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Covid-19: la stratégie vaccinale européenne, un fiasco de plus?
Anthony Berthelier · news.movim.eu / HuffingtonPost · Friday, 5 February, 2021 - 02:49 · 8 minutes
POLITIQUE - Opération de sauvetage en prime time. Emmanuel Macron s’est invité dans le salon des téléspectateurs du journal télévisé de TF1, mardi 2 février vers 20h30, à la surprise générale . L’occasion pour le chef de l’État d’insister sur le rôle central joué par les Français dans le contrôle de l’épidémie de coronavirus ... mais surtout de monter au créneau pour défendre la stratégie vaccinale européenne.
Un quart d’heure avant, c’est Angela Merkel qui apparaissait sur une chaîne de télévision allemande pour y donner une rare interview. Un moment aussi inattendu que la prise de parole de son homologue français puisqu’il ne figurait pas aux programmes du média outre-Rhin. Comme le président français, la chancelière allemande s’est attelée à répondre aux inquiétudes de son opinion publique sur les lenteurs de l’acquisition et du déploiement des vaccins sur le continent.
Trois jours plus tard, ce vendredi 5 février, les deux dirigeants tiennent une conférence de presse commune en marge d’un conseil de défense franco-allemand. Nul doute que les débats sur l’efficacité de Bruxelles dans cette crise sanitaire reviendront sur le tapis.
Car si certains continuent de saluer des avancées “historiques”, notamment en matière de politique économique, la petite musique qui monte n’est pas franchement flatteuse à l’égard de l’Union européenne.
Pluie de critiques sur Bruxelles
En Allemagne, c’est le quotidien Bild , le plus lu du pays, qui sonne la charge en qualifiant régulièrement la stratégie vaccinale de l’UE de “fiasco”. Et les critiques remontent jusqu’au gouvernement d’Angela Merkel. Dans un entretien publié lundi 1er février par le Süddeutsche Zeitung , le très puissant vice-chancelier et ministre des Finances, Olaf Scholz (SPD) accuse directement la Commission européenne d’être responsable du manque de doses de sérums.
“Concernant l’achat des vaccins, c’est la Commission qui a négocié. Or, si la Commission nous avait demandé plus de moyens financiers, nous aurions donné l’argent nécessaire”, a-t-il fait valoir, quand, de l’autre côté du spectre politique, le président de l’Union chrétienne-sociale (CSU) en Bavière Markus Söder -souvent cité comme possible successeur à Angela Merkel- fustigeait, vendredi 29 février sur la chaîne ZDF des”procédures bureaucratiques typiquement européennes.”
La Commission européenne a mis quelques jours avant de prendre la dimension de la crise qui était devant nous. La présidente n’en avait clairement pas mesuré l’ampleur.” Édouard Simon, chercheur à l'Iris, spécialiste des questions européennes.
Accords trop tardifs, déficit d’investissement financier, manque de doses, manque de transparence... les reproches faits à l’exécutif européen , qui a négocié les contrats avec les fabricants de vaccins au nom des 27 États membres et sécurisé plus de 2,2 milliards de doses -pour 450 millions d’Européens- sont nombreux.
Il faut dire que les pays de l’Union souffrent de comparaisons avec le Royaume-Uni. Outre-Manche, 15% de la population a déjà été piqué, quand, au 15 janvier dernier, seul 1% des Européens avait reçu le sérum, selon un décompte de l’OMS. “Je comprends la déception” de la population, a même fini par admettre Angela Merkel, lundi 1er février, “car tout le monde a pensé qu’au vu des volumes de commandes” de vaccins, ces derniers “allaient arriver beaucoup plus vite”.
Un problème von der Leyen?
D’autant que ces critiques visant Bruxelles ne sont pas franchement nouvelles. Les atermoiements du début de la pandémie, quand des Italiens, s’estimant abandonnés par Bruxelles brûlaient des drapeaux européens, continuent de laisser des traces. “La Commission européenne a mis quelques jours avant de prendre la dimension de la crise qui était devant nous. La présidente n’en avait clairement pas mesuré l’ampleur”, se souvient Édouard Simon, spécialiste des questions européennes, ajoutant immédiatement: “mais qui l’avait fait?”
Au final, cette première crise n’a duré que “quelques jours” au printemps dernier, selon les mots du Directeur de recherche à l’IRIS, l’institut de relations internationales et stratégiques. Mais elle a entraîné des images dramatiques pour la solidarité européenne, lorsque la France et l’Allemagne interdisaient, par exemple, toute exportation de matériel médical à destination de l’Italie le pays du continent le plus touché par le covid-19 à l’époque.
