Par Claude Sicard.
En pleine crise du coronavirus, Emmanuel Macron a réuni mercredi 13 janvier l’ensemble des membres du gouvernement, avec leurs secrétaires d’État respectifs, pour « dessiner le cap des mois à venir » . Il est à craindre qu’il ne sorte rien de constructif de ce nouveau séminaire car le programme d’action qui va être adopté va s’inscrire tout naturellement dans la ligne du programme électoral qui était celui de Macron.
On peut penser, en effet, qu’Emmanuel Macron ne voudra pas se dédire à quelques mois de l’ouverture de la prochaine campagne électorale où les partis d’opposition ne manqueront pas de faire le bilan de son quinquennat.
Pourtant, les effets de la crise du coronavirus sont là, et le gouvernement ne peut pas manquer d’en tirer des leçons. Cette crise aura eu au moins un effet positif : servir de révélateur des dysfonctionnements de notre machine administrative. Comme on le sait, le bilan est lourd.
Il y a eu le problème des masques , puis celui des tests, et maintenant la difficulté de vacciner la population au même rythme que nos voisins. De cafouillage en cafouillage, il a fallu finalement avoir recours à des cabinets privés de consultants pour élaborer un plan de combat efficace.
Et l’on aura découvert, avec cette pandémie, que l’on se berçait d’illusions en prétendant que notre système de santé était le plus performant du monde .
Le premier souci du gouvernement devrait donc être, à l’évidence, de rendre notre machine administrative plus efficace. C’est le premier problème à régler pour redresser le pays. On loue les performances d’organisation des Allemands, et plus encore celles d’Israël qui manifeste une fois de plus son extraordinaire capacité à agir et/ou à réagir : ce pays est exemplaire en matière de capacité à s’organiser.
Dans la situation où se trouve notre pays, il est facile de voir où sont les priorités et il semblerait que Macron ne soit plus à même d’aller à l’essentiel. Tout au long de son quinquennat il a voulu voulu s’occuper de tout, des moindres détails de la vie de la nation aux questions à régler au plan international pour assurer la paix dans le monde et sauvegarder, dans toute la mesure du possible, les grands intérêts de notre pays.
Il est ainsi passé des débats avec les collectivités locales lorsqu’il s’est agi de mettre un terme à la crise des Gilets jaunes, ce qu’il a baptisé pompeusement le Grand débat , aux réunions du G7, en passant par les symposiums de Davos et les réunions de chefs d’État à Bruxelles.
À trop embrasser de sujets « en même temps », il semblerait bien qu’Emmanuel Macron ne parvienne plus à distinguer où se trouve l’essentiel de sa fonction. À propos de ce séminaire nouveau, son porte-parole a fait savoir qu’il voulait que soient « dégagées les priorités d’action, car nos concitoyens attendent de nous, légitimement, que l’on fasse de 2021 une année utile ».
Quelles sont donc les priorités auxquelles le président aurait dû se tenir, afin que cette nouvelle année soit « une année utile » ? De notre point de vue elles sont tout simplement au nombre de trois :
- Décentraliser
- Rendre notre système administratif plus efficace
- Renforcer considérablement nos capacités en R&D, afin de préparer l’avenir
Macron doit décentraliser
La France est un pays beaucoup trop centralisé , et le système d’organisation de la puissance publique qui est le nôtre ne convient plus à un pays développé, avec le niveau d’éducation qui est aujourd’hui celui de la population, et avec la sociologie qui est celle des habitants.
En régions, les citoyens ne veulent plus que toutes les décisions les concernant soient prises à Paris, et les régions veulent donc avoir beaucoup plus de libertés pour gérer leurs affaires. Notre système d’organisation résulte des siècles passés, et il serait temps d’en changer.
L’Allemagne, les États-Unis, la Suisse…. sont des pays fédéraux. L’Allemagne, par exemple, est organisée en seize Bundesländer ; chacun possède sa Constitution, une assemblée élue, et un gouvernement.
En Allemagne, ce sont par exemple les Länder qui gèrent les hôpitaux publics, et ils ont fait un grand ménage dans ce domaine, transférant bon nombre d’hôpitaux déficitaires au secteur privé , ce qui a amené une réduction extraordinaire du nombre des hôpitaux : 2207 hôpitaux et cliniques en 1990, et 1700 en 2005. Et il y a eu, de ce fait, une réduction très importante du secteur public.
L’Allemagne dispose donc aujourd’hui de beaucoup moins d’hôpitaux que la France, mais ils sont beaucoup plus grands, très modernes, dotés des équipements les plus sophistiqués et emploient des personnels très compétents.
Il en résulte que la gestion de ce réseau est beaucoup moins lourde et onéreuse que celle des hôpitaux français, beaucoup plus nombreux, soit 3044, et souvent très anciens.
Selon un rapport récent de l’IFRI sur le système de santé allemand :
L’élément le plus marquant par rapport à la France a été la gestion concertée avec les Lander qui ont des compétences importantes en matière de santé publique.
