SCIENCE - Un an après son émergence, le coronavirus continue de ravager la planète. Mais grâce à la science, l’humanité commence à entrevoir le bout du tunnel avec l’arrivée de plusieurs vaccins efficaces contre cette maladie.
Début février, un seuil très symbolique a été atteint: le nombre de personnes vaccinées a dépassé celui des cas confirmés de Covid-19 , avec plus de 100 millions de doses administrées. La route est encore longue et semée d’embuches, entre les pénuries de vaccins et l’apparition de variants du Sars-Cov2 qui pourraient diminuer l’immunité, mais l’espoir est bien là.
Il n’est pour autant toujours pas possible d’affirmer qu’une fois vaccinés, nous pourrons tomber le masque et faire la bise comme si de rien n’était. Notamment en raison d’une inconnue: le vaccin, s’il empêche efficacement la maladie Covid-19 de se développer, permet-il également de bloquer la transmission? En clair, une personne vaccinée peut-elle être infectée par le coronavirus, rester asymptomatique, mais contaminer son entourage?
S’il est aujourd’hui impossible de répondre avec certitude à ces questions, c’est parce que l’urgence était avant tout de développer des vaccins empêchant les formes graves du Covid-19. Les laboratoires n’ont donc pas spécialement étudié cette question de la transmissibilité chez les personnes vaccinées. De récentes données sont encourageantes, mais doivent être relativisées. Car même si les bonnes nouvelles se confirment, il n’est pas dit que cette immunité bien particulière, que l’on appelle muqueuse, dure très longtemps.
Signaux encourageants
Commençons par les espoirs, qui sont encore très légers et devront être confirmés. Dans l’essai clinique du vaccin Moderna, les participants ont réalisé un test PCR juste avant la seconde dose. Il y avait 66% de personnes positives mais asymptomatiques (donc contagieuses) de moins chez les participants ayant bénéficié d’une première dose de vaccin que chez ceux ayant reçu le placebo.
Dans des données complémentaires de l’essai clinique d’AstraZeneca publiées le 1er février (mais pas encore validées par des pairs), le nombre d’asymptomatiques est assez proche entre ceux ayant reçu le vaccin ou le placebo. Au global, le nombre de personnes positives par PCR est par contre beaucoup plus faible chez les vaccinés: 28 contre 84, soit une efficacité de 67%.
Ce qui n’est pas obligatoirement une mauvaise nouvelle. Imaginons que le vaccin permette au coronavirus de se développer dans notre nez et notre gorge tout en l’empêchant de descendre plus profondément dans l’organisme et d’entraîner la maladie Covid-19. Alors que le nombre de cas avec symptômes baisse, on aurait du voir proportionnellement plus d’asymptomatiques parmi les vaccinés. Ces chiffres sont intéressants, mais encore trop limités pour en tirer des conclusions définitives. D’ailleurs, l’efficacité après la deuxième dose pour AstraZeneca n’était plus que de 49,5%.
D’autres données du monde réel commencent à être disponibles, par exemple en Israël où une part importante de la population, notamment âgée, est vaccinée. Une récente étude en condition réelle semble confirmer l’efficacité du vaccin pour réduire les infections en général et l’évolution des cas est positive dans le pays. “Mais le pays est actuellement sous confinement, avec une propagation limitée, ce qui peut fausser les données”, pondère Morgane Bomsel, spécialiste en virologie à l’Institut Cochin interrogée par Le HuffPost . Le confinement sera progressivement levé dans l’Etat hébreu à partir de ce dimanche 7 février.
Une durée hypothétique
Encore une fois, ces données demeurent incomplètes et doivent être vérifiées via diverses études sur plusieurs terrains. D’abord pour savoir si le nombre d’asymptomatiques diminue bien grâce au vaccin, mais surtout à quel point.
