutôt à la stratégie retenue, dont on va voir que mécaniquement, elle induisait une logistique complexe et une vaccination plus lente à démarrer.

    Ce qui est donc ici en cause, c’est ainsi le fait qu’en amont, le gouvernement n’a pas intégré suffisamment les contraintes logistiques, et qu’en aval, il n’a pas réussi à expliquer au grand public pourquoi la logistique vaccinale démarrait plus lentement que chez nos voisins, et notamment en Allemagne. Bref, ce n’est pas tant un problème logistique, qu’un problème de stratégie et de marketing !

    Premier temps : la conception de la stratégie de vaccination

    Pour le comprendre, il faut repartir du point de départ, qui est l’élaboration de la stratégie vaccinale. Au cours de la deuxième moitié de l’année 2020, la Haute Autorité de Santé charge un groupe de travail de formuler des recommandations. Composé de plusieurs médecins et d’un sociologue, celui-ci passe en revue la littérature médicale pour élaborer sa stratégie .

    Alors que l’on sait par définition que les quantités de doses seront initialement limitées, l’enjeu principal est de déterminer qui vacciner en priorité. Pour cela, les experts se fondent sur deux critères de priorisation : « le risque de faire une forme grave de la Covid-19 et le risque d’exposition au virus ». Cela les conduit à proposer une stratégie fondée sur cinq phases successives.

    La première doit selon eux cibler les résidents et personnels des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ce qui représente environ un million de personnes. La seconde phase prévoit ensuite d’étendre la vaccination aux plus de 75 ans, aux personnes de 65 à 74 ans, ainsi qu’à certains soignants.

    Enfin, trois autres phases sont prévues afin d’étendre peu à peu la vaccination, qui devrait se conclure avec le public le moins à risque : les plus de 18 ans sans comorbidité. De manière générale, ce phasage répond à un objectif explicitement formulé par les experts, qui est de se servir de la vaccination d’abord pour diminuer les formes graves et faire baisser la pression sur les hospitalisations.

    À ce stade, on peut noter qu’aucune considération logistique ne semble avoir été prise en compte par les experts, qui s’appuient sur une stricte vision médicale. Le terme n’est ainsi mentionné qu’une fois, et encore, pour souligner que des clusters ont pu se développer dans des « services logistiques ». Les experts ont cependant intégré dans leur stratégie le rapport difficile des Français à la vaccination, et insistent sur la « nécessité d’une information claire et accessible ».

    Deuxième temps : la logistique après la stratégie

    Partant des recommandations de la Haute Autorité de Santé, le gouvernement va alors travailler à la mise en place de la logistique qui permet de soutenir la stratégie définie. Quel est ici l’enjeu ? Amener le vaccin dans les milliers d’Ehpad qui sont disséminés partout en France, car on ne peut évidemment pas demander aux résidents de se déplacer dans des centres de vaccination.

    Pour les approvisionner, deux flux sont alors prévus, qui s’appuient sur les circuits logistiques traditionnels. Environ 25 % des Ehpad sont approvisionnés par une centaine de pharmacies d’hôpitaux dont elles dépendent. Il est donc décidé de charger ces pharmacies hospitalières d’organiser la livraison des vaccins. Pour cela, il est prévu de doter celles-ci, quand elles n’en possèdent pas, de congélateurs pour stocker le seul vaccin disponible : celui de Pfizer/BioNtech qui doit être conservé à – 70 °C.

    Par ailleurs, 75 % des Ehpad sont approvisionnés par une pharmacie référente. Sachant qu’il est matériellement impossible de doter ces milliers de pharmacies des fameux congélateurs, l’État choisit alors logiquement de passer par des dépositaires. Six plateformes logistiques sont prévues pour centraliser les stocks et toucher toute la France.

    Ces plateformes, qui disposeront elles aussi de congélateurs en vue de stocker les vaccins de Pfizer/BioNtech, auront ensuite la charge dans un second temps d’approvisionner par le biais de tournées les pharmacies référentes situées dans leur zone, qui elles-mêmes pourront enfin approvisionner les Ehpad.

    vaccination Legifrance.gouv.fr

    Pour ce qui est du calendrier, le gouvernement, alors qu’une incertitude existe sur la date de validation par l’Agence européenne du médicament du vaccin Pfizer/BioNTech, qui doit intervenir entre fin décembre et début janvier, prévoit un démarrage réel de la campagne début janvier.