Il faut donc transférer aux régions la gestion locale de nos hôpitaux et du système de santé, et ceci n’est qu’un exemple.
La politique de décentralisation a grand besoin d’être accélérée : lois Deferre en mars 1982, loi constitutionnelle du 28 mars 2003 sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, fusion des régions en 2015.
La première urgence pour que notre pays se modernise et soit plus efficace consiste à procéder à une vraie régionalisation et déconcentrer fortement notre machine administrative.
Rendre notre système administratif plus efficace
L’effectif de la fonction publique française s’élève à 5,6 millions de personnes. Contrairement aux idées reçues, il n’est pas aussi surabondant qu’on le proclame ordinairement.
Des comparaisons internationales convenablement faites, tenant compte du PIB/capita des pays, c’est-à-dire de la richesse des pays, indiquent que le sureffectif français s’élève à 265 000 personnes seulement, soit 4,7 % de trop.
Ce n’est donc pas en licenciant ces personnes en surnombre que l’on redressera vraiment les comptes de la nation. Le problème, bien plus grave, est celui du taux extrêmement élevé de fonctionnarisation des agents du secteur public. Pour comparaison :
- Suède : 10 %
- Italie : 15 %
- Allemagne : 30 %
- France : 81 %
Beaucoup trop de personnels jouissent du statut privilégié de la fonction publique , lequel nuit beaucoup à l’efficacité des actions menées. Les agents ne peuvent pas être jugés sur la qualité de leur travail, leurs effectifs ne peuvent pas être réduits lorsqu’ils sont en surnombre dans un secteur, leur mutation est difficile à mettre en œuvre, leur rémunération ne doit rien à leur mérite professionnel, leur efficacité, leurs initiatives.
Il faut donc ne recruter dorénavant que sur la base du droit du travail ordinaire.
Il convient également de réduire les double-emplois dans le cadre d’une décentralisation bien conduite. Dans son livre Leçons du pouvoir François Hollande écrit que notre système actuel est un « millefeuilles territorial assorti d’un enchevêtrement inextricable de compétences et de responsabilités » ; et qu’il serait temps « de passer à l’action et de simplifier cet édifice ».
Mais lui-même n’a pas fait grand-chose lorsqu’il était en fonction, les mesures à prendre étant loin d’être populaires.
Macron doit renforcer la recherche-développement, mieux coordonner recherche publique et recherche privée
Notre pays souffre tout particulièrement de désindustrialisation . Il est aujourd’hui le plus désindustrialisé d’Europe, Grèce mise à part. Or, la production industrielle est la variable clé qui commande le niveau de richesse des pays.
De ce fait, l’État s’est vu contraint de soutenir le niveau de vie de la population par des dépenses sociales de plus en plus élevées , lesquelles ont entraîné des ponctions fiscales de plus en plus importantes sur les agents économiques. Les prélèvements obligatoires se révélant chaque année insuffisants, l’État a dû recourir à l’endettement extérieur pour boucler ses budgets.
En somme, un cercle vicieux dans lequel se sont trouvés piégés depuis quarante ans tous nos gouvernements. Ce mécanisme vient de se trouver aggravé encore un peu plus par la crise du coronavirus. L’endettement extérieur atteint maintenant un niveau considérable : 120 % du PIB, et cela va se poursuivre d’année en année.
Il va donc falloir réindustrialiser le pays . La pandémie actuelle a fait prendre conscience de cette nécessité. Il était temps !
L’État a dû acheter les masques en Chine, les hôpitaux ont manqué de respirateurs artificiels, le pays n’en fabriquant pas contrairement à l’Allemagne ou la Suisse. Il ne produit pas non plus les machines frigorifiques permettant de stocker les nouveaux vaccins, il faut les acheter en Allemagne ou au Japon.
Notre avenir va se jouer sur nos capacités à innover demain, car la réindustrialisation du pays va se faire à partir de nouvelles technologies, et non par rapatriement d’usines parties à l’étranger.
La Chine est montée en puissance ces dernières années dans le domaine des nouvelles technologies, et elle ambitionne de se placer en tête en matière d’intelligence artificielle.
Il faut donc considérablement renforcer nos capacités de recherche, principalement dans le domaine de la recherche appliquée. Cela demande une articulation bien meilleure entre la recherche publique et celle des entreprises.
La réforme des retraites pourra attendre. Pour remettre les régimes de retraite à l’équilibre il suffit de porter l’âge de départ à la retraite à 65 ans, comme cela se pratique partout ailleurs.
Cette décision est simple à prendre, elle ne demande pas des mois de travaux de recherche. Il suffit de le décider, en expliquant aux Français qu’il s’agit de leur garantir des retraites non dégradées. Un problème de simple courage politique.
Nous ne savons pas encore quelles décisions seront arrêtées suite au séminaire organisé par Emmanuel Macron le 13 janvier. Mais il y a fort peu de chances que le plan d’action coïncide avec celui que nous venons d’esquisser à grands traits.