Depuis, les critiques n’ont guère cessé que pour l’adoption du plan de relance colossal commun. Presque un an plus tard, une personnalité politique concentre nombreux de ces griefs: Ursula von der Leyen , la présidente de la Commission européenne.
“Le principal problème de la présidente de la Commission, c’est de trop vouloir coller au couple franco-allemand. On aurait besoin d’une Commission européenne qui reprenne sa spécificité institutionnelle, qui reprenne l’initiative politique”, nous explique Édouard Simon en évoquant “un sentiment qui se déploie de plus en plus” à Bruxelles.
La réponse de l'Union européenne sur le plan économique a été beaucoup plus satisfaisante que sur le plan sanitaire." Édouard Simon, chercheur à l'Iris, spécialiste des questions européennes.
Mais c’est surtout le dernier “pataquès” autour de l’exportation de vaccin en Irlande du Nord qui vient ternir l’image de l’ancienne ministre allemande de la Défense. Confrontée à des retards de livraisons du vaccin du laboratoire AstraZeneca, l’UE a mis sur pied un mécanisme pour contrôler les acheminements hors de l’UE des vaccins contre le Covid qui y sont produits et interdire les exportations non “légitimes”. Avant d’y renoncer face au tollé de Londres et Dublin.
Plan de relance, mécanisme d’urgence...
“Cette décision revenait à mettre en place une frontière avec l’Irlande du Nord. C’était une grosse erreur”, avance Édouard Simon en regrettant la réaction d’Ursula von der Leyen: rejeter la responsabilité sur ses services, ce n’est pas du très bon management. Et c’était politiquement mal venu.”
Dans une tribune au vitriol publiée lundi 4 janvier sur Le HuffPost , le spécialiste des questions européennes Patrick Martin-Genier estime même que la question de son maintien à la tête de l’exécutif européen pourrait se poser. “Affaiblie, cherchant à cacher ses échecs, certains estiment qu’elle n’était pas de taille pour exercer ces fonctions alors qu’Emmanuel Macron recherchait une personne ayant exercé les plus hautes responsabilités”, croit savoir le spécialiste, enseignant de droit public à l’Institut d’études politiques de Paris.
En attendant, pour bon nombre de ces spécialistes, les difficultés de l’Union à établir une stratégie sanitaire incontestée ne doivent pas occulter d’autres avancées majeures réalisées pendant cette pandémie. Le plan de relance, salué de toutes parts, en est une... mais il n’est pas seul.
“La réponse de l’Union européenne sur le plan économique a été beaucoup plus satisfaisante que sur le plan sanitaire”, estime Édouard Simon. “Les flux de denrées alimentaires n’ont jamais cessé. L’union a adopté en urgence un plan de fonctionnement du marché intérieur en période de crise, ce qui n’existait pas auparavant”, se félicite le chercheur en évoquant également des “délais remarquables” pour la suspension du pacte de stabilité et le déblocage des aides.
Et l’après covid?
Mais au-delà de ces mesures d’urgence, le tournant le plus important est presque d’ordre philosophique. Car si l’annonce du plan de relance commun à tous les pays de l’Union européenne a déjà été décrite comme “historique” par les europhiles, sa concrétisation promet un changement de paradigme dans les politiques économiques menées par Bruxelles.
“Ce n’est pas la première fois que les 27 s’endettent ensemble. Mais dans ces proportions, cela va lier leur avenir pour les vingt, trente prochaines années”, nous explique Édouard Simon. “On ne va pas s’attaquer uniquement aux effets du premier confinement, on va s’attaquer aux déséquilibres qui existaient avant la pandémie de coronavirus”, ajoute le chercheur qui entrevoit un “changement fondamental dans l’économie européenne” si cette stratégie se confirme dans le temps.
“On accepte le fait que la crise de la zone euro a des causes structurelles. Et qu’on va s’évertuer à les corriger non pas avec des politiques d’austérité comme nous l’avons imposé à la Grèce, mais par des politiques d’investissement”, se réjouit encore Édouard Simon.
Une nouvelle approche qui n’aurait pas pu s’amorcer sans le revirement de la chancelière Merkel au printemps dernier, les Allemands ayant “compris que la survie de la construction européenne était en train de se jouer.”
Plus globalement, le choc du coronavirus a, semble-t-il, créé le terreau favorable à cette nouvelle solidarité européenne. Comme le montre la commande groupée de vaccins à l’échelle du continent. Sans cela, les pays les plus puissants comme la France ou l’Allemagne auraient sans doute trusté les premières doses de sérum... avec le risque de provoquer une -vraie- pénurie pour les plus petits États européens.
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