    Troisième temps : le lent déploiement de la logistique de vaccination

    Cependant, sous la pression de l’Allemagne, l’Europe autorise le déploiement de la vaccination avec une semaine d’avance, dès le 21 décembre, et la présidente de la Commission européenne lance officiellement la campagne européenne le 27 décembre. Ces annonces prennent alors un peu de court la France, qui n’est alors pas tout à fait prête : comme l’a révélé Mediapart , les congélateurs, s’ils ont été livrés avant Noël, ne sont pas encore tous installés et qualifiés.

    De plus, cette période des fêtes n’est évidemment pas très propice pour lancer les vaccinations dans les Ehpad. Entre Noël et le jour de l’An, alors que le nombre de vaccinés augmente rapidement chez la plupart de nos voisins européens, le compteur reste ainsi bloqué à quelques centaines en France. Alors qu’ils ont commencé en même temps que nous, ce retard sur nos voisins suscite l’incompréhension et conduit beaucoup de commentateurs à pointer du doigt la logistique.

    La cause de ce retard à l’allumage tient d’une part, comme on vient de le souligner, à l’accélération du calendrier européen, qui prend de court la France. Mais comme on va le voir, elle s’explique d’autre part aussi et surtout par le fait que nos voisins ont choisi d’autres stratégies vaccinales, qui ont induit des logistiques distinctes !

    vaccination Extrait d’un document de programmation du ministère de la Santé en date du 23 décembre.
    Document Mediapart

    Ainsi de l’Allemagne, qui dans une première phase, a prévu à la fois de toucher les résidents et personnels des Ehpad, comme la France, mais aussi le public à risque : les personnes très âgées, les personnels soignants et les personnes atteintes de pathologies à risque. Pour cela, au côté d’une logistique ciblant ses Ehpad, dont on peut supposer qu’elle suit peu ou prou les mêmes étapes que la logistique mise en place en France, l’Allemagne a dès l’origine prévu le déploiement de « vaccinodromes ». Par nature, ce second schéma logistique permet aux Allemands de très vite augmenter le nombre de personnes vaccinées.

    Avec ces vaccinodromes, on supprime d’abord certains maillons qui sont nécessaires pour atteindre les Ehpad. Ce sont en effet ici les personnes qui viennent au vaccin, et on comprend que le temps d’écoulement entre le moment où un vaccin entre dans la chaîne logistique, et le moment où il atteint le patient est ici plus court.

    Par ailleurs, pour vacciner en Ehpad, la difficulté est de déterminer avant l’expédition depuis les lieux de stockage, combien il faut exactement envoyer de doses de vaccins dans chaque Ehpad, ce qui est loin d’être simple.

    Il faut en effet obtenir en amont le consentement des résidents, ce qui suppose de se coordonner avec les médecins des Ehpad (sachant que tous les Ehpad n’en ont pas), d’interagir éventuellement avec la famille de ces résidents (cas des résidents ayant Alzheimer, pour lequel il faut parler à la tutelle, etc.), dans une période des fêtes qui est peu propice (absence éventuelle de certains soignants en vacances, difficulté à joindre les familles de certains résidents sous tutelle, etc.).

    L’enjeu est pourtant crucial, car il ne faut surtout pas décongeler trop de doses, au risque de les perdre et alors qu’on en possède un nombre limité ! À l’inverse, un tel problème ne se pose évidemment pas dans le cadre d’un vaccinodrome. En effet, s’il y a des anti-vaccins, il y a aussi de très nombreuses personnes désirant être vaccinées, et la demande dans ces lieux est pour l’instant très supérieure au nombre de doses disponibles, comme l’illustrent les queues que l’on peut constater un peu partout dans le monde.

    Il y a d’autant moins de risque de perdre des doses, que les vaccins sont soit stockés sur place dans les congélateurs, soit livrés plusieurs fois par semaine depuis un stock qui n’est pas très loin, et qu’on peut dans ces structures bien plus facilement ajuster la quantité nécessaire à la demande. Au bilan, la logistique qui sous-tend un vaccinodrome est donc bien plus rapide à démarrer !

    Quatrième temps : un déficit de pédagogie logistique

    Alors que ce retard au démarrage peut notamment s’expliquer par l’accélération du calendrier et le choix stratégique qui a été fait de cibler d’abord les seules Ehpad, face aux critiques qui se multiplient, le gouvernement tente entre Noël et le jour de l’An de défendre sa stratégie. Il explique que son objectif consistant à cibler en priorité les résidents des Ehpad se justifie par le fait que les résidents représentent 30 % des morts.