Et même si d’aventure les nouvelles sont bonnes, reste une grande question: pour combien de temps? De manière générale, la durée de l’efficacité des vaccins est encore floue. Mais la plupart des scientifiques, au vu de l’immunité naturelle conférée après une forme de Covid-19, tablent sur plusieurs mois a minima .
Le problème, c’est que l’efficacité pour bloquer la transmission pourrait durer moins longtemps. Pour comprendre, il faut rappeler que notre système immunitaire fonctionne en deux partie assez distinctes. D’un côté, l’immunité systémique, globale. Ce sont les anticorps qui circulent majoritairement dans le sang, notamment les IgG. Ce sont eux qui empêchent le coronavirus d’infecter les poumons et d’entraîner une forme grave de la maladie Covid-19.
Mais il y a une autre immunité, muqueuse, qui fonctionne différemment ( plus de détails dans notre article consacré au vaccin muqueux ou nasal ). Ce sont des anticorps spécifiques, les IgA, qui se situent au niveau de toutes nos muqueuses: nez, bouche, intestin, etc. Ce sont ces cellules qui empêchent le coronavirus de nous infecter tout court, en l’empêchant de pénétrer nos cellules au niveau du nez et de la gorge. En clair, l’immunité muqueuse (IgA) bloque la porte d’entrée de notre corps, l’immunité systémique (IgG) bloque l’accès à la salle aux trésors (notre poumon).
Et les vaccins actuels, encore une fois, sont avant tout réalisés pour empêcher les formes graves. “Avec un vaccin injecté en intramusculaire, on aura une réponse immunitaire au niveau des muqueuses de courte durée, alors que la réponse systémique va durer plus longtemps”, explique Morgane Bomsel.
Étude française en cours
“A ce stade, on ne sait toujours pas si les vaccins autorisés en urgence interfèrent avec notre transmission au long terme. Qu’il y ait un effet sur la transmission est probablement transitoire”, abonde Cecil Czerkinsky, directeur de recherche INSERM, immunologiste des muqueuses et spécialiste des vaccins interrogé par Le HuffPost .
Mais pourquoi? Quand on vous injecte un vaccin contre un organisme que vous n’avez jamais rencontré au niveau des muqueuses, votre organisme va apprendre à créer les anticorps permettant de répondre au virus. Mais tout cela se passe au niveau de l’immunité systémique, pas au niveau des muqueuses. Or, pour empêcher une infection asymptomatique, et donc la transmission, il faut des anticorps au niveau de la porte d’entrée, donc dans les muqueuses. “Quand vous avez une forte réponse systémique, il y a une faible diffusion dans les muqueuses, mais transitoire”, explique Cecil Czerkinsky, qui ne table pas sur une immunité muqueuse de plus de quelques semaines suite à une injection de vaccin.
Pour en avoir le cœur net, le chercheur a lancé avec son équipe une étude pour analyser la réponse immunitaire muqueuse et systémique de personnes ayant reçu le vaccin. Vont également être testées des personnes vaccinées alors qu’elles ont été infectés par le coronavirus auparavant. Ici, les choses pourraient être différentes, espère le chercheur: “est-ce qu’après une vaccination chez un individu qui a déjà le système muqueux sensibilisé par une infection antérieure, l’injection intramusculaire peut stimuler la réponse muqueuse?” L’idée ne vient pas de nulle part: son équipe ainsi que d’autres groupes de chercheurs ont déjà montré ce mécanisme dans le cadre de la lutte contre la polio.
Si c’est le cas pour le coronavirus, cela confirmerait l’hypothèse défendue par Cecil Czerkinsky: pour bloquer la transmission et avoir une chance d’éradiquer la maladie, il faudrait une combinaison de vaccins muqueux (voie nasale) et de vaccins à injection. Les premiers résultats devraient être connus dans trois mois. D’ici là, les données sur l’efficacité des vaccins pour bloquer la transmission seront certainement plus claires.
A voir également sur Le HuffPost : Des vaccins à 90% efficaces, ce que ça veut dire...et surtout pas dire