CORONAVIRUS - La “génération sacrifiée” peine à naviguer à travers cette crise sanitaire. La santé mentale des étudiants se dégrade de jour en jour, certains allant jusqu’à commettre des actes manifestant une grande détresse psychologique. Depuis ce 1er février, un chèque psy est mis à disposition de tout étudiant ressentant le besoin d’être écouté.
Ce dispositif, introduit par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal , permet de “consulter un psychologue, un psychothérapeute, ou un psychiatre et suivre des soins”, sur trois séances d’au moins 45 minutes chacune. Elles sont entièrement prises en charge sur présentation de sa carte étudiante.
L’initiative de la ministre de l’Enseignement supérieur, qui est promue comme la solution face aux difficultés psychologiques rencontrées par la jeunesse, dans ce contexte bien particulier, suscite malgré tout des réserves.
“Flou total”
Élodie, 23 ans, étudiante en master, a suivi sa première séance mercredi 10 février. Elle a “bien accroché” avec le psy qu’elle a rencontré. Un coup de chance, selon elle: “J e suis tombée sur quelqu’un de très sympathique et vraiment à l’écoute. J’avais peur que ce ne soit pas le cas. J’étais dans le flou total, on ne sait pas vraiment avec qui on prend rendez-vous”, confie-t-elle au HuffPost .
Un manque de transparence de la part du gouvernement qu’elle déplore. “Ils ne communiquent pas assez sur ce dispositif. Si des amis ne m’avaient pas envoyé le lien , je n’aurais jamais su que c’était possible”.
Cette absence de visibilité et de précision, la psychologue derrière le compte Twitter @lapsyrevoltee , Gabrielle*, la dénonce aussi: “Il faut indiquer les spécialités des psychologues dans ces listes. Comment voulez-vous aider un étudiant si vous ne savez pas de quoi il a besoin? Comment faire dans le cas où il se retrouverait face à un.e spécialiste des troubles du comportement alimentaire s’il a besoin d’échanger sur des traumatismes liés aux violences sexuelles? Et qu’en est-il de ceux qui sont à la recherche d’un.e praticien.nne bien spécifique type LGBTQ+ friendly ou racisé.e?”.
La prochaine séance est dans une quinzaine de jours. Je pense faire celles qui sont gratuites. Ce serait bête de ne pas profiter du dispositif après tout. Elodie, étudiante en master
En sortant de sa première séance, les a priori d’Élodie se sont envolés: “C’était assez dur au début, mais j’ai fini par m’ouvrir. La psychologue m’a aidée à avoir un regard plus positif sur l’avenir. Elle m’a aidée à adopter un point de vue différent sur la situation et à reprendre un peu d’espoir, à me dire que ça allait passer.“
La jeune femme ajoute: “J’ai surtout besoin que l’on m’aide à gérer mon stress et à faire face aux phases angoissantes. Mais en soi, ça peut aller. [...] La prochaine séance est dans une quinzaine de jours. Je pense faire celles qui sont gratuites. Ce serait bête de ne pas profiter du dispositif après tout.” Elle ne pense pas continuer après ça, car ”ça reste un coût”, avoue-t-elle.
Mais comment faire quand trois séances ne suffisent pas à soulager un mal-être profond? Une séance d’environ 1 heure chez un psychologue (dans le privé) coûte entre 60 et 90 euros. Les CMP (centres médico-p sychologiques)? Impossible, selon Gabrielle*: “Nous avons dépassé les un an d’attente dans ces centres. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune place de disponible.”
La praticienne pointe du doigt une mesure créée dans l’unique but “[d’]acheter la paix sociale et [de] ne pas avoir de suicides sur les bras.” Elle affirme, “Pour moi, il n’y a pas de vraie volonté de suivi et d’approfondissement.”
Il y a un dédain envers la santé mentale en France Gabrielle*, psychologue
Selon Gabrielle*, “on préfère mettre les gens sous médicaments”. La santé mentale, invisible à l’œil nu, serait sous-estimée en France, d’après elle. “Ce n’est pas de la thérapie mais du screening (dépistage, NDLR), que l’on nous demande de faire. C’est un dispositif de dépistage et non pas une véritable thérapie.”
Le problème, explique-t-elle, c’est que “trois séances ne suffisent pas pour se lancer dans une thérapie. Et puis, c’est trop dangereux. On risque de réveiller des blessures trop profondes. Et si la personne ne va pas au-delà de ces trois séances (notamment par manque de moyens) alors, c’est prendre le risque de la lâcher dans la nature, dans cet état là”.
Florian Tirana, président de l’association Nightline , une ligne d’écoute anonyme pour étudiants, fait le même constat, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article : “Cette mesure n’apporte pas de solutions sur le long terme. Les personnes au bout du fil nous parlent essentiellement de leur grande solitude. C’est ce qui les fait le plus souffrir”. L’étudiant explique: “Nos appels ont explosé depuis le premier confinement. On a dû recruter plus de bénévoles. D’autres antennes (Lille, Lyon, Toulouse) vont justement voir le jour pour répondre aux demandes”.
L’argent comme principal obstacle
Elodie compte appliquer les conseils de la psychologue: “Elle m’a montré des exercices de respiration en cas de crises d’angoisse.” “J e pense que ces 3 séances sont nécessaires, confie-t-elle, elles peuvent permettre de tenir le coup en cette période compliqué. Je ne suis pas sûre que ce soit suffisant mais c’est déjà ça.”
Le coût d’un suivi psychologique reste un facteur déterminant. Souvent, pour cause de précarité, les étudiants ne peuvent pas s’offrir le luxe d’être écoutés et compris par un professionnel. “Je ne comprends pas pourquoi une séance chez le kinésithérapeute est remboursée et pas une séance chez le psychologue. La Suède a appliqué ce modèle et c’est très efficace”, soutient Gabrielle*.
Priver une partie de la population de soins vitaux, qui plus est celle qui représente l’avenir d’un pays, par manque d’accessibilité financière serait “une grave erreur” selon la psychologue.
“Ubérisation de la profession”
Cet “effet d’annonce qui permet de ne pas prendre de vraies mesures”, affirme-t-elle, nuirait également aux praticiens. “Il y a une véritable ubérisation de la profession puisque ce dispositif ne nous est en aucun cas profitable.”
Le dispositif revoit le prix de la séance à la baisse, explique-t-elle: “La séance de 45 minutes ne reviendra qu’à 30 euros. Nous ne récupérerons que 15 euros, tout au plus, sur ces 30 euros. Ce n’est pas acceptable. Ceux qui seront contraints d’accepter de faire partie du dispositif sont certainement des diplômés faisant leurs premiers pas dans la profession ou à l’inverse, des psychologues ayant suffisamment d’expérience et une liste de patients bien fournie pour pouvoir offrir leur aide.”
“Au bout de trois séances, on fait quoi?”, interroge Florian Tirana, qui prédit: “le problème sera le même, voire pire”. Il réclame une vraie réforme du système de santé, notamment mentale, pour les étudiants: “Structurellement, il faut revoir l’organisation de ces services de santé universitaires qui ont besoin de moyens beaucoup plus importants. Nous n’avons aucune réponse.”
*Le prénom a été modifié
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