    Cependant, une telle explication ne peut pas suffire pour faire comprendre le retard au démarrage. Pour y parvenir, il faut entrer dans les détails logistiques, et suivre le long déroulé que je viens de présenter plus haut. Ce long déroulé reste peu compatible avec le temps médiatique, les critiques des différents partis politiques qui tous s’engouffrent dans la brèche, et surtout avec les cartes qui circulent sur Twitter et comparent le nombre de personnes vaccinées dans les différents pays avec la France qui n’aurait vacciné jusqu’à présent que Mauricette.

    La communication est d’autant plus difficile que dans les médias, personne ne connaît grand-chose à la logistique, et qu’au sein du gouvernement, nul n’est capable de venir donner de telles explications. Pire, le monsieur Vaccin du gouvernement a même reconnu dans une interview accordée à LCI qu’il ne connaissait rien à la logistique !

    Cinquième temps : une révision de la stratégie vaccinale

    Alors qu’à la suite du cas des masques, puis des tests, la logistique étatique derrière la gestion de l’épidémie a fait l’objet de nombreuses critiques, et que la confiance dans les capacités logistiques de l’État reste bien faible, la bataille de la communication apparaît comme clairement perdue. Le gouvernement n’a alors d’autre choix que de remettre en cause toute sa stratégie vaccinale et de chercher par tous les moyens à faire augmenter rapidement le nombre de personnes vaccinées.

    Pour cela, le ministre de la Santé Olivier Véran étend dès le 31 décembre la vaccination aux soignants de plus de 50 ans, puis le 5 janvier annonce qu’elle sera bientôt ouverte à toutes les personnes de plus de 75 ans. Alors qu’il avait exprimé ses réserves sur les vaccinodromes, au vu du désir fort de vaccin d’une partie de la population, il annonce également l’ouverture de centres de vaccinations.

    Sur le plan opérationnel, il est demandé aux hôpitaux pivots qui disposent de congélateurs de mettre rapidement sur pied des centres de vaccination pour pouvoir commencer à vacciner les soignants de plus de 50 ans. Progressivement, ces centres et d’autres qui sont mis en place en lien avec des collectivités locales se déploient un peu partout dans toute la France. Cela permet ainsi dès la première semaine de janvier de faire augmenter le nombre de personnes vaccinés. Le vendredi 8 janvier, ce sont ainsi selon le site Vaccin Tracker 34 305 personnes qui ont été vaccinées en une journée.

    Construire la stratégie de vaccination avec la logistique

    Que retenir finalement de cette séquence et quelles leçons le gouvernement doit-il en tirer ? Que dans cette crise, les éléments et contraintes logistiques sont déterminants et doivent être pris en compte en amont (formulation des stratégies) et en aval (communication).

    Ainsi, ce dont est coupable le gouvernement, c’est d’avoir pensé sa stratégie vaccinale d’abord, puis d’avoir organisé ensuite la logistique de cette stratégie. Cela a été une erreur car, comme je viens de l’expliquer, cela a conduit à opter pour la stratégie qui était la plus complexe logistiquement à mettre en place. Cette stratégie induisait nécessairement un démarrage lent, alors pourtant que de nombreux Français qui croient aux vaccins n’attendent qu’une chose : que cela aille vite. En termes d’image, un tel choix était ainsi mauvais politiquement.

    Covidtracker.fr

    L’erreur a été d’autant plus remarquée que le gouvernement, alors pourtant que la lenteur du départ était parfaitement prévisible, n’a pas réussi à communiquer sur le sujet. La faute au fait qu’en dépit du rôle clef de la logistique dans cette crise, le gouvernement n’a pas jugé bon de mettre en avant une personne chargée de la logistique capable d’en faire la pédagogie auprès du grand public (on peut cependant noter que le gouvernement a nommé à la suite de cette crise un nouveau responsable de la logistique de la vaccination ).

    La performance logistique, un impact sanitaire

    Mais sur le fond ce qui reste pour moi le principal problème de cette logique séquentielle (1) élaboration de la stratégie vaccinale puis 2) mise en place de la logistique, tient au fait qu’elle a conduit le gouvernement à ne pas considérer dans sa stratégie le critère de la « performance logistique », alors pourtant que ce critère me semble clef sur le plan sanitaire.

    Dans un contexte où les doses de vaccin sont reçues au compte-gouttes et au fil de l’eau, du fait des capacités de production limitées, l’enjeu sur le plan médical est non seulement de déterminer qui en priorité doit recevoir les vaccins, mais aussi d’être capable d’administrer le plus vite, sans perdre de doses, les vaccins dès qu’ils sont reçus !

    Plus vite on transforme les doses réceptionnées en personnes vaccinées, plus vite on pourra en effet évidemment faire reculer l’épidémie, diminuer les hospitalisations, les morts, etc., faire repartir l’économie et profiter enfin à nouveau des bars, restaurants, théâtres et cinémas !

    Pour cela, il s’agit d’une part sur le plan logistique de perdre le minimum de doses de vaccins, et d’avoir d’autre part une stratégie vaccinale en flux tendus qui permette que le temps d’écoulement entre le moment où l’on reçoit les doses et le moment où elles sont injectées soit le plus court possible. La stratégie développée par la Haute Autorité de Santé aurait ainsi clairement du prendre en compte ces aspects qui ont été totalement oubliés…

    S’ils avaient été intégrés, une conclusion logique aurait alors été qu’il fallait dès le départ, en plus du flux à destination des Ehpad, mettre en place des vaccinodromes pour pouvoir au plus vite utiliser les doses disponibles. Car au vu du temps nécessaire pour démarrer la campagne dans les Ehpad, il y avait bien suffisamment de doses en stock pour dans le même temps commencer à vacciner d’autres segments de la population. Ainsi, rien ne légitimait que les doses dorment dans les congélateurs sur des plateformes !

    De plus, s’appuyer d’entrée de jeu sur deux circuits logistiques aurait permis d’avoir plus d’agilité logistique. Or une telle agilité parait ici cruciale, au vu des incertitudes qui existent tant sur les approvisionnements (quels vaccins vont finalement être autorisés et quand ? Combien de doses les fabricants vont-ils pouvoir livrer ?), que sur les bonnes pratiques en termes de vaccination (faut-il deux doses espacées de 3 semaines ? De six semaines ? Une seule dose ? faut-il utiliser le flacon pour faire six doses au lieu des cinq prévues ?).

    Quelle évaluation ?

    Pour conclure, si l’on sort du temps présent et qu’on se projette dans les prochains mois, un enjeu va être d’évaluer collectivement et sereinement la stratégie vaccinale française. Pour cela, il est clair qu’il faut absolument aller au-delà du seul indicateur simple actuellement utilisé consistant à compter le nombre de personnes vaccinées.

    Précisément, un enjeu va être de regarder deux indicateurs qui sont familiers de tous les responsables logistiques et autres supply chain managers : les délais et la qualité. Combien de temps en moyenne met la France, une fois que des vaccins ont été livrés par les usines pharmaceutiques dans ses plateformes logistiques, pour vacciner la population ? Quelle est la proportion de doses reçues que l’on perd, parce que l’on n’a pas respecté la chaîne du froid, cassé un flacon, etc. ?

    Il serait dans cet esprit intéressant que les journalistes qui suivent le sujet demandent des comptes au gouvernement, et que les indicateurs correspondants puissent faire l’objet d’une communication. Dans le même ordre d’idée, l’État devrait aussi communiquer sur le nombre de personnes qu’il a vacciné au sein de chacune des tranches prioritaires de population qui avaient été identifiées dans sa stratégie vaccinale.

    Car l’urgence est bien sûr de vacciner d’abord certaines personnes en priorité, urgence qui semble elle aussi avoir été oubliée par la folie médiatique consistant simplement à compter le nombre de personnes vaccinées ! Quoi qu’il arrive, il est clair que l’on va continuer de parler de logistique dans les mois prochains…

    Aurélien Rouquet , Professeur de logistique et supply chain, Neoma Business School

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

    The Conversation

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      Profit et société à mission : le « en même temps » est-il possible ?

      Philippe Silberzahn • ancapism.marevalo.net / Contrepoints • 14 January, 2021 • 8 minutes

    profit

    Par Philippe Silberzahn.

    La question de la mission de l’entreprise semble être sur toutes les lèvres. Elle a surgi avec éclat au premier plan de l’actualité lorsque Danone , la première entreprise du CAC40 à avoir adopté le statut d’entreprise à mission, en juin 2020, a annoncé quelques mois plus tard un plan social pour améliorer sa compétitivité , suscitant ainsi les critiques de tous bords.

    Gagner de l’argent ou changer le monde, il semble plus que jamais qu’on ne puisse faire les deux et qu’il faille choisir. Et pourtant ce n’est pas nécessairement vrai. Le modèle mental qui oppose les deux nous enferme dans des controverses stériles et nous empêche de moderniser à la fois notre économie et notre système social.

    Une entreprise doit-elle gagner de l’argent ou changer le monde ? « Le en même temps est difficile pour les entreprises » estimait ironiquement la journaliste Emma Ducros suite à l’annonce du plan social de Danone.

    L’entreprise française aura réussi à s’attirer les foudres aussi bien de la gauche, qui l’accuse de cynisme et de social washing , que de la droite libérale qui estime, à la suite de l’économiste Milton Friedman , qu’une entreprise devrait faire du profit et ne pas s’aventurer sur le terrain sociétal.

    Une fois encore, nous sommes ici victimes du modèle mental consistant à diviser le monde en deux : d’un côté les entreprises qui font du profit sans avoir d’impact sur la société, et de l’autre celles qui s’intéressent à la société sans se salir avec le profit.

    Et choisis ton camp camarade ! Ce modèle binaire, séparant le profit sans impact sociétal et l’impact sociétal sans profit, semble satisfaire les extrémistes des deux camps, sans doute précisément parce qu’il permet de définir deux camps.

    Cette dichotomie est contre-productive et elle est aussi destructive. Elle renforce une coupure du monde en deux, les gentils qui contribuent à la société sans se salir avec la recherche de profit, et les méchants qui font du profit sans impact sociétal. Tout le monde est perdant si on reste prisonniers de ce modèle.

    Un modèle mental alternatif : l’impact sociétal du profit

    Sur la question du profit et de l’impact sociétal, on peut envisager un autre modèle mental, celui selon lequel la recherche de profit et la contribution sociétale ne s’opposent pas. On peut rechercher le profit et avoir une contribution sociétale majeure.

    En fait, l’idée peut même être défendue qu’on ne peut pas faire de profit sans avoir une contribution sociétale, car il faut être au moins deux pour le faire : on vend quelque chose que l’autre partie achète et cela ne peut se faire sans un système qui le rend possible, avec ses lois, ses règlements, ses valeurs et sa monnaie, entre autres.

    Lorsqu’on parle de mission d’entreprise, on fait souvent référence à l’économiste Milton Friedman qui avait déclaré :

    la mission de l’entreprise c’est de faire du profit.

    De là on conclut qu’il défend l’idée que l’entreprise ne doit avoir aucun impact sociétal, et même qu’elle peut faire ce qu’elle veut, c’est-à-dire qu’elle n’a pas à se préoccuper de valeurs ni d’éthique, caricaturant une vision libérale de la question.

    Or on oublie presque toujours de citer la fin de sa phrase où il précise :

    … en se conformant aux règles de la société, celles incarnées dans la loi et celles incarnées dans les habitudes éthiques.

    Friedman signifie donc très clairement que la recherche du profit ne peut se faire que dans le respect d’un cadre éthique et légal, et donc social. C’est l’opposé de la loi de la jungle ou du tout est permis.

    Mais cela va plus loin. Sans même parler des impôts et contributions sociales qu’elle paie et des gens qu’elle fait vivre, une entreprise qui existe remplit une mission sociale de fait, sinon elle ne pourrait pas vivre. La leçon de 200 ans de Révolution industrielle c’est que la recherche, parfois effrénée, a entraîné une transformation sociétale majeure.

    Dans Au bonheur des dames Zola raconte comment les grands magasins ont changé la vie des gens, et en particulier des femmes.

    Josiah Wedgwood révolutionne la faïence et en fait un symbole d’aspiration sociale au début de la Révolution industrielle.

    La contribution sociétale de James Watt , inventeur de la machine à vapeur, fut tellement importante qu’il y eut une souscription publique pour construire un monument à sa mémoire.

    L’éditeur d’une revue de l’époque écrivait ainsi :

    Il se distingue d’autres bienfaiteurs du public par le fait qu’il n’a jamais fait, ni prétendu faire l’objet de son action au bénéfice du public… Cet homme sans prétentions en réalité a apporté plus au grand public que tous ceux qui depuis des siècles ont fait de leur activité principale le souci du bien public.

    Plus récemment, c’est la grande distribution qui a réussi à nourrir la France au plus fort de la crise de mars-avril 2020 dans des conditions extrêmement difficiles et qui résout la pénurie de masques en une semaine lorsque le gouvernement se décide, enfin, à la laisser faire.

    C’est ce chef d’entreprise qui fait revivre toute une région, redonne une dignité à d’anciens chômeurs, et gère des centres de formation, même si ce n’était pas son but premier.

    Ce sont les sites Internet qui modifient la façon dont les individus se rencontrent et s’aiment. Ce sont les réseaux sociaux qui permettent de tisser de nouveaux liens.

    Et les Français qui (re)découvrent l’importance des commerçants dans leur vie quotidienne.

    Et la liste pourrait continuer ainsi longtemps. Ces entrepreneurs ont gagné beaucoup d’argent, leur entreprise aussi, et ils ont eu une contribution sociétale majeure . Pourquoi faudrait-il choisir entre les deux ? Pourquoi devrions-nous avoir le choix entre l’un et l’autre ? L’innovateur tire un profit de son innovation précisément parce qu’il a saisi une opportunité de changement social.

    Autrement dit, l’innovation et le profit sont indissociables de la notion de transformation sociale. Naturellement, il peut y avoir contribution sociétale sans profit, de nombreuses associations le démontrent chaque jour, mais il ne peut pas y avoir de profit sans contribution sociétale.

    Faire attention à ce que vous voulez vraiment

    Par leur existence même, les entreprises jouent donc un important rôle sociétal de facto . Mais faut-il que celui-ci soit plus important encore ? Rien n’est moins évident et la question est primordiale.

    Le modèle mental que nous évoquions plus haut, opposant la recherche du profit et l’impact sociétal, est pour une large mesure porté par ceux qui sont hostiles au profit (disons pour simplifier, la gauche d’héritage marxiste) ou ceux qui jugent celui-ci moralement problématique (pour simplifier là aussi, nombre de catholiques) et qui étendent cette défiance à l’entreprise privée en général.

    L’implication sociétale des entreprises est conçue par eux comme un supplément d’âme permettant à celles-ci de se faire pardonner leur péché originel. Pour que le profit soit acceptable, il ne doit pas être le but premier, mais être en quelque sorte secondaire à contribution sociétale.

    Nous en arrivons donc à un paradoxe : ceux qui, pour une large mesure, défendent la mission sociétale de l’entreprise privée comme un supplément d’âme parce qu’ils rejettent le profit comme motif premier d’existence, en arrivent à renforcer le rôle des entreprises privées dans la société.

    Il y a là un effet pervers. Il y a de nombreuses années, l’un de mes professeurs disait toujours « Vous devez savoir ce que vous faites. » Autrement dit, ayez bien conscience du mouvement que vous déclenchez.

    Est-ce que la gauche souhaite réellement, par une pression qu’elle voit comme transformatrice du capitalisme , donner davantage de pouvoir et d’impact aux entreprises privées ? Est-ce que la position, dite libérale, qui souhaite au contraire limiter cet engagement pour laisser de la place à d’autres acteurs non économiques, État, individus, associations, n’est pas plus raisonnable ?

    Est-ce que l’enjeu, au lieu de pousser pour un rôle plus important des entreprises, n’est pas plutôt de prendre conscience que cet appel d’air résulte, au moins en partie, d’une déficience de l’État, et que c’est plutôt là qu’il faudrait agir ?

    Chacun apportera les réponses qu’il souhaite à ces questions, selon sa propre sensibilité, mais tout le monde gagnera sans aucun doute à s’affranchir du modèle mental binaire qui ne sert qu’à nourrir des guerres de tranchées.

    Admettre que la recherche du profit dans le respect des lois en vigueur a un important impact sociétal de facto , que cet impact sociétal a été très largement bénéficiaire et qu’il continue de l’être, et qu’à ce titre les entreprises n’ont pas forcément besoin d’ajouter d’autres ambitions sociétales, ce n’est pas nécessairement être ultra-libéral fascisant tueur de petits chats.

    C’est peut-être simplement défendre une position raisonnable que beaucoup partagent, y compris à gauche, et qui peut fournir une base à partir de laquelle une véritable réflexion sur la société moderne peut être conduite.

    Sur le web